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Au temps de Cerise

Entretien avec Aurélie Neyret et Joris Chamblain

Propos recueillis par L. Gianati Interview 04/12/2013 à 11:12 9843 visiteurs

Quand Cerise a pointé le bout de son nez dans les bacs il y a un peu plus d'un an, ce fut presque le coup de foudre. Une gamine attachante, espiègle, toujours prête à rendre service et avec un cœur gros comme ça même si elle n'est peut-être pas la copine idéale - demandez à Érica, qu'elle délaisse régulièrement pour partir à l'aventure. Après un premier tome largement plébiscité par les lecteurs et la critique, le deuxième est disponible depuis quelques semaines. Émotions, rires et (quelques) larmes en perspective.

Le premier tome des Carnets de Cerise a fait partie de la sélection jeunesse 2013 à Angoulême et a été largement plébiscité par les lecteurs. Vous attendiez-vous à un tel accueil ?

Joris Chamblain : Personnellement, j’avais mis beaucoup de moi dans cet album et j’espérais juste que les lecteurs qui auraient eu l’envie de lire le livre soient touchés par cette histoire et ses valeurs. C’est là tout ce que j’attendais. Mais il était impossible de prévoir qu’il y aurait un tel engouement, car en plus de la nomination à Angoulême, le tome 1 a déjà remporté 10 prix et est encore sélectionné dans certains festivals ! C’est fou !


Aurélie Neyret : Non évidemment, surtout que nous n'étions pas attendus pour la sortie du tome 1. C'était mon premier album BD, je ne me suis pas du tout projetée dans l'avenir... J'étais moi-même touchée par l'histoire, et je me sentais impliquée, alors j'espérais simplement que quelques personnes ressentent ça. De toute façon, je pense que même avec de l’expérience, on ne peut jamais vraiment prévoir comment un livre sera reçu, il y a tellement de paramètres... C'est à chaque fois un pari. Pour ma part je prends tout comme du bonus, je vais de surprises en surprises et je suis ravie.


Comment Les Carnets de Cerise ont-ils intégré la collection Métamorphose des éditions Soleil ?

J.C. : Aurélie raconte très bien cette histoire, je lui laisse le soin de le faire. (sourire)

A.N. : Il y a plusieurs années, Barbara Canepa, qui dirige la collection avec Clotilde Vu, m'avait contactée, car elle avait vu mon travail sur internet. Elle me parlait de la collection, et me proposait d'y faire un projet, c'était juste une discussion à ce stade, il n'y avait pas de scénario, elle me parlait juste de thèmes qui lui plaisaient et me demandait si ça me parlait. Je lui ai répondu que je ne savait pas trop pour ces thèmes-là en particulier (les vampires et le folklore Japonais il me semble) mais que je montais un projet jeunesse avec Joris, qui m'avait proposé son scénario un peu avant. Alors elle m'a dit « Mais on fait de la jeunesse aussi, quand vous avez quelque chose, montrez nous ! ». Du coup c'est ce qu'on a fait. Cela a pris un peu de temps parce que j'étais pas mal occupée, mais courant 2010 on a finalement envoyé un dossier « Cerise » et Barbara comme Clotilde ont aimé tout de suite.


Quelles sont vos relations avec Barbara Canepa ? Vous a-t-elle prodigué quelques conseils pour la réalisation de ces deux albums ?


J.C. : Ce sont bien plus que de simples conseils. Barbara Canepa et Clotilde Vu (l’autre directrice de la collection Métamorphose qu’il ne faut pas oublier !) nous accompagnent planche après planche et nous poussent à donner le meilleur de nous-mêmes. Mon scénario est d’abord relu et corrigé (surtout par Clotilde) et les planches ensuite sont présentées une par une à Barbara, qui a toujours des petites remarques pour parfaire le travail. Barbara et Clotilde sont de très bon conseil et personnellement, j’apprends beaucoup à leurs côtés.

A.N. : Enrichissantes. Barbara est très exigeante, dans le bon sens du terme. Elle sait ce que l'on vaut, et a souvent des suggestions pertinentes pour nous amener à donner le meilleur, sans toutefois dénaturer le projet, ni qu'on se sente moins « auteur » pour autant, et c'est là une grande qualité. C'était parfois difficile au début, car je suis exigeante aussi, donc je me mettais doublement la pression. Désormais on a bien pris nos marques et elle a de moins en moins de choses à redire. Du coup c'est aussi une chouette récompense pour moi.


Comment se passe l’écriture du scénario ? À quatre mains ou exclusivement réalisé par Joris ?


J.C. : J’écris le scénario tout seul dans mon coin et présente un album complet à Aurélie comme aux éditrices. J’ai une vision globale de la série que je suis en train d’écrire et j’ai besoin de m’isoler pour écrire les albums. Par contre, ils sont nourris des discussions que je peux avoir en amont avec Barbara et surtout avec Aurélie. Le tome 3 se passe en hiver car depuis longtemps Aurélie voulait dessiner la neige ! Parfois, ça va même plus loin et je m’inspire carrément des dessins d’Aurélie pour écrire une histoire. Par exemple, la vie d’Annabelle Desjardins, la romancière et amie de Cerise, est née d’après les décors dessinés par Aurélie dans le tome 2. Nous en saurons plus sur ce personnage plus tard dans la série !

A.N. : Joris écrit seul, comme je dessine seule. Mais on se parle beaucoup en amont, et pendant la réalisation des planches. On est à l'écoute des suggestions et des envies de l'autre, même parfois des critiques. Je pense que c'est important, car notre but commun c'est de faire du bon travail.


Quel est le secret d’une série touchant à la fois le jeune public et les adultes ?


J.C. : Je ne sais pas s’il y a un secret ou une recette. Disons que j’écris des histoires d’abord pour moi et pas en visant un public type. J’essaie d’être le plus juste et le plus sincère possible. Ensuite, Aurélie magnifie tout ça en y ajoutant sa justesse dans les expressions et la gestuelle et en emballant le tout dans un univers propre. Nous, nous y croyons et sommes touchés par ce que l’on fait, du coup le public ressent cette sincérité. Si par malheur la série devenait « commerciale » et que nous ne prenions plus de vrai plaisir à la faire, déjà on arrêterait, mais le public le sentirait tout de suite. S’il y avait un secret ce serait celui-là : être sincère et juste pour avoir ensuite plaisir à relire nos propres ouvrages.

A.N. : Je ne sais pas si c'est un secret, mais en tout cas ce qui m'a plu justement quand j'ai lu le scénario, c'est de pouvoir m'identifier à Cerise, car on a tous été un peu comme elle enfant, mais aussi aux adultes, car ça parle de générations, du temps qui passe, du rapport entre les gens... Ce sont des thèmes universels qui touchent tout le monde. C'est peut être là la force du scénario en effet.

Vous dédiez tous les deux le deuxième tome à vos grands-parents. Les histoires des Carnets de Cerise sont-elles issues de vos expériences personnelles ?


J.C. : Mes grands-parents ont joué un rôle prépondérant dans ma vie. J’ai partagé avec eux des moments emplis d’amour. Je regrette tellement qu’ils n’aient pas vu naître la petite Cerise. Si Cerise s’intéresse tant aux autres générations que la sienne, c’est forcément issu de ma vie personnelle. Nos grands-parents ont tellement de choses à nous apprendre. Comme dit l’expression : une vieille personne qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle. Je suis convaincu de ça et je remercie mes grands-parents de m’avoir transmis des valeurs et de m’avoir offert leur amour. Je dédie également ce tome 2 à un message que j’ai retrouvé 50 ans après qu’il ait été enfoui et qui s’adressait à mes grands-parents paternels. J’ai vu pleurer mon grand-père pour la première fois ce jour-là. Ce tome 2 fait écho à cette folle journée qui a marqué mon enfance.

A.N. : Quand on raconte une histoire où on est un minimum impliqué, on met forcément une part de soi, indirectement. J'ai essayé de restituer la nostalgie bienveillante que je ressens quand je pense à ma propre enfance, pour dessiner celle de Cerise, et forcément mes grands parents n'y sont pas étrangers. J'ai passé beaucoup de temps chez eux, ça fait partie de qui je suis. C'était donc naturel que je dédie ce tome à mon grand père tout particulièrement, disparu pendant que je travaillais sur le tome 2. Mon autre grand père adorait la BD et spécialement Cerise, alors pour lui faire un petit hommage, je l'ai dessiné, il sera un personnage du tome 3...


L’absence de père pour Cerise, des copines, une vieille dame, une bibliothécaire, Madame Desjardins… Avez-vous une dent contre les personnages masculins ? (sourire)


J.C. : C’est vrai que le tome 2 est 100% féminin, je m’en suis aperçu a postériori ! Je me rattrape un peu dans le tome 3. Non, je n’ai aucune dent contre la gente masculine. Je construis juste une histoire sur l’absence et la construction d’une enfant autour de cette absence. Car si Cerise aime tant dévoiler le secret des autres, c’est parce que le sien ne demande qu’à s’exprimer ! Et bien sûr, on commence à s’en douter, le secret de Cerise tourne autour de son père. Il n’y aura pas d’homme d’environ 35 ans dans sa vie avant un certain moment. Pas tant qu’elle ne pourra l’accepter, en tout cas. Mais c’est fait exprès pour que le lecteur sente justement cette absence.


Au-delà de l’histoire, les rapports sociaux (Cerise et ses copines, Cerise et sa mère…) sont constamment mis en avant dans vos récits…


J.C. : C’est la vie, que nous racontons ! Avec ses hauts et ses bas, ses rires et ses pleurs. À travers nos livres, nous défendons surtout des valeurs et notamment le « vivre ensemble ». Alors oui, la gentillesse est une valeur un peu « molle », pas très ambitieuse, surtout à l’heure où la gagne, la supériorité sur l’autre et l’individualisme sont de mise, mais que le monde serait beau s’il y avait juste un peu plus de tendresse ! Et si un enfant sur cette planète a envie d’être un peu plus gentil avec ses proches suite à la lecture de Cerise, nous aurons réussi notre mission !


Les Carnets de Cerise
auraient dû être dessinés par Laurel. Comment sont-ils tombés entre les mains d’Aurélie ?


J.C. : En 2007, alors que je visitais le blog de Laurel, je voulais lui écrire une histoire. J’ai dégagé de son blog des grandes lignes : le monde de l’enfance, des couleurs, des animaux…J’ai pondu un album bd de 30 planches autour de ça et en clin d’œil, j’ai donné à l’héroïne le prénom de sa fille. Mais quand je lui ai parlé du projet, elle s’attendait à un livre jeunesse et pas à une bd. Du coup, je suis parti en quête d’une nouvelle collaboratrice. En allant de blog en blog et après avoir fait faire des essais à quelqu’un d’autre, c’est finalement le dessin d’Aurélie qui m’a fait tilt. Je lui ai envoyé un premier mail pour me présenter avec trois lignes du pitch de l’histoire, ça lui a plu. Le mail suivant, il y avait l’album de 30 planches complet. Qui lui a plu aussi. Au final, je suis très content que l’album soit arrivé dans les mains d’Aurélie, car c’est avec SA version du personnage que j’ai compris le projet. Quand j’ai vu naître la petite Cerise avec sa jolie frimousse et sa fragilité à fleur de peau, j’ai compris que je pouvais aller beaucoup plus loin dans l’écriture. J’ai réécris entièrement l’album dans ce sens. C’est la version que vous tenez dans les mains.




Aurélie, comment avez-vous abordé graphiquement cette série ? Aviez-vous en tête un « modèle » pour le personnage de Cerise ?


A.N. : Non pas spécialement, au début il a fallu chercher à quoi ressemblerait Cerise. Je ne voulais surtout pas qu'elle soit « girly », je lui imaginais un air malicieux, et à la fois un côté fragile un peu caché, un soupçon garçon manqué mais mignonne, une fillette qu'on a envie de suivre parce que ça a l'air d'être l'aventure avec elle, quoi. J'ai dessiné des dizaines de pages, jusqu'à trouver. Le chapeau, la mèche rebelle, les taches de rousseur... C'était elle.


Quelles techniques utilisez-vous pour le dessin ?


A.N. : Je fais mes recherches de personnages dans des carnets, mais pour les planches je travaille entièrement à l'ordinateur, avec une tablette graphique et Photoshop.


Pouvez-vous nous dévoiler quelques éléments du prochain tome ? Apparemment, il y aura de la neige !


J.C. : Aurélie me réclame la neige depuis le tome 1, elle va être servie ! Après le tome 2 où les 3 héroïnes se fâchent, je voulais qu’elles vivent une aventure ensemble. Elles rencontrent une relieuse de livres et vont beaucoup apprendre auprès d’elle. Ce tome 3, intitulé « Le dernier des cinq trésors » sera un vrai conte de Noël et racontera l’histoire de quelqu’un qui fait un cadeau à quelqu’un d’autre. Je n’en dirai pas plus pour vous laisser la surprise, mais sachez en tout cas que nous en apprendrons un peu plus sur la maman de Cerise et que nous aurons quelques révélations importantes à la fin, notamment sur le secret de Cerise…suspense !

A.N. : De la neige en effet, des sapins et des moufles ! Je suis aux anges, j'adore dessiner l'hiver. Pour l'histoire, Joris en a déjà dit assez !


Vous consacrez-vous exclusivement aux Carnets de Cerise ou avez-vous d’autres projets en BD ?

J.C. : J’ai le début d’une autre série BD, Sorcières sorcières avec Lucile Thibaudier, qui est sorti en février de cette année chez bac@bd. Si le ton est plus enfantin que dans Les carnets de Cerise, nous y défendons les mêmes valeurs essentielles du vivre ensemble et nous avons encore plein de nouvelles aventures à raconter ! On espère pouvoir faire un tome 2 rapidement. Si vous ne l’avez pas encore lu, courez-y ! En parallèle, je co-écris avec David Raphet depuis le mois de septembre une série de gags pour le magazine Géo ado. Ça s’appelle « Géo ados : les aventuriers du trop pas possible » et ça raconte l’histoire de six ados qui partent à l’aventure à travers le monde. On se marre bien et on commence à réfléchir au premier recueil en album. C’est Paul Drouin qui l’illustre ! Sinon, j’ai d’autres projets ou de one-shots ou de séries en préparation, mais rien n’est encore signé pour le moment, donc je ne m’étendrai pas. Il y a de grandes chances que je continue à œuvrer pour la collection Métamorphose, en tout cas !

A.N. : Je fais toujours de l'illustration en parallèle de la BD, pour la presse, et pour l'édition jeunesse, même si c'est devenu rare car je manque de temps. Sinon pour ce qui est de la BD, je ne souhaite pas mener deux projets de BD en même temps. Je préfère me consacrer à Cerise, qui est déjà chronophage. Pour Noël je veux bien qu'on m'offre des journées de 40h.






Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Les carnets de Cerise
2. Le Livre d'Hector

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