Comme il y a des amoureux des lettres, ici, et aussi des amateurs d'aventures éditoriales, je ne résiste pas à l'envie de partager avec vous le long laïus dont s'est fendu l'éditeur pour promouvoir le livre. C'est assez rare qu'un éditeur vous raconte par le menu comment il a déniché une pépite et tout le branle-bas de combat qui a suivi. Un enthousiasme communicatif qui nous a valu cette chouette preview.
Les auteurs : Des génie de la bd venus d'Argentine !Lors d'une petit virée sud-américaine, il y a trois ans (déjà), le capitaine de notre vaisseau éditorial, était parti à la rencontre de plein d’auteurs et d’autrices et d’éditeurs, d’illustrateurs, de fanzineux et de libraires et de galeristes et de journalistes dans la bd locale, que ce soit au Pérou, en Argentine, en Bolivie ou au Chili
En Argentine, il s'était acheté un bouquin avec des graphismes pas possibles et, arrivé à Santiago du Chili, parmi tous les gens superbes rencontrés, dont la fabuleuse Sol Diaz, il y avait un éditeur local, très sympa, Claudio Alvarez.
Claudio publiait, en plus de traduction de comics américains, des histoires de zombie et de super héros chiliens. Les production de Acion comics, n'étaient pas vraiment le même genre de choses que je publie, mais lui et moi, on s’est très bien entendu et, quand je lui ai montré le livre acheté à Buenos Aires, il a tout de suite reconnu le dessinateur : Henrique Alcatena.
Alcatena est un dieu vivant de la bd Argentine, célébré dans toute l’Amérique du sud mais dont seulement quelques productions éparses sont arrivées à nous mais sans être remarquées.
Le gars a dessiné pour Marvel, DC, Dark Horse, il a fait du Superman, du Flash, des épisodes de Predator ou des X-men… Et même un incroyable Batman pirate. Il a un dessin hyper gratté, plein d’une foultitude de détails, presque de la gravure qui, regardé rapidement, pourrait paraître daté, alors qu’il est intemporel.
L’ami Claudio m’avait alors dit qu’il était anormal que Henrique Alcatena, dit Quique, soit inconnu chez nous, chez qui, de la bd argentine, on ne connaît grosso modo que Munoz, Sampayo ou Carlos Nine (et Lucas Nine, mais c’est parce qu’il a été édité par quelques personnes éclairées, dont votre serviteur).
De ce road trip improvisé, était déjà sorti une première adaptation, d'un livre de l'autrice Sol Diaz, Comment être une femme élégante (traduit par Emilie Petrakis).
En début d’année, à Angoulême , une ville fantôme qui ne se peuple qu’une fois par an d’auteurs de bd voraces, assoifés de Cognac Schweppes, j’nous avons recroisé Claudio et… on a reparlé de Quique.
Il nous a redit l'importance de cet auteur singulier et puissant... Au retour d'Angoulême, on était convaincu.
Il fallait éditer Alcatena.Il a fallu demander conseil : Quel devait être le livre à publier en France, s’il n’y en avait qu’un ?
Via Claudio on a été mis en contact avec un spécialiste de l’œuvre du maître, qui a conseillé plusieurs titres dont… BARLOVENTO.
Après avoir été mis en contact avec le maître lui même, un être d'une grande gentillesse, on nous a envoyé plusieurs PDF et le premier… C’était BARLOVENTO, qu’on peut traduire par AU VENT ou VENT DE FACE ou FACE AU VENT. C’était… une histoire de pirates. Des pages magnifiques, bourrées de détails, des cadrages et des découpages hyper inventifs… de la très très grande bande dessinée.
Quand on a monté Warum, il y a quinze ans, on avait annoncé que ce n’était pas pour faire de la bd de genre.
Pas de SF, pas d’aventures, pas de zombie donc, a priori, pas de pirates… Bon, dans le manifeste de Warum, était aussi annoncé qu’on ferait plein d’accrocs à nos grands principes, comme font toujours les gens quand ils vieillissent et que la vie a raison de leurs illusions de jeunesse.
Maintenant nous en sommes à ce stade, mais ce livre est tellement beau que, même à l’époque, on aurait voulu le faire. Sans rêver pouvoir y arriver, mais bon.
Le Barlovento allait donc se faire chez Warum.La traduction s'est faite avec un pool de talents-copains, dont l’auteur de Buenos Aires Juan Saenz Valente qui veillait au grain quant aux spécificités argentine… Et là, surprise… à la traduction, on a découvert le détail de l’histoire et des dialogues, au delà du pitch déjà lu dans la description de l’éditeur originel (qui a mis la clé sous la porte depuis, ce qui est super bon signe pour Warum).
A travers douze chapitre, l’écrivain Eduardo Mazzitelli réinterprète tous les classiques de l’histoire de mer : les sirènes, les cartes d’îles au trésor, les malédictions, les fantômes, les monstres marins…
Les planches étaient bavardes aux limites du raisonnable et la crainte m’a étreint quant à ce qui allait m’attendre sur le reste !
Dès le second chapitre, on a un frisson d’angoisse du "déjà-vu". De but en blanc, voilà qu’arrive une bouteille à la mer, avec une carte, une île qui se trouve tout de suite, le trésor qui se dépote en deux temps… bref un concentré de clichés en deux pages… et puis…
Et puis c’est devenu génial.
Tout d’un coup, Mazzitelli court circuite l’histoire qu’il est en train de raconter pour dynamiter le classique attendu, le tout dans une langue d’une incroyable richesse mais où rien n’est laissé au hasard.
La première salve de traduction est rude, mais, une fois l’histoire sortie de sa gangue hispanisante, tout prend un sens nouveau, une réinterprétation étonnante de mythes lus mille fois et la réécriture en français devient un morceau de bravoure exaltant où le traducteur doit rivaliser d’inventivité pour conserver le folie féroce du scénariste, les envolés lyriques des dialogues qui cachent, en fait, un humour qui jongle avec les références de l’antique au contemporain, sans pourtant jamais quitter le registre de l’aventure au premier degré.
Mazzitelli s’attaque à l’Odyssée, à l’Atlantide, aux Beatles, à Ctulluh, à Moby Dick, au patriarcat (mais oui… ) et tout cela avec un respect des mythes fondateurs sous une apparente désinvolture. Et puis bien sûr, il nous parle d’histoire de mer, de récit de marin… Au niveau traduction, pour qui a lu enfant le Surcouf de Charlier et Hubinon, c’est comme relire les dialogues de Charlier...
(Damné farceur, vire lof pour lof, sus au goton à boulets ramés ! Bon, on a retiré l'anglophobie...)
Quel pied ! Jusqu’au bout,on a bien bien cru que ce livre ne sortirait dans les temps, prévu pour octobre. Effectivement, c’est cuit pour octobre, mais il arrive fin novembre en librairies, et on prie que les libraires ne lui trouvent pas une place entre les piles de best seller à cadeaux de noël, On peut rêver, mais on a déjà vu des choses plus incroyables.
C’est aussi pour ça que le Barlovento, va aussi être une sacrée belle chose, pour que, malgré tout, nos amis libraires aient envie de le mettre en vitrine. On a donc fait un très bel écrin livre avec une impression en argent à chaud, d'un dessin est à se pâmer et dont les petits détails ressortent tous.
Enfin, si tout va bien, peut être qu’avec la sortie du livre, une grande galerie parisienne fera une exposition des planches d’Alcatena…
Bref, il se pourrait qu’on finisse l’année en beauté, ce qui ne sera pas un mal.