Une énième rétrospective de 2020, un topic au carrefour des bilans d'achat et des sélections en tout genre qui fleurissent traditionnellement en fin d'année.
Vous pouvez retrouver et participer sur le forum à des bilans plus quantitatifs concernant les
comics et les
mangas.
D'un point de vue achat, sont arrivés dans ma bibliothèque 220 bouquins DL2020 (+ 4 DL2019 publiés cette année). Prédominent les mangas (gérés principalement par madame), suivis des one-shots / pavés / romans graphiques puis les comics, enfin quelques FB48CC se retrouvent esseulés dans cet océan de mauvais goût... (
Plus de détails par ici). Gardant un oeil sur un budget mensuel déjà bien élevé, je n'ai pas acquis tout ce que je désirais. De toute manière, il aurait été peu probable de trouver le temps lire toutes ces hypothétiques acquisitions, sans compter le risque de saturation.
Car en ce qui concerne la lecture proprement dite, 230 albums sont passés sur mon chevet (une moyenne de 4,42 BD's par semaine), dont 140 estampillés DL 2020. Peut-être l'année où j'ai le plus bouquiné de BD's.
La liste qui suit n'a rien de la "sélection idéale 2020". Pas hiérarchisée (si ce n'est selon la date de parution). Pas exceptionnelle non plus car on retrouve pas mal de bêtes de course, auxquels se mêlent quelques machins anecdotiques et maladroits que les amateurs de petits miquets vont vite zapper. Pas de critères établis (je ne sépare pas "scénario", "dialogue", "dessins", etc... une BD n'est pas à mes yeux la somme d'un ensemble). Cette liste ne reflète juste une partie des bons moments de lecture des BD's sorties cette année.
Le bouquin étonne déjà par sa conception,
voir les quelques clichés par ici très inhabituel en BD. Mikkel Ørsted Sauzet reprend une nouvelle de Tchekhov pour en faire un récit d'anticipation minimaliste, aux dialogues aussi décharnés que le regard des personnages, dans un monde à la dérive.
Pour son aspect writer's room à la française, j'étais curieux du projet éditorial. Complots, cliffhangers à foison, un dessin et un découpage propres et sans bavures en font un des page turners les plus efficaces que j'ai pu lire en FB ces dernières années.
Bouillonnant, irrésistible, baroque d'une certaine façon. La première BD à faire le croisement entre la fantasy et la haute couture.
Swan, où la cousine fictive de Edgar Degas qui se retrouve au carrefour de l'histoire de l'art. Passionnant, excellement raconté, ce deuxième tome ne faiblit pas.
J'ai découvert Gabrielle Piquet depuis peu avec
la Nuit du Misothrope. Son nouveau récit prend place cette fois-ci à Edimbourg au début du XXème siècle, où ses personnages sont dans une quête désespérée du bonheur. Moins digressifs que sur le précédent, ses récitatifs toujours aussi écrits finement. Son trait est comme une petite musique qui ne se heurte jamais, et qui sonne toujours juste.
Oeuvre phare et gargantuesque de JM DeMatteis et Jon J Muth, j'ai opté pour une lecture plus étalée de ce "conte pour adultes. Ce récit initiatique m'a donc accompagné pendant plusieurs semaines, dévoilant sa poésie, son goût de literature...
A mi-chemin entre une collection d'expériences visuelles, une anthologie d'histoires courtes et un catalogue d'exposition,
Eldorado présente un Tobias Schalken naviguant d'un medium à l'autre, dégageant une évidente maîtrise "artisanale" dans tout ce qu'il touche ou écrit. L'auteur disait en substance dans une interview ne pas vouloir séparer BD et installations, ce qui suppose à mon avis qu'il les aborde de la même façon: voir l'extraordinaire dans le réalisme ordinaire.
Deux soeurs que tout oppose, avec une rare violence. Deux faces d'une même médaille qui se questionnent, un écho des jeunes générations qui cherchent leur place dans ce monde.
Succès en librairie, il est difficile d'ignorer l'ambition, le travail minutieux et la puissance naturelle du bouquin.
Encore une histoire d'une jeune génération qui s'interroge sur sa place, qui angoisse quand à son futur quand le présent devient tous les jours un peu plus étouffant. Eleanor Davis nous rappelle de ne pas céder au désespoir par les temps qui courent. Une lumière dans les ténèbres actuelles.
Le récit d'espionnage qui pousse la paranoïa à l'extrême. Le masterpiece de Matt Kindt.
Ils en ont fait le serment. Prendre son vélo, rouler à tout allure et suivre les lampions que la rivière emmène au fond de la nuit éternelle. Une belle fable onirique couleur bleu qui prend le temps de se développer.
Depuis le changement de paradigme du tome 22, la tension est montée crescendo, stressant toujours un peu plus les lecteurs assidus du monde entier. Les enjeux qui paraissaient si simples pour nos jeunes héros survivants au début de la série ont complètement changé, les notions de bien et de mal se sont complètement effrités. C'est toujours plus intense, noir et désespéré. L'éditeur Kôdansha a confirmé que le manga sera bouclé au tome 34. Au vu des derniers développements, ça va être cataclysmique.
"Dans la montagne ensanglantée,
Je n'étais que berger,
Ô vengeance, guide mes pas,
Un jour, je serai roi."
Une saga d'heroic-fantasy ne comportant que des splash pages détaillant une faune et flore bariolées, et dont l'échelle de représentation varie à peine. On se croirait en train de jouer à une adaptation retro-RPG de Donjons. Et puis bon, c'est boucherie toutes les 3 pages, donc je valide.
Le
Fils du Roi, suite directe, se veut moins rigide dans sa mise en page, mais ça n'en reste pas moins digne d'intérêt.
Quel beau livre que ce
Peau d'Homme, peut-être son scénario le plus décomplexé en dehors de
la Nuit mange le jour. Ode à la liberté d'aimer et d'être soi, c'est d'autant plus terrible que ce bouquin aussi lumineux soit son dernier avant qu'il ne cède à ses démons.
Malgré la succession de scénaristes et de reboots, le X-verse a traversé les années de façon bien moribonde. Marvel fait alors appel à Jonathan Hickman pour rebâtir l'ensemble de la franchise mutante de la Maison des Idées. Et le grand architecte s'en est sorti admirablement, poussant des concepts très SF (l'utilisation du personnage Moira McTaggert est juste complètement folle), ajoutant très naturellement une nouveau prétendant dans la danse entre humains et mutants, poussant un délire quasi-religieux autour de la résurrection ainsi que du Professor X et Magneto, prônant l'union là où l'univers Marvel s'est gangrené à force d'oppositions entre ses super-héros... Pas toujours facile à appréhender mais le lecteur est récompensé à la fin.
Une des grandes forces de ce bouquin est malgré la patte graphique élégante et racée de Léonie Bischoff, l'autrice se fait oublier en laissant parler Anaïs, timide à première vue mais d'une incroyable force d'atraction pour ceux et celles qui la rencontrent. Choisir, c'est renoncer, or elle ne veut n'abandonner personne en cours de route. Et c'est dans cet entre-deux qu'elle prend respiration avant de replonger en apnée dans un monde trop étroit pour elle. Une lecture intense.
Un "true life story" comme on aime si bien dire du côté des States. Derrière l'anecdote familiale, la vérité se dévoile en matriochka. Mafia, case prison, l'amitié, la rédemption, la découverte de la littérature. Une lecture puissante comme j'en ai rarement eu cette année.
Recherche de figure paternelle, de nouveaux repères également là où des yeux d'enfants ne suffisent plus. Avec
l'Enfant ébranlé, Tang Xiao raconte avec une force tranquille ce qu'un enfant vit et découvre en sortant de son cocon.
Square Eyes, polar sci-fi dystopique, plongée urbano-futuriste où les planches distribuent peu à peu des clés de compréhension. Par exemple, les passages où les personnages se connectent au réseau et et/ou leur profil sont exceptionnels de clarté et d'inventivité. Sinon le regard du lecteur se perd, ça fourmille de choses laissées à l'abandon, la grisaille et les bâtiments décrépis se cachent derrière les couleurs bien plus chatoyantes et réconfortantes de la Ville connectée. Se dégageant des habituelles inspirations du genre, style Moebius, Otomo... Anna Mill met alors à profit son background d'école d'architecture pour imaginer la Ville dans laquelle Fin Ueda-Soto, esprit libre et brillant mais paumée par ses trous de mémoire, déambule sans fin.
Alors, ça occulte un peu l'enjeu qui se dévoile en fin de parcours (et qui est intéressant en soi), mais je trouve que Square Eyes a tellement de caractère que ça en fait une de mes grandes lectures de cette année.
Contrainte de revenir sur sa terre natale, Camille doit faire face à ce qu'elle toujours fui, un groupe aux relents xenophobes à laquelle sa famille est intégrée. Elle arrive au moment de la Grande Battue, rite initiatique pour intégrer les meilleurs membres. La discipline du groupe, l'hostilité et le calvaire paranoïaque des premiers jours laissent peu à peu la place à une communion avec la nature. Camille semble perdre pied dans ce microcosme, ne sachant plus qui elle est elle-même. C'est ce glissement vers une recherche de soi, raconté par la cinéaste Marine Levéel et suppléé par les couleurs chaleureuses de Lilian Coquillaud, qui fait la force de ce bouquin.
Un des gros intérêts de ce bouquin est son aspect formel: vue asymétrique d'un environnement qui se dévoile page par page, agrémenté d'hegaxones fonctionnels (interventions, souvenirs, dialogues). Le récit choral qui s'en dégage est fluide et très agréable à lire.
Chris Ware, what else?