Ne vous y trompez pas en voyant ces affiches de propagande (la troisième figure dans le dossier qui clôt le tome 1 de Eloy). Ce ne sont pas des casques allemands mais des casques espagnols, fabriqués dans l'usine de Trubia dans les années 30. Des casques dits "casco con ala" (avec bords) par opposition au "casco sin ala" (sans bords).
Ces casques équipaient aussi bien les troupes des forces loyalistes républicaines que celles des troupes rebelles dirigées par Franco. Les fascistes et autres phalangistes y peindront des insignes (notamment un joug avec cinq flèches) pour se distinguer de ceux qu'ils affrontent (les brigadistes).
Ceci en préambule pour vous mettre dans l'ambiance et annoncer que j'ai terminé la lecture des deux épisodes contenus dans le premier tome de l
'Intégrale Eloy, entièrement écrite et dessinée par Antonio Hernandez Palacios.
Graphiquement, c'est époustouflant et sur le plan littéraire, Palacios utilise toujours le mot juste.
Il restitue la fureur des combats sur le front avec maestria. La reconstitution paraît
(je parle au conditionnel n'étant pas historien ni un spécialiste de la question) irréprochable, très sérieuse. C'est néanmoins ce qu'affirme l'historien auteur du dossier accompagnant les deux récits. Dossier plus qu'indispensable pour contextualiser les deux récits contenus dans ce tome 1, mais pas suffisant
(voir remarque in fine).
En effet, Palacios "se borne" à relater les faits (des Espagnols qui s'entre-tuent parce que les grandes puissances totalitaires (Allemagne et URSS) sur le point de s'affronter sur un plus vaste théâtre d'opérations ont choisi la péninsule ibérique pour faire une répétition et tester leur matériel en conditions réelles.
Cette guerre que décrit Palacios, c'est celle de certaines lignes de front, là où ça chauffe le plus. C'est une guerre de positions, avec des tranchées, des assaillants et des troupes qui défendent, des tirs d'artillerie meurtriers et des fantassins qui se tirent dessus, se balancent des grenades et s'étripent au corps à corps à la baïonnette voire au surin (les rebelles de Franco comptent énormément de combattants aguerris venus du Maroc).
Bien qu'Eloy appartienne au camp des Républicains, Palacios ne profite pas de cette BD pour honnir le camp adverse. Les soldats qui s'affrontent sont assez semblables, ce sont leurs chefs qui diffèrent. L'historien auteur du dossier valide ce choix de l'auteur au prétexte que malgré l'âpreté des combats, les pires bassesses et saloperies innommables eurent surtout lieu à l'arrière du front, en retrait.
Palacios nous plonge dans ce chaos avec virtuosité.
Je formulerais toutefois quelques réserves.
L'auteur, qui ne tient pas à proposer une fiction, s'en tient à une relation objective et à la pure description de faits ; le tome 1 pourra dérouter le lecteur de BD qui s'attend à de palpitantes aventures, avec un ou des héros.
En fait, il devra fournir un effort pour se familiariser avec cet univers composé de brigadistes et de phalangistes, et avec cette narration objective qui interdit de suivre les péripéties vécues par un personnage en particulier
(Eloy, témoin de ces combats, n'est pas un acteur principal. Ce n'est pas à lire les aventures d'Eloy que nous sommes conviés).
Personnellement, j'ai pris davantage (énormément) de plaisir à la lecture du second récit en 46 planches (
Rio Manzanares), qui nous fait vivre le siège et les premiers assauts contre la capitale, accompagnée de bombardements des Rebelles (des fascistes, donc).
Sans s'y attarder, Palacios en quelques cases décrit le quotidien des Madrilènes qui tentent de (sur)vivre malgré ce chaos, avec les tramways toujours en circulation comme le montre la "splash page" (avant dernière planche du second récit) dont le dessin est repris pour la couverture de l'album, et des mères à la recherche de denrées pour nourrir leur famille.
C'est dire qu'à la différence de
Double 7, on n'est pas dans l'anecdotique avec la figure d'Hemingway ou des personnages fictifs auxquels on pourrait s'attacher.
Les noms qui reviennent sont ceux des combattants et des chefs devenus célèbres au sein des Brigades internationales ou dans le camp franquiste (Durruti, Kléber, Valera, etc...) et les noms des différentes brigades.
Les véritables "héros" sont les soldats inconnus, dans les deux camps, victimes des tirs meurtriers de fusils, mitraillettes, des obus, des bombardements ainsi que les civils [*] exposés à cet enfer ; il semblerait que ce soit à ces derniers que Palacios ait voulu rendre hommage en restituant par le texte et l'image cette guerre qui a ravagé son pays.
[*] ceux qui ne se sont pas enrôlés au sein des Brigades, puisque nombre de brigadistes sont à la base des syndicalistes.
Un des principaux reproches que j'adresserais à l'éditeur est de n'avoir pas pensé à reproduire, puisque Palacios ne l'a pas fait lui-même dans ses deux premiers albums, quelques cartes permettant de mieux situer les zones de combats et de mieux appréhender la progression de l'armée putschiste, les territoires conquis par celle-ci au moment où débute le récit, etc...
Une carte comme celle-ci eût trouvé toute sa justification en début d'album.
Et avant d'attaquer la lecture du second récit "Rio Manzanares" qui s'ouvre sur le siège de Madrid, ces cartes n'eussent pas été inutiles :
Celle-ci permet de visualiser la rivière Manzanares qui traverse Madrid avant de rejoindre le Tage. On y voit le fameux "Pont des Français" et la Cité universitaire dont il est régulièrement question dans le récit.
Ceux qui cherchent avant tout à se délasser avec une BD récréative et une aventure fictive riche en rebondissements et en personnages auxquels on s'attache passeront leur chemin. On est ici dans une sorte de reportage a posteriori, comme si l'auteur avait été un correspondant de guerre.
Malgré les quelques réserves exprimées, j'attends la parution du tome 2 de l'intégrale (annoncé pour le 23/10) avec impatience.
Comme il est décrit sur les sites marchands avec un nombre de pages identique au tome 1, et que les Humanoïdes Associés n'avaient édité qu'un troisième tome unitaire en 46 planches intitulé
1936, je suppose que l'éditeur a prévu d'y adjoindre un quatrième récit demeuré inédit ?