Ce qu'il reste de nous - Terpant - Futuropolis

[Olivier_D]

C'est le dernier album de Jacques Terpant, son dernier en date et aussi, à ce qu'il explique, son dernier tout court. C'est donc un album un peu particulier. Il s'y met en scène, en dernier maillon d'une longue histoire qu'il nous raconte.
Il y a une intéressante interview de Terpant dans le dernier Casemate, où il présente cet album qui clôture une carrière bien remplie, mais aussi un cycle d'histoires où des personnages, puis finalement lui-même voient disparaître un monde. C'était déjà le cas dans les 7 cavaliers, et dans le Royaume de Borée. C'est un récit tranquille, pas franchement nostalgique, mais on sent le plaisir qu'a eu l'auteur à se plonger dans ses racines, à faire revivre ce passé, à essayer de lui redonner chair, à travers les dialogues, les costumes, les accessoires et les outils de l'époque.
Je l'ai lu d'une traite, avec toujours le plaisir de retrouver un dessin élégant, magnifique. Le récit devient plus personnel au fur et à mesure que l'on se rapproche de notre époque.
Je vis pas très loin de l'endroit où Terpant situe son histoire, j'y retrouve des ambiances que je connais bien et qu'il décrit graphiquement avec beaucoup de talent. Son précédent album (le roi dans divertissement, adapté de Giono) se passait carrément dans les paysages que j'arpente tous les jours. Il a le talent d'être à la fois fidèle dans ses descriptions et de magnifier ces paysages, d'y ajouter un petit quelque chose en plus.

Bref, un bon album un peu atypique, qui m'a donné envie de partager ce plaisir de lecture. Si d'autres l'ont lu, je serai curieux d'avoir leur retour.

[edit] : ah, j'avais pas vu qu'il figurait déjà dans la base, j'ai créé un doublon. Désolé.

[Le Tapir]

Merci pour ton appréciation, éclairante sur l'album.

[Terpant]

Merci de ce sympathique avis, je passe peu sur le forum, je suis venu voir les éventuelles réactions à ma nouveauté (et éventuellement en parler) le livre est sorti le 2 avril, et il est en rupture, épuisé en 3 semaines, il sera à nouveau au stock cette semaine le 15...Mais les lecteurs qui sont à l'origine de cela visiblement sont tous ailleurs

[Olivier_D]

C'était avec plaisir.
Je n'ai pas tous vos albums, mais une bonne partie quand même, et j'admire beaucoup votre sens de la mise en scène et vos ambiances colorées. J'ai un gros gros faible pour les 7 cavaliers
Je crois savoir que vous serez au festival d'Ilzach en novembre, j'y serai également et vous rencontrerai avec plaisir pour vous dire de vive voix tout le bien que je pense de votre travail !

[Terpant]

ce sera avec plaisir !

[Diddu]

Cet album mériterait une critique sur le site, non ?

BD Zoom en a parlé en tout cas, avec une interview de son auteur :
https://www.bdzoom.com/203001/interview ... %e2%80%a6/

[Diddu]

Pour mémoire, la carte de vœux de Jacques Terpant, qui était déjà annonciatrice de la couverture

[Diddu]

J'ai pris le temps de découvrir et de savourer le dernier album de Jacques Terpant.
Il s'agit d'une sorte de chronique à travers les âges, à travers les siècles même puisqu'on y voit défiler un millénaire, d'un petit village rural.
La thématique principale est celle de la mémoire, la mémoire des hommes, avec un passage important qui est celui du souvenir des ancêtres par la tenue de registres, avec le rôle primordial de l'église dans un premier temps, puis des municipalités, ainsi que par les pierres tombales et les premiers cimetières.
L'autre thématique abordée, et mêlée à la première, est celle de l'attachement des hommes à la terre, à leur terre, la terre de leurs ancêtres.
Le postulat, qui n'est toutefois pas totalement exact à mon sens, est que les familles se succédaient de générations en générations au sein d'une petite communauté villageoise, avec ses routines saisonnières concernant l'agriculture, la saison des foins, etc...
Toute une ruralité de l'époque des chevaliers à notre époque moderne, sans vraiment mouvement de population.
Ce qui est malgré tout un peu approximatif, car d'une part l'homme est un être voyageur par nature, et d'autre part, bonjour la consanguinité si aucun afflux extérieur n'était venu diversifier le patrimoine génétique d'un village pas si fermé que cela.

Bref, je me perds, mais ceci pour dire que je ne partage qu'en partie le postulat de l'album.
Le message de l'ouvrage reste fort et marquant. Après 1000 ans de civilisation agraire, Jacques Terpant se décrit lui-même (et à son regret) comme le dernier maillon de cette continuité, un pied encore dedans, et l'autre dans celui de la modernité, de la mobilité automobile, de l'électrification, de la communication à grande échelle, de l'industrialisation.
L'auteur ne verbalise pas vraiment le "c'était mieux avant", mais le suggère malgré tout fortement.
Et pourtant quel avenir pour une société qui ne ferait que reproduire le passé, qui ne vivrait plus au rythme de son temps, qui resterait enfermée dans une répétition éternelle ?

Ce que l'ouvrage met particulièrement bien en valeur, c'est ce rapport étroit à la nature et aux cycles saisonniers, que ce soit à travers la chasse, les pratiques agricoles, les rituels religieux, etc...

En ce qui concerne l'album en lui-même, comme on pouvait s'y attendre, c'est sublime. Chaque planche, chaque case est un émerveillement, et la douceur des couleurs ne fait que sublimer le coup de pinceau.
La narration est un peu chaotique au début, et j'ai trouvé le premier chapitre assez ardu. Heureusement, cela s'arrange ensuite grandement et les derniers chapitres sont les plus fluides. Est-ce une volonté de l'auteur ? De rendre le propos compliqué dans les temps les plus reculés, les plus éloignés de nous, puis de plus en plus en proche de notre syntaxe au fur et à mesure qu'on traverse les siècles ? Je ne le sais pas, mais c'est comme cela que je l'ai ressenti.


Ma prose ne se veut pas une critique, c'est un retour de lecture.
Je partage totalement la nécessité de connaitre ses racines, qu'il est important de savoir d'où l'on vient.
Je comprend l'attachement au territoire.
L'importance de la mémoire collective, d'abord orale puis écrite

Après, le changement est-il si radical que cela ?
Je n'en suis pas certain.
Je me demande si chaque époque n'a pas toujours eu un peu tendance à se dire que c'était la fin de quelque chose et d'appréhender le futur avec un regard un peu inquiet, avec un brin de nostalgie.

Quoiqu'il en soit, il s'agit là certainement d'un album très sensible, qui invite à la réflexion et à se poser un petit peu.

[Olivier_D]

Ah c'est cool, enfin quelqu'un qui a envie de parler du fond de l'album, je me voyais mal me répondre à moi-même
Comme je le disais plus haut, j'habite dans ces villages depuis plus de 30 ans (cela dit, je resterai toujours un étranger, il me faudrait 5 générations au cimetière pour être du cru).
On y trouve des familles dont certains membres ont dû bouger comme tu le dis, mais d'autres sont là depuis des générations sur le territoire, parfois dans les mêmes bâtiments. Dans les archives départementales, on retrouve les mêmes noms typiques du coin parfois depuis 4 ou 5 siècles. Alors il y a bien eu brassage quand même, mais l'attachement à la terre, à la communauté villageoise, choisi ou forcé, a été bien réel, il y a toujours eu un descendant pour rester au pays et parfois hériter des murs.
Je ne sais pas si Terpant pense que "c'était mieux avant", je n'ai pas eu cette impression, d'ailleurs qui peut penser sérieusement, le jour où il a une appendicite, une rage de dents ou un cancer que c'était mieux avant ? Quelle femme va envier la condition féminine d'avant, quand la contraception n'existait pas ? A la fin du XIXè siècle, les femmes des villages alentour avaient environ 10 enfants dont 5 seulement vivaient jusqu'à l'âge adulte.

Là où l'album est passionnant, à mon sens, c'est qu'il fait revivre une société qui a disparu, mais que l'on ne doit pas oublier, dont on est issu, et qui véhiculait des valeurs profondes, ancrées dans une réalité et dans le temps. Ces valeurs parce qu'anciennes, rurales, ont tendance à être méprisées par un monde moderne urbain et amnésique, mais on a sans doute beaucoup à apprendre, ou à garder de ces époques. Entre le bon sens paysan et les péroraisons des youtoubeurs, c'est un peu le grand écart
La génération de ceux qui ont bougé, c'est celles des 30 glorieuses, de mes parents, qui ont quitté le village pour partir à l'autre bout de la France, souvent parce que l'omniprésence familiale et villageoise avait sans doute un côté très pesant. Il y avait solidarité, mais aussi beaucoup de contraintes. L'énergie pas chère, les progrès techniques ont disloqué ces univers figés, pour le meilleur mais aussi pour le pire.

Il y a un bouquin passionnant et facile à lire sur ce sujet, c'est celui de Jérôme Fourquet :

En quelques images et infographies, il montre combien la France (ça doit être vrai aussi pour la Belgique) a radicalement changé dans le détail du quotidien des français. On a presque changé de civilisation sans s'en rendre compte.

[Terpant]

Ce qui est curieux, c'est que c'est l'idée d'une stabilité de population, qui pose question aujourd'hui? à mon avis c'est du au fait que l'on a tellement porté aux nues le principe de la migration et du mouvement qu'il est difficile d'admettre que ce n'était pas l'ordinaire d'autrefois.
Précisons que pour faire ce livre et pour être juste, j'ai commencé par remonter les généalogies, de toutes les familles principales de ce pays sur plus de 4 siècles, je dis souvent en plaisantant, mais c'est vrai, que si un personnage passe et que l'on voit une maison au fond quelque soit l'époque, je sais qui habite là. ...Donc je le confirme il y a une grande stabilité des populations.
Bien sûr il y a du mouvement, on va chercher des épouses ou des maris, hors la paroisse, rappelons que contrairement à d'autres culture la consanguinité est un tabou (l'église demande 5 générations) Dans Montaillou village occitan (14e), Leroy-Ladurie cite le cas, d'un homme qui se montre entreprenant avec une femme, celle-ci lui dit un truc du genre: " mais ça va pas non ? nous sommes cousins " et cela le glace!
Autre chose le 'c'était mieux avant , j'ai eu beaucoup de presse pour ce livre et j'ai vu beaucoup de journalistes, et c'était chez tous une forme d'angoisse... Vous pensez que c'était mieux avant ? je ne crois pas que ce soit de près ou de loin évoqué dans ce livre, ce qui en donne l'impression, c'est qu'il y a une perte irrémédiable, qui se voit dans le bouquin, un truc définitivement perdu au 20 e siècle :LA BEAUTÉ ! Un homme de ces époques là, de quel côté qu'il, porte son regard tout est beau, la campagne d'aujourd'hui n'est que toit de tôle ou autres...Ces gens qui vivaient là ne voyait que du beau, c'est ce qui était mieux avant...et c'est ce qui passe dans ce livre et donne cette impression .

le sujet du livre est: il y avait un monde, voici comment il a commencé, voilà ce qu'il était, il n'est plus, il a définitivement disparu au 20 e siècle.

[toine74]

Le changement radical de nos environnements a été un élément déclencheur pour Roberto Grossi Dans l'indifférence générale, album qui sort tout prochainement.