de jolan » 25/03/2019 19:40
The Tarnished Angels (La Ronde de l'Aube) – Douglas SIRK – 1957
Un mélodrame en clair-obscur, étonnant de la part de Sirk, plus habitué aux films aux couleurs flamboyantes. Bon je ne vais pas revenir sur le scénario, tout le monde ici a vu le film.
Ce qui est intéressant c'est la symbolique entre le jour et la nuit justement, renforcée par cet usage du noir et blanc. Le jour, c'est le présent, la lumière, la fête foraine, les faux-semblants le spectacle aérien, les séquences au café noir. Et la nuit, le plus intéressant, c'est le passé, les confessions, la noirceur, l'émergence des regrets, le recours à l'alcool, pour faire face à la situation, à soi-même, à sa part d'ombre. Beaucoup d'incommunicabilité entre cette femme et son mari, qui ronge leur amour, pourtant plus fort que tout, qui la rend esclave de lui, totalement soumise à ses caprices et ses désirs, même les plus abjects, tout comme il est esclave de sa passion pour le vol.
Le personnage de Rock Hudson nous permet l'identification, en journaliste observateur de ce couple, et aussitôt en admirateur de cette femme ( c'est à elle qu'il confie son adresse pour les héberger, on a bien compris qu'il en tombe amoureux en un coup d'oeil ). Il sert de confesseur, de bouée de sauvetage provisoire, d'aide, ce couple ayant tellement besoin d'aide et ayant un tel pouvoir de fascination. Mais dès lors que le drame arrive à sa conclusion attendue ( le mari a promis d'arrêter de voler et de se consacrer à leur amour et leur famille « C'est la dernière fois, je dis adieu aux pylones. J'ai mendié cet avion, maintenant je mendie ton pardon », donc la fin était des plus prévisible – d'autant que quelques scènes auparavant, lorsque LaVerne cède à son charmant confesseur et l'embrasse « Encore quelques verres et je vous dirai combien vous me manquerez », la porte s'ouvre sur un masque de carnaval symbolisant la mort ), le journaliste redevient simple spectateur d'une histoire dont il aurait aimé être acteur. Son impuissance et le refus de la femme le replongent dans l'alcool, on sent bien à quel point cet homme fait le récit des autres vies mais est incapable de mener convenablement la sienne.
Nous assistons donc à la dérive de chacun de ces personnages, ces anges meurtris, qui ne peuvent voler que sous le poids de leur pesanteur d'humains, inconsolables et pourtant liés à jamais, seuls dans leur solitude partagée, et même avec leur ami mécanicien et leur enfant. Le sort est inéluctable, et le film ne pouvait s'achever autrement, chacun restera avec son fardeau et sa tristesse.
J'ai bien aimé la réalisation, avec quelques plans à travers les fenêtres, les vitres, les miroirs, avec à chaque fois des amoureux qui observent et s'embrassent, aussi lorsqu'il rentre chez lui le premier soir et qu'elle apparaît en train de l'attendre à lire dans un fauteuil. C'était à la mode à l'époque, dans les Welles, certains Hitchcock, et c'est plutôt rare chez Sirk ces effets de mise en scène.
J'ai bien aimé quelques scènes, justement la conversation la première nuit, puis lorsqu'elle doit aller voir le « gros porc » et qu'elle fait en sorte qu'il l'en empêche et vienne l'aider « Jack a l'habitude de rester seul, vous n'êtes pas obligé de rester ». J'ai trouvé dommage qu'on ne se concentre pas davantage sur le mari et ses tourments, son histoire lors de la guerre, leur histoire passée qui n'est qu'esquissée et un peu grandiloquente, mais je préférais la relation parralèle et nouvelle avec le journaliste, qui comme nous est attiré par cette femme. Oui, comme d'habitude chez Sirk une propension à la grandiloquence et au mélodrame exacerbé. Ca ne me dérange pas outre mesure, mais je n'étais pas surpris donc.
Un film agréable, principalement pour l'histoire entre le journaliste et la femme, cette confession déséquilibrée entre l'aveu d'un amour sincère, profond, même si empêché, et une attirance impossible, on va dire physique. La dernière partie est un peu moins intéressante, tout comme les scènes d'avion, mais bon, on est chez Sirk, il ne faut pas s'attendre à des prouesses, d'ailleurs je n'aime pas les prouesses et les scènes d'action.
Un beau petit drame intime, sur les non-dits, l'impossibilité d'aimer et l'incommunicabilité.
3/6
Jolan, le gars qui n'a le droit de ne rien dire, sinon ses posts sont supprimés illico par Nexus.