Des cris déments déchirent la nuit : « Vous m’entendez ? ». Un bateau remonte le fleuve Congo, à la recherche d’un homme perdu dans une jungle profonde et brumeuse. Des animaux féroces rôdent. Kurtz est en fuite. Ceux qui habitent près du fleuve refusent d’être asservis.
Michaël Matthys s’interroge sur ce qui poussa des colons à chercher gloire et richesse dans une nature hostile, sombrant dans une une folie et une barbarie sans retour. Les grands formats au fusain et au sang forment dans son atelier une adaptation libre, monumentale, crue et captivante, d’une œuvre qui l’est tout autant, Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad.
Dans Kurtz, le colon n’a pas été secouru et hurle dans la jungle, au comble de sa folie. Tout est vu à travers ses yeux, sa démence nous mène au plus profond d’une forêt vierge où le jour filtre à peine... au cœur de ses peurs, de ses représentations. Les dernières phrases du roman de Conrad, les cris de Kurtz forment le texte de ce livre, scandent sa démence grandissante. La vision de Kurtz déshumanise de plus en plus ceux qu’il essaie de soumettre à son entreprise. Les innommables crimes de la colonisation belge se rappellent à l’auteur et à nous à travers des flashs, hallucinations ou souvenirs de Kurtz.
Des images d’archives ont nourri le travail de Michaël Matthys, à mesure qu’il avançait dans l’obscurité d’un contexte historique glaçant, documenté mais très peu enseigné. Il dessine au fusain et lave ses feuilles au sang de bœuf, détruisant les détails et redessinant sans cesse, jusqu’à obtenir ces images puissantes, sombres et directes.
Les paysages, les visages, le bateau qui le cherche sont brouillés, distanciés. Les doigts du dessinateur laissent de sanglantes empreintes, éclaboussures et hachures disent la violence avec laquelle Kurtz pense et voit le monde, violence qui se retourne contre lui.
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