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« Mes pages préférées de l'album sont deux pages blanches »

Entretien avec Grégory Panaccione

Propos recueillis par L. Gianati Interview 03/09/2021 à 11:27 4951 visiteurs

Que diriez-vous à votre moi de 10 ans si vous l'aviez au bout du fil ? Vous excuseriez-vous de ne pas avoir su réaliser ses rêves d'enfants ? Lui prodigueriez-vous quelques conseils pour ses futures histoires de cœur ? Ce sont les questions que Cédric Massarotto s'est posée dans Quelqu'un à qui parler, roman paru chez XO éditions en 2017.  Grégory Panaccione en a réalisé l'adaptation en incorporant avec brio tous les codes que le 9ème Art met à sa disposition. Il ne s'agit pas d'une simple relecture mais d'un autre regard, tout aussi passionnant, qui met en lumière le texte original. 


Qui vous a mis le roman de Cyril Massarotto entre les mains ?

Grégory Panaccione : C’est Mathias Vincent du Lombard qui m’a envoyé un email en me proposant deux livres de Cyril Massarotto qu'il imaginait bien adaptés par moi. Je les ai lus, j'en ai choisi un, et je me suis lancé dans l’aventure.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement plu dans ce livre ?

G.P. : Déjà le coté surréel que j’aime beaucoup. Ce qui m’a donné beaucoup d’émotion dans la lecture du livre c’est l’histoire d’amour. Ce que j’aime aussi, c'est l’histoire de quelqu'un qui change sa vie. Le récit a beaucoup d'humour, c'est bien structuré, les évènements sont toujours un peu surprenants. Il y a également un bon rythme et je trouve que la conclusion fonctionne bien. Pour moi, ce n’est pas un bouquin révolutionnaire mais, en tout cas, il est bien construit et comporte des points clefs qui m’intéressent beaucoup, notamment les discussions au téléphone entre l’adulte et l’enfant.

Ce qui est original, ce sont les interactions réciproques entre le Samuel enfant et le Samuel adulte...

G.P. : C’est vrai, c’est aussi ça qui est intéressant. Si le changement n’avait été que dans un sens ça l’aurait été beaucoup moins. Ce qui se passe est un peu métaphorique et pourrait s'assimiler à une auto-psychanalyse. Il va faire renaître en lui le Samuel qui n’a pas pu exister, celui qui n’a pas pu vivre, cela va le changer et le révéler d’une nouvelle façon.

Êtes-vous resté très fidèle au livre ? 

G.P. : Je suis resté très fidèle à la structure et j'ai pris la décision de ne pas utiliser de voix off. Dans le roman, quand Samuel arrive au travail, il raconte tout ce qu’il s’est passé avec les collègues, ceux qu’il aime ou pas avec leurs passifs, l’histoire de son chef qui a créé la société il y a cinq ans et qui est devenue une grosse société de cinquante employés, qu’il ne pense qu’à l’argent, etc... J’aurais pu, pendant qu’on le voit au travail, avoir une voix-off et suivre plus fidèlement ce que disait le livre. J’ai décidé de ne pas le faire car c'est un procédé que je n'apprécie pas, en tout cas je n’en avais pas envie pour ce bouquin-là. Je trouve que c'est une solution de facilité. 

Cyril Massarotto est-il intervenu lors de la conception de l’album ?

G.P. : Non, pas du tout. C’est moi qui lui ai demandé d’intervenir à certains moments. Je lui ai par exemple demandé de retoucher la lettre finale ou de modifier un dialogue. Je lui ai également demandé s’il avait des idées sur deux ou trois points bien particuliers… Il a lu le storyboard et il a trouvé ça très bien. Il ne m’a donné aucune restriction, aucune indication, il m’a laissé complètement libre. Le Lombard lui avait envoyé quelques-uns de mes livres pour qu’il se fasse une idée et il m’a dit qu’il avait été rassuré en les lisant parce que ça lui avait plu. Il a lu Un Océan d’amour et Un Été sans maman qu’il a préféré d’ailleurs.

Les descriptions physiques des deux Samuel étaient-elles précises dans le roman ?

G.P. : La structure de l’histoire obligeait le personnage à avoir une barbe et des cheveux longs pour qu’on puisse par la suite le voir rasé et découvrir sa cicatrice, ça limitait déjà pas mal le choix du design. Dans le livre, il était décrit plus ou moins comme ça. J’essaye toujours de faire en sorte que le design du personnage naisse en racontant son histoire, petit à petit. Quand je démarre le storyboard, je n’ai pas une idée précise du personnage et, au fur et à mesure, il commence à prendre forme, il prend du volume, il s’adapte un petit peu à tout ce qu’il est en train de raconter et c’est comme ça que naît son design. En animation, on fait le contraire : il y a des personnes qui ne s'occupent que du design des personnages en le dessinant de face, de profil, etc... Le problème, c’est que c’est une autre personne qui va faire le storyboard et qui va vraiment le faire vivre. C'est lui qui va "sentir" ses mouvements, chose qu'on ne peut pas faire si les personnages ne sont pas mis dans un contexte. Certains personnages vont bouger beaucoup tandis que d'autres vont rester fixes et ne presque pas avoir d’expressions. Tout ça, on le ressent au moment de raconter l’histoire. C’est pour ça que je me préserve à chaque fois cette découverte du design du personnage.

Avez-vous cherché une cohérence graphique entre les deux Samuel ? 

G.P. : J’avoue que je n’ai pas essayé de les faire se ressembler, à part les cheveux longs et noirs. C’est vrai que quand je les regarde, ils ne se ressemblent pas du tout, surtout le nez ! J’aurais dû trouver quelque chose maintenant que j’y pense… J’ai décidé de garder l’enfant comme symbolique plus que comme une personne en chair et en os. Je l’ai laissé assez flou, on ne voit pratiquement pas ses yeux. C’est l’Enfant en général. Je voulais que le lecteur puisse se projeter dans ce personnage.

La pagination, le gaufrier, les planches muettes… l’éditeur vous a laissé carte blanche ?

G.P. : Je n’ai jamais eu aucune restriction. De tous les albums que j’ai faits, on ne m’a jamais dit qu’il fallait qu’ils tiennent en tant de pages. J’ai toujours eu une grande liberté. Effectivement, sur cet album, je voulais être le plus libre possible. Mon point de repère a été la lecture du livre. J’ai noté les moments clefs qui me donnaient de l’émotion, qui me plaisaient, qui m’excitaient. Plusieurs fois je me suis dit, comme au moment de la déclaration de Li-Na et les deux pages blanches qui suivent, que j’allais me permettre des choses. C’est d'ailleurs ma double-page préférée de l’album. Pendant la lecture du roman, j’ai eu une émotion qui a duré, j’ai senti qu’elle était longue, tirée, et j’ai voulu me permettre de gaspiller deux pages blanches pour exprimer le choc que peut avoir Samuel en ayant cette révélation.


En parlant de double page, on apprécie particulièrement celle où Samuel s’endort avec le Sacré-Cœur en arrière plan. Sur la page suivante Samuel attrape le bras de Li-Na en ayant l’impression qu’il attrape également le bras du lecteur pour le réveiller...

G.P. : Je ne l’ai pas fait consciemment, c’est vous qui me le faites remarquer. C’est vrai que je suis attentif au rythme. Quand je fais le storyboard, je me relis plein de fois, je fais en sorte que ça coule le plus possible. Ça, je n’y avais pas pensé et c’est effectivement un beau contraste entre une espèce de coucher de soleil un peu cliché mais qui calme le rythme et, tout d’un coup, la réaction un peu virile de Samuel. C’est vrai que ça marche.

Il y a deux types de rencontres entre les Samuel : celles par téléphone, dans une ambiance très froide et sans décors, et celles « physiques » qui se passent dans des lieux comme une plage, un champ ou dans un arbre...

G.P. : En lisant le roman, j'ai pris conscience que ces discussions, qui représentent au moins 60% du récit, allaient constituer un vrai challenge. Ce n’était pas facile de se demander comment faire pour rendre ça intéressant. Au départ, je suis resté le plus froid possible effectivement mais pour rentrer aussi dans l’état d’esprit du Samuel adulte. C’est la première fois qu’il parlait à son moi de 10 ans donc, au départ, c’est un peu froid, il ne rentre pas vraiment en contact avec ce personnage Quand le contact s'intensifie, je me suis dit qu’on allait y aller à fond coté visuel aussi. On entre dans des pages où il n’y a plus de cases, il n’y a presque même plus de ciel ni de terre, on vole, on est un peu comme dans un monde imaginaire. Je souhaitais également réaliser un contraste entre sa vie qui, au départ, est plutôt triste avec une ville grise, le travail, la pluie d'un côté et ces lieux de rencontre virtuelle avec la nature, le bleu du ciel, les oliviers, la mer...

Le quotidien de Samuel est en général décrit au moyen de gaufriers classiques et de séquences muettes... 

G.P. : Les séquences muettes sont les parties qui collent le moins au livre. Comme je voulais éviter tous les récitatifs, j’ai été obligé de trouver d’autres solutions pour raconter son quotidien et j’ai été obligé d’inventer un peu des scènes. Dans le livre, il racontait la vie de ses deux voisins, ce qu’ils avaient fait, comment ils s’étaient rencontrés je crois, il y avait toute une histoire avec une ex, une histoire d’amour qui aurait pu commencer mais qui s’est terminée de façon un peu ridicule pour lui et il s’est pris une veste. Tous ces trucs-là, je n’avais pas envie de les raconter ou de les montrer forcément, c'était trop long, j’ai donc fait ces scènes muettes que j’ai inventées en essayant de raconter sa vie quotidienne. 

Il y a aussi un personnage important qu’on voit en couverture, c’est le chat !

G.P. : Le chat n’existait pas dans le roman. C’est moi qui l’ai apporté pour accentuer la solitude de Samuel. Ce n’est même pas son chat, c’est un chat qui rentre chez lui comme ça, dans son intimité, mais qui le perturbe. C’est une préparation au Samuel de dix ans qui va entrer dans sa vie.


Un chat alors que Samuel travaille pour des vêtements pour chien...

G.P. : Je n’y avais pas pensé non plus ! Effectivement c’est rigolo. Ça aurait pu être un chien mais ça aurait été un peu bizarre. Ce qui est bien dans le chat aussi, c’est qu’il est silencieux et qu'il n’a pas d’expression. C’est Samuel qui est obligé de lui en donner en le touchant, en le caressant en le faisant participer à sa vie, en lui donnant du lait… C’est une façon de s’obliger à s’occuper de quelqu'un qui ne te donne rien. Ça me paraissait intéressant de rajouter ce personnage-là.

Comment avez-vous composé la couverture ?

G.P. : Je ne l’ai pas trouvée rapidement ! Pour moi, c’est toujours une grande question et je me laisse souvent guider par l’éditeur. Je me demande d'ailleurs si c’est une bonne idée et si ce n’est pas quelque chose que je devrais décider seul. Cette couverture a été difficile à accoucher parce qu’il y avait plein de versions au départ. On était arrivés à une espèce de point d’entente qui était l’arbre mais avec presque tous les personnages de l’album vus en plongée. Il existait également une version avec les personnages vus de profil, toujours sur l’arbre. Personnellement, je voulais que ce soit dans la partie plus positive du livre, celle où on est dans la nature. Ensuite, ils m’ont demandé de chercher quelque chose autour du téléphone et j’ai fait beaucoup de recherches. Ils ont laissé macérer pendant six mois et ils m’ont dit qu’ils avaient plusieurs choses à me proposer dont cette version-là où ils avaient gommés tous les autres personnages de la première version.

Si vous deviez avoir au téléphone le vous de vos dix ans que lui diriez-vous ?

G.P. : Je ne me suis pas posé la question… Et j’avoue que je ne sais pas y répondre, je manque d’imagination ! 

Des projets en cours ?

G.P. : Je suis en train de faire le sixième Chronosquad. Pour l’instant, je n’ai pas d’autre projet mais il y a un bouquin que j’ai fini il y a quatre-cinq mois et qui va sortir en novembre : c’est une adaptation d’un livre pour enfant de Daniel Pennac : Cabot-Caboche, le roman des années 80, ce sera chez Delcourt. 


Propos recueillis par L. Gianati

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