MadFad a écrit:un album paru en 1991 dont le style graphique est à mi-chemin entre les DD de Miller et le futur Sin City dont on commence à voir poindre les prémices ...
Entièrement d'accord.
J'en parlais encore il y a peu :
Jimbolaine a écrit:De même, j'aurais bien mis Elektra Lives Again, un truc qui me fascine depuis des années, un graphic novel que Miller a entamé dans la foulée de Dark Knight Returns, qui aurait dû précéder Born Again, mais qui a pris des années de retard (because Miller au cinéma, because ceci, because cela…). Ça me fascine parce que, quand on le lit, on voit bien que certaines pages sont construites comme Dark Knight Returns, avec des gaufriers, beaucoup de noir, des angles secs… et d'autres pages annoncent déjà Sin City (à mon avis, il bossait déjà dessus), avec de grandes cases dessinées au trait, ce genre de chose. Cette gestation me fascine.
MadFad a écrit:quant à la trame de l'histoire, comme toujours chez Miller, c'est du noir absolu ... cauchemar ... angoisse et tourment ...
on retrouve donc un Matt Murdock hanté par la disparition d'Elektra et pourtant il est persuadé qu'elle est toujours "en vie" ... pour ne pas trop spoiler je dirai juste qu'il a raison et tort ... héhé ...
Alors pour l'intrigue (et pour répondre, avec des années de retard, à quelques remarques sur cette discussion), il faut savoir qu'
Elektra Lives Again est, à la base, la jonction entre le premier
run de
Daredevil (qui se concluait sur la mort d'Elektra, l'acceptation du deuil, la tentative de résurrection par la Main, puis le duel final avec Bullseye, dans un magnifique épisode encré par Terry Austin qui met en valeur le trait anguleux de Miller, là où Janson arrondissait les angles) et le second
run de Miller ("
Born Again", dessiné par Mazzucchelli).
Dans cette perspective, Miller reprend peu ou prou là où il avait lâché la série. Dans une interview donnée en pleine période
Daredevil, il disait qu'il envisageait de faire partir Murdock loin de la ville, de lui faire faire un périple (sous forme de quête de soi, d'une certaine manière), puis de le faire revenir. Il ne l'a pas fait, puisqu'il a quitté la série sur un premier cycle bouclé pour aller faire
Ronin puis
Dark Knight Returns chez DC. On retrouve des traces de tout cela dans
Daredevil #219 (dessiné par John Buscema) où Matt,
incognito et sans le costume de Daredevil, résout une affaire dans une petite ville de banlieue, dans
Daredevil #226 (co-écrit par Denny O'Neil, où Murdock donne l'impression de redécouvrir sa vie), ainsi que dans
Elektra Lives Again (et un peu
Daredevil Love & War, mais moins).
Dans l'esprit de Miller, tout cela constitue un seul cycle. Et
Elektra Lives Again se situe, dans la chronologie de Daredevil, avant
Born Again (on le voit à la scène où il reçoit un appel téléphonique de Karen, qui lui flanque le bourdon). Dans le plan initial, le "retour" d'Elektra détruit toutes les certitudes de Matt et le plonge dans un doute profond, ce qui rend le complot du Kingpin, dans
Born Again, d'autant plus efficace que Matt n'a plus les défenses mentales pour résister.
Là dessus, Miller se met au dessin, mais ça prend des années, parce qu'il est sollicité par Hollywood (
Robocop 2) et qu'il écrit pour d'autres dessinateurs, tout en écrivant des projets d'adaptations de héros Marvel (aucun projet n'aboutira, mais son script d'un film Daredevil donnera le
Man Without Fear dessiné par John Romita Jr). Et donc ses planches prennent beaucoup de retard, et pendant ce temps, il évolue dans sa façon de raconter. C'est ainsi que, comme je l'expliquais, certaines pages (faciles à reconnaître : petites cases, beaucoup de noir) datent d'une période où il dessinait
Dark Knight Returns avec un gaufrier comme structure narrative), et d'autres pages sont plus récentes et annoncent, comme certains l'ont expliqué (grandes cases d'escalier…) son futur travail sur
Sin City.
C'est donc très déconcertant, parce que Miller se livre à cette occasion à une recherche formelle, pour voir dans quelle direction son "nouveau style" le mène. On passe donc par plusieurs traitements visuels. De même, il ressort ses influences picturales, et notamment Egon Schiele, ce qui est particulièrement frappant dans la longue scène de baston dans le cimetière enneigé. Et Schiele, avec ses personnages squelettiques, émaciés, tuméfiés, c'est pas glamour (c'est pas la sculpturale Casey McKenna de
Ronin, quoi…).
Donc, pour résumer : un
graphic novel qui prend des années à sortir et qui se retrouve déconnecté de la continuité (ce qui peut gêner pour comprendre les enjeux, surtout si on n'a plus le premier
run en tête), un style visuel et narratif en pleine métamorphose et des références picturales rugueuses (j'adore Schiele, mais je reconnais que c'est pas facile), ça peut expliquer qu'
Elektra Lives Again soit regardé avec un œil au minimum ciconspect.
Jim
PS : vous avez repéré la petite Carmen Cru qui sort du cimetière, au fait ?