edgarmint a écrit:Ouvrage consacré à Nicolas De Crecy par Jean-Marc Pontier édité chez PLG et à paraître en septembre prochain :
Un homme assis s’interroge, face au livre mystérieux de son avenir. Il tourne le dos à un autre livre ouvert sur des textes mêlés d’illustrations. Sans doute cette image inédite de couverture est-elle emblématique d’un état, celui d’un auteur parvenu à sa pleine maturité artistique et qui doute cependant. S’inscrivant précisément dans cette problématique de la remise en question, "Périodes graphiques", est l’occasion de revenir sur le parcours d’un artiste original. Dotée de plus de 150 illustrations tirées de ses livres ainsi que de dessins inédits et d’une bibliographie complète, cette monographie a pour but d’analyser en profondeur une des oeuvres les plus denses de la Nouvelle Bande Dessinée.
J'avais oublié combien j'aimais ce livre et pourquoi je le laissais sciemment reposer, un peu à l'abris des regards inopinés, sur une étagère de ma bibliothèque mais pas forcément à la meilleure place.
Je voulais évidemment le cacher à ma vue pour un certain temps et ne pas être tenté, en passant, par un feuilletage rapide comme un effeuillage mais qu'on oublierait aussi vite ; un strip tease book ou un book strip tease décidément pas pour moi et surtout pas pour ce livre.
Carnets de Kyoto est un livre d'images qui paradoxalement commence par une lecture. De Crécy y est d'emblée vif et brillant, son écriture retranscrivant merveilleusement et précisément ses premières sensations japonaises, son hypersensibilité à l'approche de Kyoto, de la villa Kujoyama, la fameuse résidence d'artiste maintenue au Japon par l'institut français. Elle a accueilli, entre autres, des artistes aussi différents que Jean-Philippe Toussaint, Emmanuel Guibert ou Jean-Charles Fitoussi.
De Crécy écrit notamment : "l'idée était d'arriver en mauvais élève, sans guide, sans carte, sans documentation, sans avoir lu ni la Chronique japonaise de Nicolas Bouvier, ni l’Éloge de l'ombre de Tanizaki. Pour parfaire le concept, j'ai pris soin d'éviter les passages obligés, comme le Kinkaku-ji ou le jardin zen du Ryoan-ji et leurs foules agglutinées, dans l'espoir de les découvrir involontairement au cours d'une déambulation sans but."
Nous voilà prévenus car nous avons pris soin de lire.
Ici, les images seront autant de surprises que de rencontres opportunes. L'artiste, armé d'un vélo qu'on retrouvera parfois sur le dessin, va sillonner la ville sans but précis, en affichant la juste curiosité qu'un voyage à l'autre bout du monde justifie plus que tout.
Personnellement, j'aurais relu l'Eloge de l'ombre de Tanizaki, j'aurais aussi pris avec moi le fameux Oreiller d'herbes de Soseki et bien d'autres livres encore parce que curieusement, les absences de ces grands livres se ressentent dans Carnets de Kyoto par la paradoxale proximité de ton et de point de vue d'auteurs séparés pourtant par plus d'un siècle et disons-le, toute une civilisation.
Si ceux-ci sont volontairement oubliés par De Crécy, il ne vient pas seul tout de même. Son esprit, son imagination, tout un bestiaire figure dans sa tête un Japon déjà présent dans son oeuvre. Ici, il convoque les esprits japonais, la crainte des onis, l'incongruité des kappas ou des yokaï et c'est au final tout un pan de culture japonaise qui l'accompagne.
J'évoquais en préambule un livre d'images qu'on devait d'abord lire, il ne faudrait pas que j'oublie le dessin, grandiose, de Nicolas De Crécy. Les amateurs de ses albums ne seront pas déboussolés tant sa patte graphique est facilement identifiable dans ce que ses détracteurs qualifieraient à la va-vite de gribouillage rapide. Ce serait oublier à quel point son trait sait avant tout saisir et coincer dans un mouvement simple toute la splendeur d'une situation. Son œil est vif et si on ajoute d'indéniables qualités techniques à un sens de la composition qui n'a de cesse de me surprendre, on obtient un artiste aussi à l'aise avec son crayon que Raymond Depardon avec son appareil photo. Ces dessins font sens et s'analysent, se racontent, racontent, et personnellement, m'apaisent.
S'il y a bien un point que De Crécy a parfaitement su saisir du Japon, c'est la sérénité tranquille qui se dégage de ses scènes quotidiennes, à l'exact opposé de ce que vendent nos médias de la frénésie et de l'hystérie. Il y a tout un Japon qui répond à ça.
Je disais que c'était un livre d'images qui d'abord se lisait. Je ne mentais pas, même s'il y a trop peu à lire. On aimerait des pages et pages de ces commentaires pointus et astucieux, de cette acuité qui fait l'artiste comme quand il explique : "la pratique du dessin, qui rejoint sans doute le désir de graver quelque part le fait que l'on soit vivant, prend ici tout son sens, par sa capacité à traduire la légèreté d'un instant".
Vous comprenez maintenant pourquoi je refuse de feuilleter ces Carnets de Kyoto au hasard, ils sont à découvrir dans l'ordre, presque scolairement. S'imprégner du texte revient à se mettre à la place de l'artiste, de voir dans son œil et de déambuler sur le porte-bagage de son vélo. On assiste ainsi aux mêmes scènes et contemplons ensembles la beauté d'une ville qui ne cesse de surprendre, entre exotisme, modernité, religion et mysticisme.
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