Hypocondrie(s) par Terreur Graphique éditions 6 pied sous terreNouveau livre de Terreur Graphique aux éditions 6 pieds sous terre après « Rorschach », Hypocondrie(s) est sans doute moins poignant que son prédécesseur, mais telle n'est pas son ambition. Hypocondrie(s) raconte l'histoire d'une rupture. Sam est un hypocondriaque dont le trouble envahissant et obsessionnel va finir par lui ruiner son couple. A l'obsession maniaque de Sam, répond la construction complexe et sophistiquée du livre, comme si la névrose du héros vis à vis de son corps et de sa forme physique correspondait à une névrose de l'auteur pour le livre et sa dimension formelle, mise en page, mise en couleur, et découpage. L'histoire est découpée en onze chapitres, chacun marqué par une gamme chromatique particulière et parrainé par une référence culturelle forte, le tout émaillé de mises en pages variées, recherchées et souvent virtuoses. Il est un peu dommage d'ailleurs que l'éditeur n'ait pas prolongé cette obsession formelle sur le plan éditorial, le livre étant un tout petit peu décevant en tant qu'objet. Reliure de qualité moyenne, et choix des papiers corrects, mais sans plus.
Malgré cette convocation de « l'extraordinaire » que représente l'hypocondrie du héros, c'est paradoxalement, dans le côté ordinaire de cette rupture que le livre est touchant. Cette hypocondrie faisant finalement office de métaphore pour convoquer les petits défauts du quotidien, les petites névroses ordinaires, les petites manies routinières qui peuvent, telles des nuées de bactéries, devenir envahissantes et grouillantes au point de définitivement tuer un couple. C'est d'ailleurs, pour le lecteur une expérience surprenante et presque inquiétante de réaliser à quel point il peut facilement s'identifier à ce personnage si exceptionnellement et pathologiquement névrosé. (ou alors c'est moi?).
Ce qui est intéressant aussi, quand on place Hypocondrie(s) dans la continuité des livres déjà parus de Terreur Graphique, c'est de se rendre compte que dans tous ses livres on retrouve les mêmes ingrédients, en vrac: des personnages névrosés, un humour grinçant, un certain attrait pour la vulgarité et la grossièreté, une observation fine et sensible du quotidien, une sincérité totale parfois presque impudique, une certaine dose d'outrance, un rapport aux corps très organique, pas mal de graisse et de sueur, des références culturelles et musicales très importantes et toujours très pointues, une recherche formelle très sophistiquée et expérimentale mais jamais gratuite qu'il pousse jusqu'à adapter à chaque fois son encrage et sa mise en couleur à son histoire, pour donner un aspect sensiblement différent à son trait pourtant toujours reconnaissable, beaucoup d'intelligence à tous les niveaux. Et, malgré ces éléments communs, les dosages entre ces différents ingrédients changent radicalement d'un livre à l'autre de sorte qu'à chaque fois, on ait l'impression de lire quelque chose de complètement différent et nouveau, ce qui fait qu'à mon humble avis, Terreur Graphique est en train de construire petit à petit une œuvre pour le moins remarquable.
"Une centrale nucléaire c'est comme une femme, il suffit de bien lire le manuel et d'appuyer sur le bon bouton." Homer J. Simpson