Comme promis, voici le texte que j'avais posté sur le forum Comics Sanctuary en août 2014. Ça remonte.
C'est l'occasion de regarder quelques images que j'avais récupérées et renvoyant à l'édition française.
L’HOMME DE L’ATLANTIDEIl est frais mon poisson !Récemment, un ami m’a offert… Oui, je sais, ça fait un peu « un inconnu vous offre des fleurs ». Et en plus, ce n’est pas la première fois que je débute cette chronique de la sorte. Mais bon, que voulez-vous, avec un tel charisme… Trêve de plaisanterie, recevoir un bouquin amène souvent à découvrir ou redécouvrir une histoire. Et dans le cas de notre sympathique Homme de l’Atlantide, il s’agit d’un récit qui, longtemps, est resté pour moi au stade d’une simple image dans les catalogues et les guides de cotations.Les plus anciens se souviendront de
L’Homme qui venait de l’Atlantide, cette série télévisée des années 1970 où un Patrick Duffy, en mode pré Bobby Ewing et au torse glabre, nageait comme un asticot dans des plans aquatiques à rallonge et posait des questions ineptes sur les us et coutumes de ces étranges créatures de la surface qui l’avaient accueilli. Namor du pauvre, Aquaman sans collant, Mark Harris, aux doigts étrangement palmés, est un mutant au passé mystérieux, sorte d’enfant sauvage de le mer dont la naïveté permet de construire une dynamique empruntant à la fois à
Candide et aux
Lettres Persanes, dans treize épisodes (ouais, seulement treize : c’est fou comme certaines séries courtes de l’époque ont laissé leur trace) à la narration étirée et traînarde, dont ne surnagent (hin hin hin !) que quelques bouts d’épisodes avec des méchants vaguement jamesbondiens ou des ennemis aux étranges pouvoirs de poissons électriques. Pour résumer,
L’Homme qui venait de l’Atlantide, c’est quand même pas terrible. À ceux qui en gardent un formidable souvenir, j’aurais tendance à donner le conseil suivant : restez dessus et ne tentez pas de regarder la série aujourd’hui.

Bref.
Mais comme plein de phénomènes télévisuels (ou cinématographiques) de l’époque (genre,
Cosmos 1999 adapté chez Charlton, certains épisodes étant réalisés par un John Byrne débutant déjà en bonne possession de ses moyens), la bande dessinée américaine s’est emparée du sujet. C’est Marvel, pour le coup, qui se charge de l’adaptation. L’infatigable Bill Mantlo, volontaire pour la moindre corvée et spécialiste
de facto des adaptations de toutes sortes (hé, il n’a pas rechigné à développer les faméliques univers de jouets pour les séries
Micronauts ou
Rom), se charge d’écrire les aventures, dessinées par Frank Robbins (sauf le premier épisode, réalisé par Tom Sutton et Sonny Trinidad, dont vous pouvez lire l’histoire en intégrale sur l’incontournable site Diversions of the Groovy Kind,
ici). C’est là que la chose est étonnante, somme toute. Frank Robbins est à l’époque en fin de carrière. Né en 1917, il travaille depuis la fin des années 1960 pour les éditeurs de
comic books. Chez DC, il réalise, en tant qu’auteur complet ou en tant que seul scénariste, de nombreuses histoires de Batman, créant notamment, avec Neal Adams, le personnage de Man-Bat (ou du Ten-Eyed Man que Morrison a modernisé récemment). Chez Marvel, dans les années 1970, Robbins travaille sur différents
comics de licence, dont
Human Fly et
Man From Atlantis, ainsi que sur la série
Invaders, écrite par Roy Thomas, qui lui permet pour le coup de retrouver l’atmosphère des récits d’aventure et de guerre qu’il réalisait dans les années 1940, au sein des *comic strips* paraissant dans la presse. Car le grand fait de gloire de Robbins, c’est surtout les
comic strips d’aviateur, parmi lesquels
Scorchy Smith, qu’il reprend, et surtout
Johnny Hazard, qu’il crée. Son style dynamique, vivant, sexy, très ombré mais très souple, rend la bande éminemment sympathique, d’autant que, pour peu que ma maigre culture en la matière me permette d’en juger, Robbins a parfaitement négocié l’après-guerre, parvenant à sortir du contexte militariste pour offrir du dépaysement à ses lecteurs.

Bref, c’est un grand dessinateur, qui se retrouve, comme beaucoup d’illustrateurs réalistes (Lee Elias, Don Heck, Don Perlin…), engoncé dans le format contraignant du super-héros. Nettement plus à l’aise quand il s’agit de dessiner des aviateurs en combinaisons, il se retrouve obligé d’illustrer les aventures d’hercules musculeux vêtus, ou pas, de costumes moulants.
Ce qui donne un cocktail étrange. Car Robbins, quand il représente Batman sautant d’un toit ou Mark Harris plongeant dans les flots tumultueux, surjoue l’expressivité corporelle, offrant des personnages anatomiquement justes mais contorsionnés à outrance. Sa patte graphique évolue sans doute également à cause du format. Libéré de la contrainte du
strip, imposant une maigre poignée de cases par bande, il ose des gros plans. Ses visages féminins profitent alors de zooms audacieux mettant en valeur leurs lèvres ourlées et leurs pommettes saillantes. Ce qui fonctionne très bien sur une bande paraissant dans un journal et fortement réduite à publication, peut se montrer inadapté à une page de bande dessinée, même si l’on peut aisément trouver, comme votre serviteur, que les femmes dessinées par Robbins irradient d’un charme incroyable et d’un caractère bien trempé (hin hin hin, bis !!!).
Bref. C’est magnifique, et en partie à cause de l’étrangeté du résultat et de l’inadéquation entre le style de Robbins et l’univers qu’on lui donne à illustrer.

En France, la série a connu une publication partielle (enfin, d’après les maigres éléments que j’ai pu recueillir) dans
Télé Junior. Cette revue hebdomadaire (enfin, pas tout le temps) ayant connu plusieurs numérotations, se donnait, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, pour but de proposer des bandes dessinées inspirées de séries télévisées. Étonnamment oubliée aujourd’hui, cette revue proposait de la création (notamment des aventures inédites de Goldorak ou d’Albator, peu reluisantes il faut le reconnaître), mais également des traductions diverses (les
strips de
World’s Greatest Heroes, à savoir la Ligue de Justice, mais aussi de
Dallas, des épisodes anglais de
Chapeau Melon et Botte de Cuir, voire des récits courts du
Clue Club, sans doute dessinés par Pat Boyette…). La périodicité variable, les relances nombreuses et les aléas divers de la diffusion en kiosque ont fait que toutes les périodes n’étaient pas toujours accessibles. Dans mon cas personnel, le gros de l’intérêt de la revue tenait dans les récits de super-héros, que ce soit le
strip de Pasko et Tuska cité plus haut ou les épisodes inédits de héros Marvel, souvent dessinés par Gérald Forton, et parfois par Rich Buckler ou Mike Zeck. Ma découverte imminente de
Nova, et donc des parutions Lug, et l’inégalité du contenu de
Télé Junior m’ont éloigné de la revue, dont j’ai loupé pas mal de numéros.

Étonnamment encore, sur le marché des bouquinistes,
Télé Junior est assez dur à dénicher et, chose paradoxale, quand on en trouve, c’est pas cher. Mais faut trouver. Donc, au petit bonheur la chance, je déniche un numéro de temps en temps. Outre les numéros de la revue proprement dite,
Télé Junior publiait des « albums », grand format, dos collé, pour le marché des kiosques, que j’ai pour l’essentiel ratés. Ou évités, je ne sais plus. Et j’ai longtemps cherché cet album (et celui consacré au Buck Rogers télévisé et contenant des planches de Gray Morrow), sans le dénicher.

C’est Sébastien Carletti, mon co-auteur de
Nos Années Strange, si je me souviens bien, qui m’a trouvé ce recueil contenant, sous une couverture inédite de Parras, trois épisodes (tronçonnés) des aventures BD de Mark Harris. J’ai donc lu ces aventures sur le tard. L’album contient les épisodes #2 à #4 de l’éphémère série Marvel, qui n’en comprendra que sept. Le site ComicsVF ne semble même pas connaître l’existence de cet album, c’est dire si, au final, l’album a été peu remarqué. Les deux premiers épisodes contiennent une énième confrontation avec Mister Schubert, vilain jamesbondien de la série, et la troisième partie raconte comment Mark Harris communique avec une espèce de spores extraterrestres à l’esprit de ruche. Les épisodes de l’époque faisaient dix-sept pages, mais la publication orchestrée par
Télé Junior a procédé à quelques coupes assez violentes, même si la présentation évite la casse et que le récit ne perd guère en fluidité. La traduction cumule contresens et faux-amis, et s’impose comme un guide des choses à ne pas faire en matière d’adaptation. Mais malgré ses défauts, cette parution représente à ma connaissance la seule occasion à peu près accessible de lire en français la série
Man from Atlantis.

Je dis bien « à ma connaissance », puisque le site Ma Télé Quatre-Vingt semble préciser, en signalant quelques couvertures de la revue, que plusieurs épisodes ont accédé au marché français. Mais sont-ce les trois épisodes compilés dans l’album, ou d’autres ? Pas sûr pas sûr. Mais puisqu’il faut rendre à Julot ce qui appartient à César, je vous donne le lien vers le site Ma Télé Quatre-Vingt, qui fait
un zoom sur Télé Junior, et vous pourrez lire un épisode entier (celui des spores) à cette occasion. Après tout, je lui emprunte quelques images, il est de bon ton de renvoyer les gens dans la bonne direction. À l’occasion de cet épisode, vous constaterez comment Robbins fait bouger son dauphin humain, et peut-être que, comme moi, vous songerez qu’il aurait fait un illustrateur épatant pour Tarzan, dont il livre ici une copie marine, troquant le pagne panthère pour le slip de bain.

Avant de vous quitter au bord des plages océaniques, je signale également le site Plaid Stallions, qui propose à la curiosité populaire des extraits d’une
adaptation anglaise de Man from Atlantis tirée de Look In, hebdo anglais contenant, comme souvent dans la BD anglaise, du matériel de premier ordre. Vaste terre inexplorée que l’Angleterre, en termes de BD.
Jim