Beaucoup en rêvent, Gaëtan et Izia l'ont fait. Les deux trentenaires quittent leur quotidien pour un changement radical de mode de vie. Fini le stress des grandes villes et les affres du travail dans une grande entreprise, la nature, une habitation durable et une conception éthique de la consommation seront désormais au centre de leur existence. La permaculture serait-elle la recette idéale d'une vie meilleure ?
L’écriture, Guizou, une première pour vous ?
Guizou : L’écriture d’une BD, oui. Un exercice qu’on a hâte de recommencer !
Comment avez-vous choisi Cécile pour le dessin ?
G. : Lorsqu’on a proposé le projet à Rue de l’échiquier, on avait en tête de tout faire nous-mêmes. Mais on a du se rendre assez vite à l’évidence : on n’avait pas le niveau en dessin. Ça ne s’improvise pas. Surtout que pour ce thème de la permaculture, il fallait avoir de beaux dessins. Rue de l’échiquier nous a alors proposé de travailler avec une jeune artiste nantaise, Cécile. Son style nous a tout de suite plu. On est allés la voir dans cette ville qu’on aime tant. Au-delà de son talent, ça a tout de suite accroché personnellement.
Comment s’est passée votre collaboration ?
G. : Très naturellement et avec bienveillance. Les premières planches ont été les plus longues à faire car il a fallu trouver et définir le style graphique. On avait une vision assez précise de ce que l’on voulait. Cécile a su s’adapter avec brio et talent tout en apportant sa pâte graphique. Ensuite, ça a coulé de source. On préparait le scénario qu’on transformait en story-board sous forme de gaufrier avec des dessins schématiques annotés et quelques photos des personnages dans la vie réelle. On lui envoyait un chapitre entier avec des explications de notre gaufrier et chaque semaine, elle nous envoyait son avancement. C’était un vrai plaisir de découvrir comment elle avait donné vie à nos schémas. Un instant magique !
Cécile, c’était également votre première BD...
Cécile Barnéoud : La collaboration s'est très bien passée, nous avons eu l'occasion de nous croiser à Nantes lorsque la BD n'en était qu'au stade de recherches graphiques et le courant est bien passé. Guizou me fournissait pas mal de documentation pour la BD tout en étant toujours ouvert à l'échange, à la discussion, ça a beaucoup aidé, surtout pour une première BD ! Étant donné que c'est un projet qui leur est très personnel, ils m'ont logiquement beaucoup guidée aussi.
Pourquoi vous être lancée dans la BD ?
C.B. : Les arts graphiques m'ont toujours plu. Et raconter une histoire en images encore plus ! La BD permet d'ouvrir le lecteur à tout un univers et ainsi montrer, exprimer des choses qui à l'écrit, forcément, ne sont pas toujours facilement exprimables. L'image donne une autre dimension à l'histoire.
Guizou, pourquoi avoir choisi le médium de la BD ?
G. : En tant que lecteurs de BD, et fans des romans graphiques de non fiction, nous avions le rêve d’en faire une un jour. C’est un support accessible à tous qui permet de faire passer des émotions et des idées de manière efficace. C’était aussi le support qui se prêtait le mieux à raconter notre histoire tout en faisant découvrir ce qu’est vraiment la permaculture à l’aide de schémas, explications… Par ailleurs, la permaculture est quelque chose qui nous tient à cœur et qui selon nous constitue une réelle alternative aux maux de notre société. On avait à cœur d’écrire un ouvrage accessible au plus grand nombre pour présenter ces solutions à appliquer dans notre quotidien et à plus grande échelle et ainsi semer un maximum de graines qui, on l’espère de tout cœur, germeront.
Le choix de la mise en couleur progressive s’est-elle imposée rapidement ? Qui en a eu l’idée ?
C.B. : Guizou a eu l'idée assez vite. Dès le début même je crois... Ils avaient une vision très précise du projet ! Sans forcément savoir quelle patte graphique allait être apportée, sur ce point là, c'était vite décidé.
G. : C’est un procédé qui nous avait beaucoup plu dans La différence invisible de Julie Dachez et Mademoiselle Caroline, qui selon nous permet de transmettre le retour de la cohérence, la reconnexion au vivant de nos personnages.
Cécile, connaissiez-vous déjà le sujet avant de travailler sur ce projet ?
C.B. : Non je ne connaissais rien à la permaculture (peut-être en avais-je juste entendu parler). J'ai vraiment découvert le sujet, ses valeurs et ses principes tout en travaillant dessus ! J'avais vu le film Demain de et avec Mélanie Laurent à peu près lorsque j'entamais la BD. Après forcément il y a certains points écologiques rattachés aux valeurs de la permaculture qui me parlaient déjà : le zéro-déchet, la question de la consommation etc...
Le parcours de Gaëtan à la recherche de sens dans sa vie fait un peu penser au film En quête de sens...
G. : Très bon film qui montre que lorsque l’on prend du recul sur notre société et qu’on réalise à quel point elle nous mène droit dans le mur, on ne peut plus rester les bras croisés. C’est ce qu’il arrive à Gaëtan et c’est ce qui nous est arrivé à nous aussi. Cette BD fait partie des actions qui nous permettent de donner un sens à notre vie en sensibilisant et en donnant des pistes de solutions. Un libraire a écrit que Permacomix « est un livre à mettre entre toutes les mains pour préparer le monde demain. » Il ne pouvait pas nous faire un plus beau compliment !
Comment s’est imposé le choix du titre ?
C.B. : Le titre a été une longue réflexion ! Il s'est imposé en faisant le rapprochement avec Économix et Philocomix, avec cette idée de « vulgariser », en quelque sorte, un sujet via le support de la BD, et ici sensibiliser les gens à la permaculture à travers ce support. Ainsi est apparu le titre Permacomix. Pour le sous-titre (Vivre en permaculture, mode d'emploi), il y avait la volonté que cela exprime à la fois l'idée d'histoire de vie mais aussi d'apprentissage, sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre. C'était ardu car on ne voulait pas que le lecteur se méprenne en lisant le titre !
À quel type de lecteurs se destine votre ouvrage ?
C.B. : Permacomix s'adresse à un public large. Il est accessible aux jeunes adultes comme aux personnes plus âgées. Il peut aussi s'adresser aux lecteurs plus jeunes qui s'intéressent au sujet.
Le début du livre prévoit un avenir assez sombre (effondrement), pour finalement finir avec une note d'optimisme...
C.B. : Oui, peu importe où on regarde, l'avenir de notre planète et des générations à venir ne semble pas glorieux. La permaculture rappelle que la situation n'est pas désespérée, si chacun agit un tant soit peu, à son échelle, par des petites ou grandes actions, en prenant en compte son comportement, sa consommation, son impact sur le monde.
G. : La permaculture est surtout réaliste, elle nous invite à prendre la responsabilité de nos actes et à retrouver notre place en tant qu’espèce parmi d’autres sur la planète en respectant le fonctionnement de la nature. Elle nous montre qu’il faut combiner action individuelle et action collective à grande échelle. Elle nous guide, par l’exemple, pour unir nos forces pour inventer et préparer au mieux la société « post-énergies fossiles à volonté » et « post-croissance illimitée».
Être permaculteur c’est montrer l’exemple plutôt qu’être un donneur de leçons finalement...
C.B. : Oui ! C'est montrer des solutions adaptables à tous, sans rien imposer.
G. : Oui, rien de tel que l’exemple !
Comment vivez vous la période actuelle, entre confinement et libertés réduites ?
C.B. : Je vis bien la situation pour ma part, je suis habituée à travailler chez moi. Je garde contact avec la famille, les amis, et j'ai la chance d'avoir un parc où me promener !
G. : Plutôt bien. En réalité, ça a changé peu de choses dans notre quotidien de permaculteurs. La fermeture des magasins « non-essentiels » ne nous a pas spécialement affectés puisque nous ne les fréquentions déjà plus par exemple. Ça a été un peu plus compliqué à vivre pour la partie sociale.
Votre BD pourrait fort bien se retrouver en rayon entre La Famille zéro déchet et L’Oasis...
C.B. : Je pense à Rural ! d'Étienne Davodeau, ou Thoreau et moi de Cédric Taling, découvert grâce à Rue de l'Échiquier !
G. : Ce sont tout à fait deux ouvrages qui se rapprochent du nôtre. On est contents de voir que ces sujets investissent le monde de la BD. Ça contribue à faire changer les consciences.
Avez vous eu un droit de regard sur les matériaux (encres, papier...) utilisés pour l’impression ?
C.B. : Je ne me suis pas posée la question. C'est lors de la finalisation de la BD, prête à être imprimée que j'ai appris que ça serait imprimé sur du papier écolo, durable, recyclable... c'est fidèle aux valeurs de la maison d'édition aussi, je ne me faisais pas de souci à ce sujet là !
G. : On a justement proposé notre projet à Rue de l’Échiquier parce qu’on savait que c’est une maison d’édition engagée qui partage nos valeurs : diminution de l’impact de l’impression, sauvetages d’ouvrages du pilon… C’était essentiel pour nous.
Cécile, cela a-t-il engendré une contrainte particulière pour vous au niveau du dessin, du choix des couleurs ?
C.B. : J'ai dû me réhabituer à travailler mon dessin en le rendant plus « mature », car je suis plus habituée à travailler sur des projets jeunesse ! Il y a donc eu une période où j'ai tâtonné mais j'ai fini par trouver la patte graphique qui convenait. Du reste, je suis très à l'aise sur le travail des couleurs, donc à ce niveau-là pas de contrainte !
Quand la loi sur la protection des semences a été abrogée, celle contre laquelle luttait de façon non violente l’association Kokopelli, ça a dû être une sacrée joie pour vous, surtout en tant que maraîcher...
G. : C’est un pas en avant, mais on est loin de pouvoir se réjouir complètement. Si cette loi autorise désormais la vente de semences non inscrites au catalogue officiel aux particuliers, elle ne change rien à la situation pour les professionnels qui sont eux toujours obligés d’acheter des graines inscrites à ce catalogue. Les professionnels du secteur sont donc toujours à la merci des multinationales qui participent à la standardisation de notre alimentation et à l’appauvrissement de la biodiversité.
Avez vous des projets de lutte similaire actuellement ?
G. ! Il y a tellement de luttes à mener : les néonicotinoïdes à nouveaux autorisés pour produire in fine du sucre raffiné nocif pour notre santé, les pesticides en général, l’obsolescence programmée des appareils électroniques…
Alors que c’est Izia qui est plutôt dans l’envie de permaculture au départ, les rôles ont tendance à s’inverser par la suite avant de finir par se retrouver...
C.B. : : Izia est très terre à terre là où Gaëtan est plus rêveur en quelque sorte et se laisse envahir par l'enthousiasme. Elle se projette dans l'avenir en voyant le négatif qui pourrait découler de ce mode de vie, là ou Gaëtan visualise d'abord le positif. Finalement ils se complètent même si au début ça n'était pas évident !
G. : On voit surtout que ça n’est pas forcément évident de changer de vie et que ça demande un gros effort (largement compensé). On voulait montrer la réalité d’un changement de vie, sans trop édulcorer la chose, sortir du cliché permaculture égal petite maison dans la prairie et tout le monde sourit, être réalistes.
Avez vous des projets futurs ou en cours ?
C.B. : Me concernant, rien qui ne se rapproche vraiment du thème de la permaculture ou de l'écologie (mais peut-être plus tard qui sait). Pour l'instant je travaille toujours sur des albums jeunesse et un nouveau projet de BD est en réflexion, sur le sujet du harcèlement scolaire et de la perte de confiance en soi. Bref je continue mon bonhomme de chemin en tant que dessinatrice !
G. : On est en phase d’écriture d’un nouvel ouvrage sur la permaculture pour les enfants dans la collection « Je me bouge pour la planète » chez Rue de Échiquier. Il aura pour titre Mission permaculture. On a aussi en tête plusieurs idées de romans graphiques dans la même veine, on ne manquera pas de collaborer de nouveau avec Cécile et Rue de l’Échiquier pour leur donner vie. Et sinon on a prévu de planter un maximum de plantes cette année, des arbres fruitiers mais aussi une haie mellifère pour les pollinisateurs et autres insectes. Plantez plantez, où que vous soyez, où vous pouvez !
Quelle est votre journée type de travail ?
C.B. : Je « coupe » ma journée en deux la plupart du temps : en général, je débute le matin par des recherches graphiques au niveau de la double page en cours, car je travaille par double page, Guizou me fournissant un storyboard rudimentaire (mais très aidant) que je peaufine. Puis je travaille le crayonné des planches en allant peu à peu dans le détail. Je réserve mes après-midi à la finalisation des planches en cours, travail du « line » (le trait de contour) puis de la couleur. Dans l'idéal c'est ainsi que ça se passe mais ça dépend toujours du stade auquel je suis rendue ! Et certaines pages sont plus ou moins longues à faire.
G. : Nos journées commencent par un bon petit déjeuner et une marche d’au moins une heure, la marche nous facilite beaucoup le processus de création et d’échange entre nous. Le travail d’écriture commence souvent par une discussion pendant la marche justement, puis une répartition des planches à écrire. On travaille ensuite chacun sur notre partie en faisant des recherches bibliographiques, on imagine les scènes, les dialogues, le découpage, la mise en scène, mise en page.... On met tout ça dans un gaufrier en dessinant assez grossièrement les scènes et en plaçant les dialogues pour se rendre compte de la place disponible. Une fois satisfaits, on le passe à l’autre qui le modifie si besoin, on se met d’accord entre nous si doute il y a. Puis on envoie tout ça à Cécile et Nicolas Finet, le directeur de la collection BD. Selon leurs retours, on apporte les modifications puis on passe le bébé à Cécile. C’est super d’être à deux pour le scénario, et de faire équipe avec Cécile et Nicolas. Ça nous permet de partager nos idées, nos points de vues et d’avancer en trouvant un accord. Et aussi de répéter les scènes à voix haute pour tester si les dialogues passent bien.
Auriez-vous une bande son à nous conseiller pour la lecture de votre album ?
C.B. : Je n'ai rien de très précis spécifiquement raccord à la BD qui me vient, mais voici mes écoutes lorsque je travaillais : Gregory Alan Isakov (l'album This Empty Northern Hemisphere), Sufjan Stevens (album Carrie & Lowell), Beirut (albums The Rip Tide et The Flying Club Cup... des chansons qui font voyager !) Sinon comme groupe que j'affectionne beaucoup et plus en accord avec le thème de l'écologie : Les Cowboys Fringants, et plus spécialement leur chanson Plus Rien qui, bien que pessimiste quant à l'avenir de notre petite planète, fait partie de celles que j'apprécie le plus, en plus d'être en lien direct avec certains points que soulève Permacomix.
G. : Là de but en blanc on sèche, on est très mauvais pour retenir le nom des chansons. On sait que nombreux sont les artistes engagés et on les remercie, c’est important de faire passer les messages en musique. On avait caressé l’idée d’intégrer une bande son à la BD mais on s’est dit que ce serait un travail titanesque. On a simplement casé un petit clin d’œil à Jacques Brel dans le chapitre 3. Plus jeunes, on fredonnait souvent C’est l’hymne de nos campagnes de Tryo.