Les fidèles lecteurs de Maliki, que ce soit sur le site dédié ou en albums cartonnés, retrouvent Mali dans un univers beaucoup plus sombre que d'habitude. Casque audio rouge sur les oreilles, elle semble perdue dans un monde qu'elle ne comprend pas. One-shot pour les uns, préquelle pour les autres, Hello Fucktopia ne devrait pas laisser indifférent.
Alors, ça fait quoi de créer une bande dessinée sans être forcé de travailler pour Maliki ? (sourire)
Souillon : C'est à la fois très agréable, car c'est une toute nouvelle liberté. Mais c'est aussi intimidant de ne plus avoir Maliki comme filet de sécurité. Je suis très content de l'avoir fait, et très content également de me remettre à travailler sur Maliki.
Vous expliquez dans la préface que la gestation de l’album a été longue. Comment avez-vous créé et erichi le scénario pendant ces années ?
S. : Tous les éléments du scénario étaient là depuis plusieurs années, c'est plutôt la façon de les agencer et de les présenter qui m'a demandé un temps de réflexion. Je suis plus habitué aux histoires courtes, alors j'ai pris le temps de lire et de me documenter. J'ai écrit sur des post-it tous les éléments-clés de l'histoire, et j'ai passé un temps fou à tout bouger sur un grand tableau blanc avant d'obtenir un enchainement qui me plaisait. Dans Hello Fucktopia, il n'y a pas d'enjeu clairement énoncé, c'est au lecteur de comprendre ce que veulent les personnages, qui eux-mêmes ne le savent pas forcément. C'était un équilibre difficile à atteindre pour moi, et une forme risquée également. J'ai donc pris mon temps.
Peut-on considérer Hello Fucktopia comme une préquelle de Maliki ?
S. : J'ai conçu ce livre pour qu'il puisse être lu par quelqu'un qui ne connait absolument pas Maliki, sans que cela nuise à l'intérêt ou à la compréhension. En revanche, les lecteurs de Maliki comprendront rapidement que Hello Fucktopia s'inscrit bien dans le même univers.
Quelles ont été les difficultés de passer d’une succession de strips à la création d’une histoire complète ?
S. : J'ai l'habitude de ne pas me prendre trop la tête avec l'apparence de mes personnages d'un strip à l'autre. Au contraire, j'ai toujours vu les histoires courtes comme une opportunité de tester des designs et des graphismes pour les faire évoluer. Pour Hello Fucktopia, j'avais besoin d'une vraie unité sur les designs et les décors. J'ai dû être beaucoup plus rigoureux qu'à l'accoutumée et faire particulièrement attention à ma documentation, notamment pour les décors. Je suis allé sur Paris prendre beaucoup de clichés des différents lieux que j'avais prévu de représenter. Le rythme est également différent par rapport à un strip court, et j'ai fait une utilisation beaucoup plus poussée des ellipses narratives.
Quelques éléments ancrent le récit dans un passé proche (notamment, le nom de Chirac affiché sur le mur d’une université ou le côté « vintage » du portable de Mali). Pourtant, l’histoire aurait très bien pu se dérouler aujourd’hui…
S. : Oui, l'histoire se situe en 1999, simplement pour rester cohérente avec le reste de la chronologie mise en place sur Maliki. Et puis je trouvais ça sympa de dessiner de vieux Nokias, de chercher la configuration de certains lieux à cette époque, ça doit être mon côté nostalgique. Après, c'est vrai que le scénario en lui-même est intemporel, et les errances de Mali universelles.
Comment avez-vous imaginé la symbolique du casque audio pour isoler Mali du monde qui l’entoure ?
S. : J'avais besoin d'un élément visuel et coloré fort qui ancre cette Mali dans une époque, et qui effectivement la coupe un peu de ce monde qu'elle peine à comprendre. Et sans vouloir spoiler, son casque joue également le rôle de masque, c'est une façon de cacher une part d'elle-même qu'elle ne parvient pas à assumer.On retrouve dans Hello Fucktopia le penchant de Mali pour le whisky. En revanche, rien n’explique son goût immodéré pour les BN… (sourire)
S. : Ah ha, il faut croire que ça lui est venu plus tard. Il faudra un autre one-shot entre Hello Fucktopia et Maliki tome 1 pour résoudre ce mystère !
Vous vous défendez de cataloguer votre dessin dans le style manga. Pensez-vous justement que c’est l’influence de plusieurs courants qui fait la richesse de votre trait ?
S. : C'est vrai que je me défie un peu de l'appellation "manga" que je trouve complètement fourre-tout et souvent utilisée à mauvais escient. Pour moi, avoir des influences japonaises dans ses designs de personnages, ce n'est pas faire du manga. Le manga c'est un petit format, noir et blanc à grosse pagination, et grosso modo, ça veut dire BD en japonais. Alors moi qui fais du grand format couleur, en France, je considère que je fais de la bande dessinée, et que si mes influences japonaises se lisent sur le visage des mes personnages, on en retrouve bien d'autres empruntées au franco-belge, à Disney, aux comics... Pour moi, la BD, c'est universel, et cette obstination à vouloir ranger à tout prix des dessinateurs dans des cases me lasse, surtout à notre époque où tous les artistes ont accès à Internet, et sont influencés par une profusion de styles venus du Monde entier. Cette semaine j'ai fait un atelier BD dans un collège, et quand j'ai demandé à certains ce qu'ils lisaient comme bandes dessinées, ils m'ont répondu "Je ne lis pas de bandes dessinées, mais je lis des mangas" ou "plus tard je voudrais faire une école de manga"... J'avoue que ça me décourage un peu... et que je prends surement ces histoires de terminologies trop à cœur. (sourire)
La création de la scène évoquant la prise de champignons hallucinogènes a dû être jubilatoire… (sourire)
S. : Très jubilatoire oui. C'est amusant de lâcher son trait et de voir ce qui va en sortir. Ce sont les seules pages sur lesquelles je me suis autorisé un verre de whisky le matin, histoire d'avoir le détachement nécessaire !
La cassure avec la scène suivante, dans le métro, est marquante, notamment dans la gestion des couleurs… Comment avez-vous travaillé sur l’utilisation des couleurs et les changements d’ambiance ?
S. : L'étape de la couleur a toujours été très importante pour moi, parce que les couleurs ne sont pas simplement là pour faire joli, elles racontent quelque chose. Je voulais que chaque ambiance de couleur reflète l'état d'esprit des personnages, c'est pourquoi elles sont très variées et très marquées. L'album est une alternance de fond de page noire, et de fond de page blanche, pour créer une rupture entre les deux facettes de Mali : sa personnalité naturelle lorsqu'elle est avec ses amis proches, et ses pulsions autodestructrices lorsqu'elle se frotte au Monde.
Pensez-vous que le lectorat de Hello Fucktopia et de Maliki soit le même ?
S. : J'ai un public très varié sur Maliki, avec un gros pourcentage de 20-30 ans, qui pour l'instant répondent présents sur Hello Fucktopia. Donc une partie du lectorat est le même, pour tous ceux qui aiment les moments plus sombres dans les strips de Maliki. Maintenant, j'espère aussi qu'un public qui n'accroche pas forcément à Maliki sera curieux de découvrir Hello Fucktopia, qui reste très différent de ce que je fais habituellement et présente sans doute plus d'intérêt pour un public adulte.
Comment se porte Maliki aujourd’hui ?
S. : Elle a mis son repos forcé à profit pour s'essayer à d'autres choses, comme l'écriture d'un roman. Elle a écrit un tome 1 de sa jeunesse au collège, intitulé "L'autre fille dans le miroir" et qui sort en février chez Bayard. Ça parle de l'époque où Lady a commencé à se manifester et à la façon dont elle a géré cette situation. Maliki a aussi préparé la trame de son tome 7 de la BD, sur lequel je vais maintenant travailler en 2015. Je ne m'inquiète pas pour elle, elle trouve toujours à s'occuper et ne tient pas en place.
Avez-vous d’autres projets de BD qui s’écarteraient complètement de ce personnage ?
S. : Pour le moment j'aime bien ajouter des petites briques à l'univers Maliki déjà en place, c'est comme ça que je m'amuse le plus. Je préfère développer un tout, plutôt que plusieurs petits fragments. Comme je ne m'interdis pas les changements de styles et de ton au sein du même univers, je ne crains pas vraiment l'ennui !