Ma rencontre avec Moebius

[Malnati]

Ce que je vais dire ici est très complexe, je ne sais pas où le poster. J'imagine qu'ici, il doit y avoir des gens qui se sont posés des question sur Moebius et sa mystique intuitive. Je l'espère en tous cas.
Voilà d'où je parle : Je suis auteur de BD depuis 96, mais je suis également "psychanalyste" depuis quelques années.

Qu'est-ce que signifie être psychanalyste ?
Lacan a posé comme principe que celui qui a terminé son analyse devient automatiquement psychanalyste, s'il en ressent le désir. Ce qui en fait un "thérapeute" c'est le fait qu'il ait aboli ses illusions corruptrices, et donc qu'il ne soit plus perméable à l'illusion des autres.
Quand j'ai senti qu'il était temps de pratiquer en tant qu'analyste, j'ai mis en place une méthode clinique qui m'a obligé à sortir de mon étude de mes croyances pour analyser le fonctionnement de ce processus d'étude en lui-même. Ce que j'ai trouvé m'a ramené à une longue discussion que j'avais eue avec Moebius à Angoulême, il y a 25 ans environ.
Ce jour là je dédicaçais sur le stand des Humanos ma série "L'ancêtre programmé", je crois que c'était le tome 1 ou 2. Je discutais avec les gens, et j'étais très contrarié, ça ne se passait pas comme je le désirais. Un truc sonnait faux. Je n'étais pas à l'aise. A côté de moi, il y avait Jean qui dédicaçait avec une foule devant lui, et il écoutait mes discussions. Il ne parlait pas à ses lecteurs. J'ai remarqué qu'il était très intéressé. Du coup je me suis mis à lui parler aussi. Il était très attentif mais ne répondait pas vraiment. Il hochait la tête. J'ai cru sentir qu'il était lui aussi embarrassé. J'en avais marre, je me suis levé pour aller au bar derrière les tables de dédicace, mais il n'y avait plus de places. Je me souviens que Bilal était au bar et tout le monde lui tournait autour, c'était un spectacle complètement absurde à mes yeux. Donc je me suis assis par terre, je digérais ma gueule de bois, conséquence de la soirée de la veille très violente.
J'ai vu que Jean se retournait constamment pour voir où j'étais. Il a mis fin à sa séance. S'est levé et est venu vers moi. Il s'est assis par terre face à moi, et il s'est présenté comme si je pouvais ne pas savoir qui il était.
Il m'a dit qu'il fallait qu'il me parle. Il m'a affirmé que quoi que je fasse ou que je ne fasse pas, il fallait que je choisisse de le faire ou de ne pas le faire. c'était très important à ses yeux. Je lui ai répondu que le libre arbitre n'existe pas, que c'est un fantasme toxique. Il était d'accord avec moi, mais il ne lâchait pas son idée. Il n'arrivait pas à exprimer ce qui lui tenait à cœur. Nous sommes restés sur une question non résolue...
la suite arrive. Il est question de "l’œuf authentique" et de l'image de l’œuf.

[Malnati]

J'ai su tout de suite que cette rencontre était spéciale, et qu'on avait tenté tous les deux de faire coller deux visions de l’œuf qui étaient complémentaires sans être compatibles. On a pourtant essayé de toutes nos forces. Hélas j'étais jeune et en colère constamment, j'étais dans une de mes "tranches" d'analyse très difficile, j'habitais à Lyon et j'allais tous les lundi à ma séance de psy pour une immersion cathartique terrible. Ce travail-ci a duré 6 ans... 6 ans à me coltiner le retour des souvenirs traumatiques de mon enfance, sans les comprendre vraiment, car le défaut de la psychanalyse c'est de ne pas expliquer. Le psy est soit disant neutre, donc il te laisse dans ta merde. C'est justement ce que je voulais éviter avec ma méthode clinique.
En tout, j'ai fait 12 ans d'analyse sur une période de 30 ans.

Je me suis donc penché sur la structure de l'analyse elle-même, j'ai relu Lacan, Freud et autres. Puis je me suis écouté. Et là j'ai découvert que je suis capable de m'écouter sans penser. Je le savais sans l'avoir identifié clairement, là c'est devenu évident.

J'ai découvert mon "œuf authentique". C'est ainsi que je le représenterais. Et c'est la source dont Moebius dessine l'image. L’œuf authentique est neutre, c'est la cohérence de la matière, c'est la boussole psychique. J'ai découvert que je suis capable de laisser les idées aller rebondir sur l’œuf. Et comme la lumière sur un objet qui revient amputée de la nature de l'objet (la couleur que nous voyons est ce que l'objet rejette, ce n'est donc pas lui), l’œuf ne renvoie que ce qui est incohérent. Car il est la cohérence. C'est un processus de "non pensée", il s'agit de laisser aller l'information là où elle veut sans l'interpréter, et l’œuf renvoie l'absurde à la conscience.

C'est exactement ce que dessinait Moebius. cet absurde renvoyé par l'oeuf. C'est pourquoi le tyran a un oeuf qui flotte au dessus de la tête. Cet "oeuf Moebiusien", c'est l'image de l'oeuf authentique, ce qu'il n'est pas, mais son contraire.

L'oeuf est la sagesse de la matière, celui de moebius est l'idée du réel dogmatique. celui qui s'affirme sans cause, sans racine, c'est la folie symbolique. Moebius voyait l'illusion, il savait la décrire, mais il ne la comprenait pas. Il était donc mystique. La "vérité" ne pouvait qu'être ailleurs.
Moi j'étais maladroit et trop jeune, mais j'étais déjà pragmatique. Je me référais à la matière, je savais où elle était,mais je ne parvenais pas à le dire.

voilà, je ne sais pas si ce texte intéressera qui que ce soit. Je peux développer si vous voulez ou me taire
Je voulais juste dire que j'ai enfin compris Moebius, car j'ai fait l'expérience de l'oeuf, et je l'ai observée clairement. c'est un phénomène que peu de gens décrivent mais j'ai découvert ensuite que c'est un archétype primitif qui remonte à bien avant la civilisation. c'est la boussole de la pensée humaine.

Si ça vous semble un peu barré, je m'en excuse, je ne sais pas comment le dire autrement.
Loïc.

[tzynn]

je trouve ça intéressant effectivement

[Malnati]

Très bien, je vois qu'il y a du monde qui lit, même s'il n'y a qu'un participant que je salue chaleureusement.

Pour expliquer cette histoire d’œuf, on peut par exemple utiliser la mythologie, les racines de la mythologie... Ouranos est le premier "dieu" et aussi le premier tyran, c'est le ciel qui voile le regard sur l'univers mais qui protège également. Ouranos est le représentant du symbolique, il est déraciné, il enferme et interdit le constat. Le symbolique, c'est le langage, la théorie, la morale, la loi... Le domaine des idées. Alors que Gaïa, la terre, est la matière, le réel, la neutralité.

Le truc c'est qu'Ouranos est une émanation de la terre. Comme le langage est une émanation du corps. Mais nous remarquons que le langage au fil du temps, cherche à s'autonomiser du corps, pire, il prétend dire ce qu'est le corps. Le langage devient donc le créateur du corps sur le plan symbolique. Puisque nous finissons par penser le corps depuis l'idée du corps, et non plus depuis l'écoute du corps. L'idée de la chose devient plus vraie que la chose elle-même.

c'est la tyrannie symbolique. On pourrait appeler ça une psychose collective, c'est à dire se perdre dans le symbolique sans référence réelle pour relativiser l'idée. Nous vivons cela actuellement. L'idéologie est plus importante que la question du constat des choses. L'idée collective est plus légitime que l'intuition individuelle. Bref...

Cette tyrannie du symbole devenu fou, c'est l’œuf de Moebius, l'image de l’œuf authentique projetée dans le ciel, sans racines, sans matérialité. C'est la folie des Hommes.

Et ça, il fallait l'identifier, ce n'est pas rien comme prouesse. Surtout que visiblement, Moebius, tel qu'il m'est apparu, n'avait pas conscience de cela, il écoutait juste son intuition. Il faisait ensuite avec ce qu'il constatait, il essayait de rationaliser tout ça.

Peut-être que si je vois cela, c'est parce que je n'accepte de considérer que ce qui me semble rationnel, ça a donc été très long pour moi de trouver cette évidence, mais quand cela advient, c'est totalement logique, ça fonctionne autant dans le symbolique que dans le corps. Je sais l'expliquer.

Voilà, ça me passionne. J'espère que ça attisera la curiosité de certains d'entre vous.
Loïc.