Le monde dans un mouchoir
ces choletais venus d'ailleurs
par Michel Humbert, Fabien Grolleau et Mathias Rebuffé.
Chaque année, l'association Bandes à part organise à Cholet un festival de la bande dessinée engagée et édite à cette occasion un livre sur un thème de société illustré par des auteurs participant au festival. Cette année, Michel Humbert, à l'origine du projet, a choisi deux auteurs de l'association Vide cocagne, Fabien Grolleau et Mathias Rebuffé. A l'heure ou l'inconnu fait toujours aussi peur et où l'on nous parle de politique globale d'immigration européenne, d'immigration choisie, de tests ADN et de quotas, l'idée du livre est assez simple, aller rencontrer une douzaine d'habitants de Cholet d'origine étrangère et raconter un peu leur expérience. Le but étant de s'intéresser à ces êtres humains que l'on essaie de nous cacher derrière des chiffres, des statistiques et des différences.
Les trois auteurs sont donc partis carnets de croquis et microphone en main à la rencontre de ces immigrés d'un petit village Français pour essayer de comprendre comment ils ont pu atterrir là.
Quoi que réalisé dans l'urgence et légèrement desservi par une impression un peu limite, mais tout de même correcte, ce livre est graphiquement, une expérience qui à quelque chose d'assez jouissif et fascinant. Mathias maîtrise avec pas mal d'aisance deux styles, un style franco-belge tout en rondeur et des croquis d'après nature très photo réalistes. Le style de Fabien se situe entre les deux, plutôt réaliste mais jeté et épuré, recherchant plus le sentiment et le mouvement que la fidélité plastique absolue, il crée un lien parfait entre les deux styles de Mathias. Les gris, tantôt au crayons gris tantôt aux lavis (lavis que Fabien maîtrise avec une virtuosité rare, n'ayons pas peur des mots) achèvent de donner une cohérence inattendue à ce mélange hétéroclite en parfaite adéquation avec le sujet. Ce triple point de vue, permet aussi par comparaison, une étrange sensation de réalisme, comme si les particularités de chaque style étaient autant d'indices qui nous permettaient de reconstituer une réalité qui va bien au delà de ce que de simples photos auraient permis.
A la lecture, on commence par être un peu frustré par la rapidité des premiers témoignages, tant on a le sentiment que la richesse de chaque expérience mériterait un livre entier à elle seul. Pourtant, petit à petit, ce patchwork d'expériences humaines prend une beauté et une dimension nouvelles, tant pas la richesse et la diversité des différents itinéraires de vie, que par leurs points communs. Beaucoup n'ont pas vraiment choisi de quitter leur pays, et à travers leurs histoires, c'est un panorama impressionnant de l'Histoire du XXième siècle qui se dessine et qui met en évidence le fait qu'ils ont bien souvent été ballotés par des décisions de nos politiques occidentales. Par contre ils ont quasiment tous choisi la France et à travers leurs yeux notre pays prend une beauté particulière, même pour ceux dont l'arrivée n'a pas été forcément facile (il est amusant de voir qu'à Cholet, ils ont quasiment tous dû, à un moment ou à un autre ramasser de pommes pour gagner leur vie). Il est particulièrement intéressant de les comparer avec des « français de souche », avec certains d'entre eux qui nés ici, et qui, nés ailleurs, auraient surement aimé cet ailleurs tout autant qu'ils aiment leur ici, ne se rendent pas compte à quel point certains immigrés peuvent aimer la France pour laquelle ils ont tout quitté. J'entendais un jour un responsable du FN dire: « On n'a qu'une maman, pour les pays c'est pareil, on ne peut en avoir qu'un » Comme si on n'avait pas une maman ET un papa, comme si on ne pouvait pas les aimer tout autant l'un et l'autre. Comme si on ne pouvait pas aimer ses parents adoptifs et continuer à aimer ses parents, comme si l'amour n'était qu'une question de choix ou d'ADN.
Au final, en refermant ce livre hybride, qui n'est pas vraiment une BD, mais qui est un peu plus qu'un texte illustré, cet assemblage de petits riens hétérogène, j'ai été surpris de constater à quel point sa lecture avait été enrichissante et agréable. Au point que j'aurais envie de dire que c'est une des livres les plus attachants et recommandable qu'il m'ait été donné de lire.
au cas où ça intéresserait des gens, on peut en commander à Fabien:
Fabien Grolleau
19 rue Victor hugo
56390 Grand-Champ
10 € l'exemplaire (j'offre le port)
18 € les 2 !!!!
"Une centrale nucléaire c'est comme une femme, il suffit de bien lire le manuel et d'appuyer sur le bon bouton." Homer J. Simpson