Partir à la découverte de pays inconnus et partager les conquêtes de célèbres explorateurs, le tout sans bouger de son canapé ? C'est désormais possible grâce à la collection Explora des éditions Glénat dont les premiers albums ont vu le jour il y a un peu plus d'un an. De Fawcett à Kingsley, en passant par Magellan, les plus célèbres aventuriers ont désormais une (mini) série consacrée à leur voyage. Et ce n'est pas fini ! À l'origine de ce projet, Christian Clot, scénariste de Captain Sir Richard Francis Burton et directeur de la collection, dévoile les coulisses d'Explora.
Comment la collection Explora est-elle née ?
Christian Clot : C’est une longue histoire mais pour résumer, l’envie de créer des bandes dessinées était dans ma tête depuis de nombreuses années, sans que j’aie le temps de pouvoir réellement la concrétiser. Et comme tous ceux qui travaillent dans ce métier le savent, on ne peut pas le faire à demi-mesure et les portes d’entrée ne sont pas si nombreuses. D’autre part, j’ai toujours trouvé que la place réservée aux histoires des grands explorateurs dans les médias n’était pas très grande. Comme j’aime bien les mélanges de genres, j’ai eu envie de combiner mes passions entre exploration, faits historiques et bande dessinée. Et Explora est née… avec le soutien fabuleux de Glénat qui a accepté de se lancer dans l’aventure.
Que vous apporte la bande dessinée par rapport aux autres medias que vous avez l’habitude d’utiliser ?
C.C. : C’est assez simple : allez voir un producteur pour lui dire que vous désirez recréer les cinq bateaux de Magellan, tourner en Patagonie avec des centaines de figurants et vous ne passerez pas longtemps dans son bureau. Alors que, grâce au talent des dessinateurs, cette même idée de scénario devient possible et les limites n’existent plus… Après, le genre narratif de la BD est unique, avec des capacités de cadrages presque illimitées, c’est donc un véritable bonheur que d’imaginer un scénario pour ce genre, encore un peu trop méconnu à mon goût.
Quelle est « votre » définition d’un explorateur ?
C.C. : Peut-être simplement quelqu’un qui se pose sans cesse des questions et essaye d’y répondre sans céder à la facilité des premières évidences… Après, c’est bien d’aller le faire sur le terrain, dans les milieux les moins connus. Mais de 0 à 10 ans nous sommes tous explorateurs non ? Il suffit de ne pas l'oublier...
Quelle est votre rôle de directeur de collection ?
C.C. : Il est essentiellement d’essayer d’aider les auteurs, surtout lorsque je ne suis pas le scénariste, à vraiment se poser la question de ce que représente le fait d’être sur le terrain, d’être confronté à l’inconnu, dans des climats hostiles. De mettre mon expérience des expéditions pour essayer d’être le plus crédible possible, sans faire l’erreur d’oublier les contextes des époques racontées. C’est tout sauf évident de se représenter le vécu sur un bateau, il y a plus de cinq cents ans, avançant sans carte dans des océans balayés de tempête par exemple. On ne le fait souvent qu’au prisme de son propre vécu. Avec Explora nous essayons d’aller un peu plus loin… Même si cela n’a pas toujours fonctionné. J’ai également un regard sur le choix des auteurs et bien entendu des sujets traités.
Comment les différents scénaristes et dessinateurs sont-ils choisis ?
C.C. : Nous essayons de trouver des auteurs ayant une véritable empathie pour le sujet et l’aspect expédition. Pour les dessinateurs, il faut aussi des artistes près à s’astreindre à chercher à rendre une réalité, à travailler d’après une documentation historique importante. Cette volonté de réalisme n’est pas évidente et parfois peut paraître, de prime abord, un frein à l’artiste. Moi, je pense au contraire que cela peut l’obliger à aller chercher le meilleur de lui-même. Dis que tu veux faire un album entièrement dans le désert et beaucoup de monde voudra ajouter quelques montagnes pour rendre de meilleures perspectives... Alors que d’autres dessinateurs vont te trouver des cadrages et des manières de faire fabuleuses. C’est plutôt eux que nous cherchons. (sourire) Bien entendu, il fallait que la collection existe : aujourd’hui, c’est un peu plus facile d’expliquer ce que j’attends et de trouver les auteurs
Quand on se réfère aux sources du Nil, le nom de Burton apparaît immédiatement alors que c’est Speke qui a découvert en premier le lac Victoria. Pour quelles raisons ?
C.C. : L’exploration n’est pas seulement de trouver. Il faut d’abord avoir envie d’aller chercher ! Et donc de croire que cela vaut la peine d’aller chercher quelque chose là où d’autres n’en auraient pas l’idée. De tous temps, et notre époque ne fait pas exception, nous entendons que tout a été exploré, que tout est connu ou que chercher plus loin est inutile. Alors que sans cesse de nouvelles découvertes sont faites pour démentir ces affirmations. Il faut un moteur, une étincelle, pour que tout démarre. Burton est celui qui a eu l’idée et qui a rendu possible la première expédition vers les grands lacs Africains. C’est bien Speke qui, le premier, voit le lac Victoria, mais durant l’expédition créée par Burton. De plus, Burton était un explorateur généraliste qui a de nombreuses réussites à son actif, là où Speke n’a été l’homme que d’une découverte partagée. Il n’en était pas moins un homme exceptionnel, bien entendu.
Le voyage à la Mecque de Richard Burton raconté dans le deuxième tome est antérieur à son expédition dans le Nil. Pour quelles raisons n’avez-vous pas respecté cet ordre chronologique ?
C.C. : Je pourrais vous en citer plusieurs, mais entre autres parce que, tout extraordinaire soit-il, Burton n’est pas si connu que cela, surtout en France. Il nous a paru important de commencer par son expédition la plus emblématique et « parlante » car la quête des Sources du Nil est universelle.
Dans le premier tome de Burton, il est fait mention d’un thermomètre qui permettait de mesurer l’altitude. Comment celui-ci fonctionnait-il ?
C.C. : C’est un simple thermomètre au mercure. Mais tout simplement, plus vous montez en altitude, plus le point d’ébullition de l’eau baisse car la pression baisse (l'état physique d'un corps est lié à sa pression). Ce point d’ébullition est de 100°C au niveau de la mer et, à 1000m d’altitude, ce point est à environ 96,7 °C (grossièrement, le point d'ébullition de l'eau baisse de 3.3 degrés tous les 1000 mètres). Pour être très précis, il y a des correctifs à appliquer (parce que la pression atmosphérique varie aussi légèrement en fonction de la position sur la terre et autres), et il faut bien entendu un thermomètre précis et bien étalonné, mais vous pouvez mesurer une altitude avec une assez bonne précision juste avec de l’eau et un thermomètre.
Chaque album contient un dossier de quelques pages réalisé par vos soins. Une façon de resituer les récits dans un contexte historique ?
Comment choisissez-vous les différents explorateurs, héros des séries de la collection Explora ?C.C. : J’essaye de faire un mélange entre personnalités très connues et ceux qui ont des parcours extraordinaires, mais qui sont moins connus. De montrer aussi la diversité des sujets, des lieux, des époques, sans oublier les femmes car il y en a plus qu’on ne le pense dans ce « métier ». Après il faut se rendre à l’évidence. Le public préfère souvent les figures connues, donc nous allons nous diriger plus vers ces personnages. Mais je continuerai à me battre pour toujours présenter des noms un peu oubliés, mais fabuleux. J’ai une liste de plusieurs centaines de noms… Mais je doute que tous soient présentés. (sourire)
Quels sont les explorateurs qui vont figurer dans les prochains albums ?C.C. : Marco Polo arrive en octobre, puis deux français(es) aux destins hors du commun, Henry de Monfreid, un aventurier-contrebandier-trafiquant, mais aussi véritable explorateur de la Mer Rouge et Alexandra David-Neel, une femme qui avait du vent dans les chaussures… Et plusieurs surprises sont à suivre.
Quel est le rôle d’un explorateur au 21e siècle ?C.C. : Le même qu’il y a un siècle ou dix siècles. Continuer de chercher des réponses, de repousser les limites du connu. Sur notre planète, nous ne connaissons presque pas nos océans, à peine la croute terrestre, qu’un petit pourcentage des insectes et j’en passe… Et imaginez l’univers qui nous entoure ! Si l’humain ne s’autodétruit pas trop vite, l’exploration a encore de beaux jours devant elle. Mais l’explorateur a aussi un rôle de partage, de faire connaître, quel que soit le média ou la forme. Sinon son travail ne sert à rien. Explora fait partie de cette seconde notion pour moi.
Un peu plus d’un an après la sortie des premiers tomes de la collection Explora, quel bilan faites-vous aujourd’hui de cette collection ?
C.C. : Je ne suis pas certain d’avoir encore assez de recul. Il y a beaucoup de bonheur de voir des personnalités que j’aime en couverture d’album de BD. C’est un rêve qui se réalise, et c’est toujours agréable. J’ai aussi une ou deux vraies déceptions sur certains points. Mais j’aborde cela comme toutes mes expéditions : on atteint rarement, jamais en fait, l’objectif fixé du premier coup. Lorsque cela ne fonctionne pas comme prévu, tu travailles un peu plus, tu ajustes le chemin… et tu recommences.
N’avez-vous pas envie de mettre en images vos propres voyages ou de vous en servir pour réaliser une fiction, comme l’a fait Laurent Granier pour Inca ?
C.C. : Voyager, c’est découvrir et rencontrer de nombreuses histoires. Et je crois sincèrement que l’une des qualités d’un explorateur est sa capacité à l’imagination et aux rêves. Il faut rêver avant de partir ! Je développe donc quelques idées de fictions et j’espère trouver un jour le dessinateur qui voudra bien leur donner vie. Quant à mes propres expéditions, ce n’est pas d’actualité, mais je verrais plutôt cela en roman graphique si cela devait se faire un jour. Je m’en veux souvent de n’avoir aucun talent pour le dessin…
Quelle sera votre prochaine expédition ?
C.C. : J’ai plusieurs projets en cours, plus ou moins importants. Je continue mes travaux d’exploration de la Patagonie chilienne, j’ai commencé un travail autour des sources du Nil en Afrique de l’Est, principalement lié à la perception humaine de ces dernières et je prépare une expédition en Antarctique. Mon plus gros travail reste l’étude de la capacité d’adaptation (corticale) aux milieux et conditions difficiles.
- Pour en savoir un peu plus sur le récit d'un autre explorateur du 21e siècle : lire l'interview de Laurent Granier