Vainsy a écrit:Si j'ai bien compris, la réalisation de cet "album" a pris environ 2h30 de la vie de Giraud et Bati : les deux gars se sont assis devant une télé, ils ont lancé la VHS du dessin animé qui préexistait (1954), ont mis sur "pause" régulièrement, puis Giraud faisait un crobard rapide et Bati mettait le tout au propre. J'ignore qui a accouché de la couverture au final. Giraud assumait complètement l'aspect purement lucratif (et absolument dénué de la moindre créativité) de la chose et disait que si les vrais fans achetaient l'album uniquement pour son nom sur la couverture, c'était tant pis pour eux (il attendait de la part de ses lecteurs un minimum d'intelligence)...
Me voilà un peu rassuré, pas pleinement, certes... Mais je m'enorgueillis d'avoir eu (depuis, j'ai bien du perdre quelques millions de neurones
) à cette époque où j'achetais 99,9 % de ce que produisait Giraud-Moebius, le minimum de bon sens qu'attendait Giraud de la part de ses afficionados.
Pendant cette période où Giraud était sous l'influence du gourou Appel-Guery, j'ai par exemple acheté ceci
ainsi que (les doublons ne me dérangeant aucunement
)
Ou encore cela, avec déjà beaucoup moins de conviction
Prenant plaisir à contempler ces albums
Allant jusqu'à acheter des porte-folios (Blueberry, Cristal saga, Après-midi à Bruxelles, La Cité feu etc...) et quelques tirages de tête et sérigraphies...
Mais pas ça :
Ce conte politico-philosophique de George Orwell est suffisamment accessible et compréhensible pour ne pas nécessiter d'y plaquer des images ou le transposer en BD.
Non pas que je sois contre toute adaptation d'une oeuvre littéraire en BD. Mais encore faut-il que l'adaptation apporte réellement quelque chose.
C'est le cas pour les romans de Léo Malet (
Les nouveaux mystères de Paris et de façon plus générale
Les enquêtes de Nestor Burma) dont le cadre urbain est essentiel dans l'esprit de l'écrivain qui voulait fixer à jamais l'atmosphère et la vie de certains quartiers en pleine mutation à la fin des années 50. Ce décor citadin est difficile aujourd'hui à reconstituer mentalement pour le lecteur, même s'il réside dans la capitale. Néanmoins, je me réjouis que Tardi et ses successeurs se soient attelés avec brio à cette tâche. Ils ont compris où résidait l'intérêt de ces fictions policières. Ils ont la possibilité (documentation et talent suffisent) de reproduire tous les "extérieurs", là où les réalisateurs de la série télé se trouvaient dans une impasse. Les réalisateurs ont donc dénaturé le sujet, n'insistant que sur l'intrigue (parfois cousue de fil blanc) et la gouaille du détective.
De plus, Malet, à la différence de Hammett ou de Manchette (partisans de l'écriture "behavioriste"), est particulièrement disert sur les états d'âme de son personnage principal. Là encore, un bon auteur de BD peut aisément retranscrire des réflexions intimes quand la télévision ou le cinéma se heurtent à de nouvelles difficultés (dilemme sur l'usage de la voix off).
J'ignorais dans quel état d'esprit (bâclage délibéré !) Giraud et Bati avaient produit cet album, mais un rapide examen m'avait très vite rebuté. Je ne blâme pas l'éditeur d'avoir voulu surfer sur cette vague et profiter de l'effet de mode, mais encore aurait-il fallu avoir un peu plus d'ambitions et d'exigences quant au niveau de qualité de la BD à tirer du conte d'Orwell.
Si Giraud signe bien la couverture de l'album, les habitués ont quand même du mal à reconnaître sa patte.
Au passage, on peut observer que depuis le tapage fait autour de l'oeuvre de George Orwell (juste un peu avant l'année 1984, et pour cause !) et les fabuleux tirages de
1984 et
La ferme des animaux, l'usage de slogans creux et vides de sens, la manipulation des masses et leur surveillance de plus en plus étroite ne sont pas en voie d'extinction, ni un simple mauvais souvenir. A se demander si beaucoup de gens ont lu Orwell et parmi ceux-ci, qui a compris le fond du message ?
Une majorité de femmes et d'hommes politiques (ceux qui sortent des bancs de facs de droit et d'écoles type Science Po ou ENA) ont en revanche parfaitement assimilé les leçons à tirer d'un autre ouvrage tout aussi édifiant :
Le Prince. Il n'est pas d'Orwell, celui-ci, mais d'un Florentin de la Renaissance : Nicolas Machiavel.