Shingooz, c'est un fait qu'il y a de très bons albums sur le marché et que les éditeurs jouent indéniablement le rôle qui est le leur. Mais si je me mets à leur place et qu'un individu se présente à moi, qu'il me dit qu'il veut être publié, qu'il n'a jamais fait un album de BD, scénario/dessin/couleur, qu'il veut être libre de ses choix, et qu'en plus, il veut des avances sur droit, il me semble que j'aurais un petit sourire en coin, au moins... "- Revenez me voir quand vous aurez du concret, mon cher monsieur."
Donc, en effet, j'ai développé ma bande dessinée loin des éditeurs car je ne pouvais simplement pas leur proposer un deal viable. Travaillant mon projet comme un hobby, à mes heures quand il y en avait, je ne pouvais rien garantir: ni date de livraison, ni précision dans le scénario, ni même qualité tout court. Mon projet ressemblait donc plus a un fort désir de réalisation, une exploration, une aventure qu'à un projet monnayable qui pouvait rentrer dans des clous.
Aujourd'hui que je m'approche du but final, et le fait est que ce fut incroyablement enrichissant et constructif. Car avoir le loisir de se confronter à des questions et d'y répondre sans contrainte est un véritable luxe; l'unique obligation étant la finalité du récit.
Aussi, je doute qu'un éditeur m'ait ouvert ses portes avec un scénario articulé comme l'est celui du SUCRE DE LA PIERRE. Ce que je veux dire est que l'écriture s'est faite à l'écrit et au dessin simultanément, et qu'un scénario verrouillé pouvait difficilement aboutir à ce que j'ai aujourd'hui. Le dessin est l'écriture en soi. Ex: sur la planche du plongeon
https://www.bdgest.com/forum/le-sucre-de-la-pierre-t84214.html, c'est le dessin qui a inspiré le texte, et non l'inverse.
Mais mon propos sera d'autant plus clair lorsque les lecteurs (puisse-t-il y en avoir légions) auront le livre entre les mains. Ils constateront que les 10 premières planches une fois réduites à la simple expression du scénario pur, et donc sans illustration, risquaient de ne pas séduire, et d'être peu négociable. Pourtant une fois réalisées et mises à l'épreuve du lecteur, ces pages fonctionnent très bien grâce au procédé de création simultanée. Elles deviennent pour le coup assez singulières.
(Désolé de ne pas pouvoir vous montrer maintenant, vous comprendrez que je préserve la fraîcheur de l'oeuvre à ce stade.) Il me semble avoir entendu dire que Myazaki travaillait de cette façon.
Maintenant pour la blague, si je dis travailler du fond de ma grotte, c'est justement parce que je dessine une grotte. Non l'inverse...
En résumé, et en ce qui me concerne, si je devais repartir sur un projet BD, je repartirais avec une vision aussi forte que possible, et pas avec un scénario trop scellé, mais encore ouvert à l'écriture par le dessin. Ce qu'un éditeur ne peut accorder à un auteur inconnu.
Encore merci pour ces notes, mais il est temps que je retourne dans ma grotte.
@+