Récompensée en 2014 par un Fauve - Prix Jeunesse, Cerise a pris ses quartiers à Angoulême en janvier dernier, plus précisément à la Bibliothèque Saint Martial dans le cadre d'une exposition consacrée à ses Carnets. Son succès d'estime, mais aussi commercial, n'a apparemment absolument pas changé la jeune fille, ni Aurélie Neyret et Joris Chamblain qui préparent activement le tome quatre qui devrait sortir à la fin de l'année... en attendant le cinquième qui lèvera le voile sur ses secrets les plus intimes.
Aurélie, lors de notre dernière interview, vous avez déclaré vouloir demander des journées de quarante heures au Père Noël. A-t-il exaucé ce voeu ?
Aurélie Neyret : (rires) Non. Mais j’ai quand même réussi à terminer le troisième tome dans les temps. J’aimerais quand même avoir des journées plus longues… Je travaille, en plus des Carnets de Cerise dont je commence le tome quatre, comme illustratrice dans le magazine Histoire Junior. Le fait d’avoir sorti les trois premiers tomes de façon régulière implique dorénavant une certaine attente des lecteurs.
L’exposition des Carnets de Cerise fait-elle suite au Fauve - Prix Jeunesse obtenu à Angoulême en 2014 pour le deuxième tome ?
Joris Chamblain : Oui. On nous a mis directement en contact avec l’équipe organisatrice du festival qui a décidé de créer cette exposition. J’en ai travaillé les contenus avec un commissaire issu de cette équipe. Nous avons bossé main dans la main pour mettre en oeuvre ce que je voulais faire. On est finalement partis sur huit roll-up qui racontent la série : un sur chaque tome, un sur le making-of d’une planche, les deux derniers sur le plaisir de la lecture. On avait un objectif assez pédagogique pour dédramatiser l’acte de lecture, montrer aux enfants que c’est un plaisir avant tout et que l’objet livre est quelque chose de précieux.
A.N. : Oui, il n’y a pas d’exposition de planches. On voulait vraiment quelque chose de ludique et éducatif.
J.C. : Ludique avec quelques jeux mis au sol. Pédagogique dans la transmission du goût de la lecture.
Les carnets présentés dans les albums contiennent des textes parfois assez longs. Une façon d’amener les jeunes lecteurs de la bande dessinée vers quelque chose de plus littéraire ?
A.N. : Certains jeunes lecteurs ont parfois peur au début des pavés de texte. Mais après plusieurs lectures, ils reviennent sur ces carnets en les lisant.
J.C. : C’était ça le but du jeu : d’avoir peut-être peur au départ de ces pavés de texte tout en ayant l’envie d’y revenir par la suite.
A.N. : On a toujours une première lecture lors de laquelle on passe à côté de pas mal de choses car on est pris dans l’histoire. On a envie d’aller rapidement à la case suivante. Si j’ai vraiment aimé, je reviens en prenant plus de temps. C’est un peu le même principe que de regarder un film pour la deuxième fois en faisant plus attention aux détails.
J.C. : C’est ce que dit l’expo : chacun a le droit de lire l’album comme bon lui semble. Il n’y a aucune obligation quant à la méthode de lecture.
L’exposition a-t-elle été conçue pour être itinérante ?
J.C. : Oui. Il y a en fait deux jeux d’expos dont un pourra aller dans les médiathèques et bibliothèques, et l’autre dans les Cultura. C’est aussi ce que l’on voulait, qu’elle réponde au rayon face à laquelle elle a été posée. Le but est que l’enfant lise l’expo, qu’il se retourne et puisse attraper un livre.
Sorcières Sorcières a été publié sous forme de bande dessinée et de roman. N’avez-vous jamais eu l’idée de transposer l’histoire des Carnets de Cerise de la même manière ?
J.C. : J’en ai envie. Mais j’ai d’abord envie d’aller au bout de mon histoire qui est prévue en cinq tomes. Mais, effectivement, je viens de découvrir l’écriture du roman en sortant un peu de ma zone de confort et Les Carnets de Cerise s’y prêteraient très bien.
Cinq tomes des Carnets de Cerise sont donc prévus…
J.C. : Oui. Le cinquième tome sera un mix de plein de flashbacks…
A.N. : Oui, ça ne se passera pas à un moment particulier mais ce sera un mélange de souvenirs de Cerise.
J.C. : Ce sera une correspondance entre sa mère et elle, un retour vers sa petite enfance…
A.N. : Ce ne sera pas une fin en soi, personne ne va mourir. Mais si on en fait d’autres derrière, il faudra repartir de cette nouvelle problématique.
Le dénouement est-il lié à l’absence du père ?
J.C. : Évidemment. Toute l’histoire tourne autour de ça. C’est le récit d’une fillette qui grandit malgré une absence, qui se pose des questions, qui a des douleurs intérieures qu’elle aimerait exorciser. Plus elle mène des enquêtes, plus elle emmagasine des indices, plus son secret a envie de sortir et commence à se verbaliser. Dans le cinquième tome, elle va enfin dire ce qu’elle a et va également trouver des réponses avec sa mère. Je vais ouvrir la fin sur quelque chose de très positif.
Aurélie, vous aviez des envies de dessiner la neige. C’est chose faite avec le tome trois. D’autres souhaits ?
A.N. : Oui. D’ailleurs, on parle régulièrement en amont avec Joris de ce qu’on a envie de faire. Pour le quatrième tome, j’avais envie de partir, de me retrouver en dehors du village. Cerise va se retrouver en vacances au bord de l’océan. C’est aussi une façon de la mettre un peu en danger, loin de ses repères, sans les copines, juste avec sa mère. Il y aura une vieille maison qu’on voulait habitée peu souvent dans l’année, avec plein de poussière, chargée de relations familiales, pour symboliser la relation entre Cerise et sa mère.
J.C. : J’avais besoin d’isoler Cerise, de la sortir de ses habitudes et de la mettre dans un nouveau contexte, en situation de faiblesse. Et ce sera la première fois que le mystère qu’elle va suivre la dépassera. D’habitude elle parvient à résoudre convenablement ses problèmes alors que là, ça va être très compliqué. À un moment, cela va aller trop vite pour elle, et elle va se retrouver prise au dépourvu.
Le secret de la romancière ?
J.C. : Oui. On va la retrouver alors qu’elle était absente du troisième tome pour des questions de place. Le quatrième tome est en fait partagé en deux parties. Dans la première, on s'attache à un mystère. Puis, au milieu, on découvre que le mystère que l’on suivait n’est pas celui que l’on croyait. C’est là que le personnage d’Anabelle (La romancière, NDLR) revient dans l’histoire et on comprend que c’est son secret que l’on va découvrir. C’est un personnage que les gens aiment beaucoup. Ils la trouvent mystérieuse et ont envie d’en savoir plus. Nous aussi d’ailleurs. (sourire)
L’absence de père est l’un des thèmes de la série mais il y a finalement très peu de personnages masculins…
J.C. : C’est fait exprès. C’est justement pour symboliser cette absence. Le fait qu’il n’y ait pas d’hommes entre 30 et 40 ans fait ressentir cette absence aux lecteurs, un peu à la manière de Cerise.
A.N. : On ne voulait pas de substitut à cette absence : un beau-père ou un oncle par exemple…
Pas même un copain de son âge ?
J.C. : Il y en aura dans le quatrième tome, ça commençait à manquer dans le paysage. (sourire) Mais le fait que des garçons reviennent dans l’histoire, ce n’est pas innocent non plus. Ça symbolise le fait qu’enfin, tout ça va commencer à sortir. Et dans le cinquième, ça va éclater et tout va enfin se résoudre.
Le succès des Carnets de Cerise a-t-il changé votre façon d’aborder les histoires ? Une certaine forme de pression est-elle apparue ?
J.C. : Ce n’est pas évident…
A.N. : La pression de savoir si l’album va plaire, on l’a quoiqu’il arrive. Quand le tome un est sorti, il a beaucoup plu. Au moment de sortir le tome deux, on a eu chacun des moments de doutes et on n’osait presque pas en parler. J’étais très contente des choix de Joris, d’écorcher un peu le personnage. Les ambiances aussi étaient très différentes. Dans le premier tome, c’était plutôt poétique avec des animaux, la nature… Le deuxième tome est plus sombre avec la tristesse d’une vieille dame qui repose sur des problématiques un peu plus lourdes. Il y a aussi des disputes entre Cerise et ses copines. Du coup, je trouvais ce choix intéressant mais ça me faisait un peu peur qu’on puisse perdre des lecteurs en route. Finalement, ça s’est plutôt bien passé et cette angoisse a disparu. Maintenant, ce n’est pas pour autant que nous n’aurons aucune pression pour le prochain…
J.C. : Pour moi, le tome deux, c’était quitte ou double. L’album devait montrer aux gens qu’on a une vision, qu’on fait des choix et qu’on les assume, quitte à heurter certains. J’étais confiant en l’écrivant mais quand il est sorti je me suis demandé si je n’étais pas allé trop vite dans « l’écorchage » des personnages. Il a finalement été très bien accueilli et on a même gagné le Fauve - Prix Jeunesse pour cet album. L’accueil du tome trois est quant à lui extraordinaire et les lecteurs ont bien compris qu’il existait un lien entre tous les albums.
A.N. : Le succès ne change pas notre vision de la série. Il nous permet juste de pouvoir la mettre en oeuvre. C’est finalement une tape dans le dos nous incitant à continuer. (sourire)
J.C. : C’est ça. C’est quelque chose qui nous dit : « Faites vos choix, on les aime bien. » Maintenant, on est toujours vigilants à faire de bonnes histoires, à bien les illustrer, à être sincères dans nos propos. On vient de signer les tomes quatre et cinq, donc on est certains d’aller au bout. C’est une chance énorme.
Avez-vous déjà réfléchi à « l’après Cerise » ?
J.C. : J’ai plein d’idées. (rires) Mais c’est encore trop tôt pour en parler.
A.N. : J’ai encore trop la tête dans le guidon avec Cerise pour vraiment penser à autre chose.
J.C. : Pour l’instant, on vit cette magie et on en profite à fond.
Quelle est votre public pendant les séances de dédicaces ?
A.N. : C'est tout public. Il y a évidemment beaucoup d’enfants. Mais j’ai eu aussi récemment une dame de 82 ans. On a aussi des grands-parents qui achètent l’album pour le lire avec leurs petits-enfants.
J.C. : Les albums font aussi souvent l’objet de cadeaux pour un fils, une fille, une nièce… Les filles sont assez majoritaires par rapport aux garçons.
Cerise est croquée par d’autres dessinateurs à la fin du troisième tome. Avez-vous été surpris par certaines représentations ?
A.N. : On voulait faire ça depuis longtemps. On a vraiment sélectionné des proches ou des gens dont on apprécie le travail. Le but était de leur laisser carte blanche tout en restant évidemment dans le ton. On a été super contents du résultat. Je trouve les dessins très différents les uns des autres, je n’ai pas vraiment de préféré.
Quel retour avez-vous eu des enfants par rapport à cette initiative ?
J.C. : Ils étaient plutôt étonnés de voir ça. Et dans l’expo, on invite justement les enfants à faire leur propre version.
A.N. : Quand on a mis ça en place, on a fait attention à ce que ça n’arrive pas comme un cheveu sur la soupe. C’est parfaitement intégré dans l’histoire. Il y a la lettre de la maman et on comprend que son cadeau à Cerise, c’est ça.
J.C. : On voulait que les lecteurs soient dans l’histoire jusqu’au bout. On ne voulait pas un simple making-of avec un carnet de croquis… Beaucoup d’enfants croient vraiment à l’histoire. Certains nous demandent si le lion ou Cerise existent réellement.
La maquette de la couverture est assez particulière. Est ce un casse-tête que d’imaginer à chaque fois une nouvelle composition pour chaque tome ?
A.N. : C’est un challenge, un vrai exercice de style. Tous les ouvrages de la collection sont à peu près travaillés de la même façon. Ce n’est jamais une couverture pleine page. Il y a toujours cette recherche d’ornements avec une grosse densité graphique qui s’en dégage. J’ai cherché une façon de m’approprier ces codes de la collection tout en ayant du sens par rapport à ce que l’on raconte. Par exemple, on n’aurait pas pu faire un ornement gothique… Du coup, j’ai choisi un ornement avec des branchages qui rappellent le côté « nature » de l’intérieur de l’album. D’un tome à l’autre, je garde la même structure mais les branches et les coloris sont différents.
Joris, quelles sont vos prochaines sorties en 2015 ?
J.C. : Le tome deux de Sorcières Sorcières sort en fin d’année. Le souci, c’est que c’était un vieil album que je suis obligé de réécrire entièrement. Il faut que je me repenche sur la série complète et que je développe l’univers avec le roman. Je travaille en parallèle avec Lucie Thibaudier sur Enola dont le premier tome vient de sortir. On fera un album de chaque série par an. Là pour le coup, l’univers d'Enola est bien développé, j’ai déjà écrit quatre tomes. J’ai aussi une nouvelle série qui sort en fin d’année chez Kennes Editions qui s’appellera Nanny Mandy, en roman et en BD. Ce sera un peu l’inverse de Cerise. La série raconte l’histoire d’une nounou de 17-18 ans qui va aider un enfant à surmonter une épreuve dans chaque tome. J’ai d’autres projets de one-shots avec d’autres illustrateurs. Il y aussi un livre jeunesse qui s’appelle Quand papa n’est pas là que je fais également avec Lucile aux éditions La Palissade. C’est un petit poème lié à l’absence du père, un thème récurrent…
A.N. : Et moi, si tout va bien, le tome quatre de Cerise ! (sourire)