Si certains aiment classer tous leurs livres par genre ou connaître d'emblée le thème de leurs futures lectures, ils risquent d'hésiter un long moment en découvrant un album de Nicolas Pona. Du Cycle d'Ostruce à Dolls Killer, l'auteur prend un malin plaisir à ne jamais se laisser enfermer dans une voie déjà établie et sans doute trop étroite pour son imagination débordante. Déluge n'échappe pas à la règle. Si la collection "Anticipation" donne bien évidemment quelques indices quant au contour de l'histoire de ce diptyque, elle ne peut néanmoins en révéler toute la richesse. Voici quelques éléments de réponse.
Comment est né Déluge ? Le scénario a-t-il été écrit spécialement pour la collection « Anticipation » ?
Nicolas Pona : C'est venu de deux idées. La première, celle d'une pluie forçant les hommes à fuir ou à se noyer. Puis, j'ai eu envie de parler d'une femme manipulée jusqu'à n'être plus rien. En tout cas, je crois que la collection "Anticipation" m'était inconnue quand j'ai proposé ça à Jean-Luc Istin.
On peut lire sur la première page du deuxième tome de Déluge quelques mots sur une « Marylin ». Est-ce elle qui a inspiré le personnage de Normaé ?
Poitrine généreuse, gros flingues… On ne peut s’empêcher de penser également à Lara Croft… (sourire)
N.P. : C'est assez fou ça ! Je ne l'avais étrangement pas vu du tout. Totalement obnubilé que j'étais avec la véritable Norma Jeane Baker... Mais on a peut-être affaire à un acte manqué.
Les personnages semblent tous manipulés, génétiquement ou par des événements qu’ils ne maîtrisent pas. Est-ce le thème principal de l’histoire ?
N.P. : La manipulation et tout ce qui en découle est effectivement le thème sous-jacent de cette aventure. Bizarrement au début ce n'était pas aussi fort. Mais à force de parler d'une célèbre actrice américaine détruite par tout ce qu'on lui avait forcé à vivre, c'est tout l'univers de Déluge qui a pris cette pente.
Charley Patton est le nom du sous-marin de Jason. Êtes-vous un fan de Delta Blues ? (sourire)
N.P. : Je connais effectivement Charley Patton. J'écoutais beaucoup à l'époque de la création de Déluge, de vieux enregistrements blues du Mississippi. Néanmoins j'avais oublié m'en être inspiré pour le sous marin... Mes sources d'inspiration sont souvent légion et je perds de vue beaucoup de mes sources au fur et à mesure que j'avance... Merci de m'avoir rappelé celle-ci !
Vous semblez avoir effectué un travail tout particulier sur les dialogues, cyniques et incisifs…
N.P. : Tout d'abord, je suis heureux que les dialogues paraissent ainsi ! Ensuite, j'ai travaillé comme d'habitude, en faisant de mon mieux pour rester dans l'esprit de l'aventure. Une aventure où des dialogues de bisounours n'auraient pas cadré. Quoique...
Quand on crée un monde de l’envergure de Déluge pour seulement deux albums, n’est-on pas tenté de le développer dans d’autres histoires ?
N.P. : Si. D'autres histoires ont commencé à être écrites et dessinées sous la direction de Jean-Luc Istin. Mais mon nouvel éditeur n'a pas eu envie de poursuivre l'aventure. Il est vrai que Déluge n'a pas rencontré le succès auquel on aurait pu rêver. Tant pis.
Vous évoquez d'ailleurs sur votre blog une autre série rattachée à Déluge. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
N.P. : Outre que ça ne se fera finalement pas ? Eh bien l'accent était mis sur la reine Coriolis et sur l'humanité dans l'espace qui avait des idées bien précises sur l'avenir de la Terre. Le tout mélangé à de nombreuses races extraterrestres aux intérêts souvent opposés.
Nicolas et Jésus, comment en êtes-vous venus à travailler ensemble sur ce projet ?
N.P. : Après que Jean-Luc a décidé de faire cette série, il m'a présenté Jésus et un essai que j'ai validé immédiatement. Dés le début notre collaboration s'est magnifiquement passée et je suis très fier et honoré que Jésus ait mis plusieurs années au service d'une de mes histoires.
Jésus Hervàs Millan : Oui, comme l’a dit Nicolas, c’est Jean-Luc Istin qui nous a suggéré de travailler ensemble. Je me souviens qu'au début, ce fut une surprise pour moi qu’on me propose une histoire de science-fiction alors que je n’en avais jamais fait auparavant, mais l’expérience s’est révélé excellente à tous les niveaux, et travailler avec Nicolas a été un plaisir.
Jésus, les personnages de Zanya (Atlantide Experiment T3) et de Normaé, semblent avoir les mêmes atouts. Vous êtes-vous inspiré de la première pour créer la deuxième ?
J.H.M.: Je pense que non, du moins pas consciemment. Bien sûr, il est certain que les deux personnages ont des points en commun ; ce sont deux femmes fortes et belles, mais leurs motivations sont très différentes. Alors que Zanya est motivée par la soif de vengeance et l’instinct de survie, Normaé commence l’histoire en étant une sorte de Terminator, mais à mesure que nous avançons, nous découvrons un personnage avec un conflit intérieur, plein de mélancolie et de désenchantement en faisant face à son destin.Nous avons vraiment toujours eu très clairement la figure de Norma Jeane comme source d’inspiration pour Normaé. Visuellement, l’idée était de partir d’une image plus ou moins personnalisée d’une pin-up des années 50 et de la faire s’éroder de plus en plus tout au long de l’histoire au fur et à mesure que nous montrions son côté plus émotif…
Comment crée-t-on graphiquement un monde qui n’existe pas ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
J.H.M. : Je pense que la plus grande difficulté au moment de créer graphiquement un univers fantastique, disons futuriste, c’est de trouver un équilibre entre l’originalité et le recours référentiel aux codes établis par le cinéma, la bande dessinée, etc., au moment de représenter certains éléments de science-fiction, que tout le monde a assimilés avec le temps et suppose naturels. Par exemple, s’il s’agit de représenter un grand bateau ou une image holographique, il faut respecter l’idée ancrée chez le lecteur, par le biais de nombreux films, BD et jeux vidéo, de ce qu’est un bateau ou un hologramme, et, à l’intérieur de ces limites, il faut chercher une certaine originalité ou au moins offrir quelque chose d’intéressant au lecteur. Dans tous les cas, le processus est hautement gratifiant pour un dessinateur parce que, bien qu’il faille suivre quelques règles, les possibilités créatives sont très vastes. En ce sens, les influences sont nombreuses, parce que j’aime beaucoup la science-fiction… Pour ne citer que quelques œuvres, je pourrais parler de films comme Alien, Blade Runner ou Star Wars, ou encore l’univers d’auteurs comme Katsuhiro Otomo ou même Moebius…
Jésus, contrairement à Atlantide Experiment, c’est vous qui avez réalisé les couleurs sur Déluge. Quelle technique avez-vous utilisée ?
J.H.M. : Les couleurs de Déluge, y compris celles des deux couvertures, sont entièrement numériques et faites sous Photoshop. À cet égard, le processus n’a pas eu aucune particularité notable ; toutefois, dans le cas présent, je pense que pour avoir fait les couleurs moi-même, le résultat final est inévitablement plus personnel…
N.P. : Plusieurs. Trop peut-être... D'abord une histoire en collaboration avec Bruno Bellamy au dessin : un thriller dans une école pour jeunes filles. De la dentelle, de grands yeux pas du tout innocents et des meurtres étranges. Ensuite un thriller ésotérique qu'on m'a suggéré fortement et dont je ne peux même pas parler faute de mieux comprendre où tout cela va finir (surtout pour moi). Un travail scénaristique autour d'une mini série uchronique dans la veine du Cycle d'Ostruce. Après la révolution russe, je m’intéresse à la crise de 1929. Est-ce que ça deviendra un vrai projet ?... L'avenir nous le dira.
Et plein d'autres travaux plus ou moins seuls, personnels ou simplement sérieux.
J.H.M. : Maintenant, je viens de commencer de dessiner un nouveau projet, également de science-fiction, écrit par Jean-Luc Istin, un thriller futuriste avec beaucoup d'action, dont nous espérons qu'il sera prêt pour l'année qui vient.
(Les propos de Jésus Hervas Millan ont été traduits de l'espagnol par M. Natali)