L'Île au Trésor, le célèbre roman de Robert Louis Stevenson, n'en finit pas d'être adapté, interprété, remodelé, notamment en bande dessinée. Dans Jim Hawkins, Sébastien Vastra en donne une vision fidèle, si ce n'est l'utilisation de personnages anthropomorphes qui insuffle au récit un vent de renouveau. Le testament de Flint est le premier tome de la série, prévue en quatre volumes.
Qu'est-ce qui a été à l'origine de ce projet ?
Sébastien Vastra : Plusieurs éléments ont été déterminants. D’abord, j’étais fasciné enfant par la piraterie, c’est un genre qui fait appel à tous les fantasmes de gamins : aventure, chasse au trésor, combats au sabre, galion, île mystérieuse… Dans les années quatre-vingts, j’avais également été marqué par l’anime japonais Takarajima, une belle adaptation de l’Île au Trésor. Et surtout, le roman me faisait de l’œil depuis tout petit, mais comme je n’aimais pas lire, j’ai malheureusement retardé sa lecture jusqu’à mes vingt ans. Après quoi, j’avais projeté d’en faire une adaptation quand je serais suffisamment mûr pour m’y frotter seul.
Pour votre premier album en tant qu'auteur complet, le jeu de l'adaptation est-il rassurant ?
Les personnages anthropomorphes, c'est une idée qui est venu dès le départ ou en cours de route ?
S.V. : Ce désir d’adaptation du roman date d’il y a de nombreuses années et même si je travaillais sur d’autres projets, je continuais à l’alimenter régulièrement en remplissant des cahiers d’idées et de croquis. C’est en 2010 que l’idée de mettre en scène un univers anthropomorphe m’est venue, je ne sais plus vraiment comment, je crois que c’est un télescopage de plusieurs envies à cette époque, il y avait aussi un dessin de Peter de Sève dans son Artbook qui m’avait marqué et qui a sûrement été déterminant. Le concept aurait pu me motiver un temps et disparaître comme ça arrive souvent. Là, il ne m’a pas lâché, et a continué à faire son chemin accumulant les idées et les trouvailles. De plus, si on a l’habitude de croiser ce genre d’univers et de personnages dans l’animation, ils se font vraiment plus rares dans la bande dessinée. C’est même dommage que l’on ne trouve pas plus de séries anthropomorphiques, j’en suis le premier friand ! De fait, développer cette adaptation dans un tel univers est non seulement original, mais me permet aussi d’avoir une meilleure exposition dans un genre peu exploité.
Comment avez-vous choisi les différentes races d'animaux associés aux différents personnages ?
S.V. : Je n’ai pas vraiment cherché, elles sont venus très naturellement. Encore une fois, il s’agissait d’un des ingrédients du « jeu ». Cela a d’ailleurs été une des parties les plus plaisantes. Après avoir choisi les races animales, il s’agissait ensuite de leur attribuer un design particulier à travers les tenues vestimentaires et les objets qui les caractérisent.
Le contraste entre une grande liberté graphique et une narration au contraire très linéaire est-il conscient et assumé ?
S.V. : J’avais écrit des versions où l’on commençait par des scènes de fin, sur l’île, dans une grotte ou à d’autres moments clefs de l’histoire et Jim racontait en flashbacks comment il en était arrivé là. Mais je me méfie des histoires à narration non linéaire, du moins pour cette histoire, certainement par crainte de perdre le lecteur (ce qui est souvent le risque dans cet exercice). Et l’Île au Trésor est avant tout le parcours initiatique d’un jeune homme (ici lion) avec une réelle évolution au contact des autres personnages ou à travers les évènements vécus. Une narration linéaire (comme dans le roman) permet d’accompagner le héros dans cette évolution et sa découverte du monde.
N'avez-vous pas eu envie de mettre un peu plus de vous dans cette adaptation, de sortir un peu du récit original ?
S.V. : Pas vraiment, car mon envie est née à la fois d’un coup de foudre de lecture mais aussi de la frustration de ne trouver que des adaptations partielles du roman. La plupart d'entre elles sont développées en un tome de cinquante pages (voire moins) dans lequel tous les évènements sont précipités, quand ils ne sont pas survolés ou oubliés, résumant l’histoire à une chasse au trésor orchestrée par un charismatique Silver. Tous les autres personnages passent à la trappe (ou à la planche), Jim compris. Je n’avais pas envie de m’éloigner de l’histoire mais au contraire de prendre mon temps pour présenter les personnages et soigner leur rôle et leur mise en scène. Prenons l’exemple de Pew l’aveugle, il y a un côté très théâtral dans son rôle. Sa manière de rentrer en scène, perché dans un arbre (comme le cliché qu’on a du vautour), dans l’attente, en position de prédateur prêt à fondre sur sa proie, ses tocs, son excentricité, sa folie même, sa manière de composer de la prose et ses délires mystiques quand il sent la mort venir. De son entrée à sa sortie, je me suis appliqué à donner un peu d’épaisseur à un personnage que l’on voit peu dans l’histoire mais qui a pourtant souvent marqué les esprits. Ma démarche était plus de cet ordre là. (Et il y a beaucoup de moi dans le quotidien de Jim et les relations qu’il entretient avec ses parents, son entourage et son environnement).
Le fait de se charger soi-même de la couleur fait-il concevoir le dessin d'une manière différente ?
S.V. : Oui, car mon dessin à la base, est assez ligne claire sans trop d’ajout d’aplat de noir. Je n’ai volontairement pas trop chargé l’encrage pour laisser toute la place à l’aquarelle appliquée en lavis pour les ciels, les ombres et lumières, les matières et pour marquer les différents plans par le jeu successif des clairs/obscurs. Et je laissais souvent les arrières plans simplement au crayon sans contour encré pour accentuer les effets de profondeur.
Certains lecteurs ont reproché un aspect un peu terne des couleurs...
S.V. : Je peux le comprendre en comparaison à une production globalement mise en couleur sous photoshop avec des couleurs très soutenues pour ne pas dire assez saturées. Je voulais un rendu plus léger, plus « passé », vieilli (nous sommes à la moitié du 18ème siècle) et cette mise en couleur servait réellement le récit. Mais regardez les couleurs de la fin, elles sont plus chaudes, plus lumineuses. Plus Jim avance dans l’histoire et plus les couleurs se « réveillent ». Loisel avait procédé de cette manière pour le premier Peter Pan. Toute la première partie à Londres est triste, sale et sombre. Une fois sur l’île, les couleurs « éclatent » et réveillent le lecteur. Une fois que mon équipage sera sur l’île, les couleurs seront plus vives. Pour Jim c’est la sortie d’une vie terne vers une vie animée. Mais je confesse volontiers que le rendu est tout de même un peu plus terne et moins lumineux que ce que j’avais sur mon écran.
Quelles sont vos premières impressions quant à réaliser un album solo pour la première fois ?
S.V. : C’est d’abord la satisfaction d’avoir mené à terme un désir peut –être un peu puéril à la base. Du moins ça commence un peu comme ça, puis au fur et à mesure, le projet prend de l’épaisseur, une idée en appelant une autre, des personnages qui se révèlent et qui nous amènent à développer des scènes différemment. Mais depuis sa sortie, je n’ai jamais eu autant l’impression de me jeter dans le vide et cette fois je suis seul à assumer la manière dont l’album est reçu.
Vous remerciez Eric Herenguel, en quoi celui-ci vous a-t-il aidé ?
S.V. : En plus d’être un ami, Eric est également un auteur complet, scénariste expérimenté et excellent dialoguiste. Quand je lui ai montré mes planches et mon projet, il m’a naturellement fait des suggestions constructives. J’étais demandeur de ce genre de critiques, j’avais envie d’apprendre et quand on travaille seul on manque de recul sur son propre travail. Il m’a notamment encouragé à m‘affranchir du roman, à me libérer d’un narratif trop lourd et plombant pour le lecteur et des répliques un peu trop ampoulées, des dialogues trop marqués "18ème". Trouver le bon équilibre entre amener le roman vers une certaine modernité sans tomber dans les anachronismes de langages. Son rôle a été déterminant dans l’écriture.
Aimeriez-vous travailler de nouveau avec Fred Duval ?
S.V. : Comme vous le savez, le contexte actuel est particulièrement difficile pour les auteurs de BD, les ventes ont considérablement diminué et il est de plus en plus dur d’imposer une nouvelle série, du moins d’avoir de la visibilité et d’exister. Face à cette réalité, j’ai pour ma part décidé de m’arrêter après cette série si elle ne trouvait pas son public, même si l'adaptation est prévue en quatre volumes. Si mes pensées sont focalisées sur l’Île au trésor depuis des années, elles le sont aussi sur une éventuelle reconversion-malheureusement la passion a ses limites économiques.
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