Le deuxième tome d'Extases est sorti en pleine période de confinement, quand les contacts humains étaient réduits au strict minimum, voire prohibés. Un sacré paradoxe quand on sait que l’œuvre de Jean-Louis Tripp place la découverte du corps au centre de son récit. Qu'à cela ne tienne ! Sa lecture aura permis à beaucoup de patienter sagement mais surtout de se replonger dans une merveilleuse et si nécessaire ode au plaisir.
Sortir Extases au moment de l’épidémie de Coronavirus où l’on n’a pas le droit de se toucher…
Jean-Louis Tripp : Ce n’est pas le meilleur moment mais on ne choisit pas.
La préface du deuxième tome pourrait très bien constituer un bon discours de campagne électorale...
J.L.T. : (Rires) L’émancipation globale est, je pense, un bon discours. Malheureusement, ce n’est pas la tendance majoritaire actuelle.
Depuis le premier tome, sorti en 2017, avez-vous remarqué une évolution dans les mœurs ?
J.L.T. : Sur les deux dernières années, ça ne me parait pas flagrant. Je vois plutôt une différence entre le Québec et la France. Au Québec, on entend de plus en plus parler du polyamour. Maintenant, il commence à y avoir plein de trucs qui sont assez proches de mon idéal. Il y a un point de rencontre entre ceux qui sont plus dans la spiritualité et ceux qui sont plus dans le sexe, l’échangisme. Il commence a y avoir des trucs qui mélangent les deux. Pour faire court, une partouze commence par une méditation (rires)… On parle avant, quelque chose de l’ordre de « ok, on va faire des trucs de cul mais c’est pas juste du cul »… Ça, moi, j’aime bien. Extases m’a permis d’assumer totalement quelque chose, donc maintenant je suis beaucoup plus à l’aise avec ça. Parler de sexe m'est devenu très facile. Ce que j’ai remarqué, c’est que ces derniers temps il y a quelque chose qui se passe dans la parole avant l'acte. Tu rencontres une nana, et même si tu sais qu’il va se passer quelque chose, tu peux parler avant : « voilà quelles sont mes envies, quelles sont mes limites... » Pour moi, c’est absolument extraordinaire parce que tous les gens qui ont tapé sur MeToo, qui sont en gros la plupart du temps des mecs qui disent « oui, mais alors, la séduction, la drague, évidemment s'il faut demander l’autorisation pour le moindre truc… », c’est de la connerie en barre. Avoir la possibilité de parler avant tranquillement, ce n'est pas faire un contrat devant huissier, mais simplement de dire, qu'on est des adultes et qu'on sait ce qu’on va faire. En parler avant permet de ne plus se poser de questions pendant. J'en parle d'ailleurs dans le tome 2 d'Extases.
Vous en parliez donc déjà il y a trente ans. C'est une question de personnes ou d’époque ?J.L.T. : Je parle de mes souvenirs mais avec mon expérience d’aujourd’hui. À l’époque, je ne me formulais pas le truc comme ça, j’essayais de faire ce que je pouvais. J’étais plein de questions et, parfois, ça ne marchait pas du tout. Quand ça marchait très bien la première fois, en général je restait pendant des années avec la fille en question. Mais souvent, ce n’est pas comme ça, la plupart du temps même. Suppose que tu commences à apprivoiser l’autre, à le comprendre, c’est une question d’écoute. Si cette écoute se fait avant, c’est mieux. Si on devait imaginer une métaphore sportive : tu arrives dans une chambre avec quelqu’un que tu ne connais pas, les deux vont jouer à un sport sauf qu’on ne sait pas lequel, l’un joue au foot et l’autre au rugby, forcément il faut trouver une règle commune. Si la règle est définie avant, on peut mieux s’exprimer. Ça, pour moi, au Québec, c’est quelque chose qui est beaucoup plus facile qu’en France, notamment à Montréal.
Cela veut-il dire que votre album a été perçu différemment au Québec et en France ?
J.L.T. : C’est difficile à dire parce que les ventes sont bien moins importantes au Québec. La réponse que je vais faire est compliquée par le fait que je ne fréquente pas les mêmes milieux dans les deux pays. L’ensemble de mes relations au Québec sont des gens très ouverts, qui sont intéressés par ça et qui ne sont pas choqués alors qu’en France j’ai un volant beaucoup plus important mais plus professionnel. Au Québec, je vis à Montréal, en France je vis dans un petit village pommé de 480 habitants. Il y a quand même des gens avec qui je peux en parler en France. Quand tu es extrêmement à l’aise pour parler de quelque chose, ça met aussi les autres à l’aise. Ce que je vois, c’est que depuis Extases, j’ai beaucoup de retours via Facebook, Messenger, de gens qui me contactent parce que le tome 1 a bousculé positivement quelque chose dans leur vie. En France, j’ai eu aussi beaucoup de retours de sexologues qui me disaient que c’est un des bouquins qu’ils attendaient.
Pour mettre dans leur salle d’attente ?
J.L.T. : Oui, ou qui le font lire à leurs patients. Et je reçois aussi beaucoup de messages de femmes, plutôt entre 25 et 45 ans. Je tiens à préciser encore une fois que je ne cherchais pas ça. Ce que je veux dire, c’est que je ne suis ni prescripteur ni pédagogue, je ne cherche pas à dire que c’est comme ça qu’il faut faire. La seule chose que je remarque, c’est que quand les gens me parlent d’Extases, ils me parlent d’eux et pas de moi, c’est un peu comme un miroir. La plupart des gens qui ont lu le tome 2 me disent qu’ils l'ont préféré au 1 et je pense que c’est parce que ça aborde une problématique qui est plus adulte.
On le remarque notamment avec les fins de relations. Celle avec Capucine, dans le tome 2, est plus adulte que celle avec Caroline, dans le tome 1...
J.L.T. : À la fin de l’histoire avec Capucine, je me dis que c’est fini. La manière dont je me montre en train de finir en la poignardant avec le truc de bisounours tout en ayant essayé une ouverture de couple en étant plus clair sur mes propres cotés un peu obscurs, ça a été beaucoup plus compliqué pour moi de gérer la rupture.
On a aussi l’impression que le premier tome symbolise la découverte alors que le deuxième insiste sur la recherche d’un idéal…
J.L.T. : Le tome 2 est d’ailleurs moins génital que le tome 1, il y a beaucoup moins de plans de sexe. Pour une raison très simple, c’est que dans le tome 1 c’est ça qui était le sujet central. Quand on est ado c’est ça que l’on veut, comprendre comment marchent les outils. Dans le tome 2, on a compris comment ça marche, on essaye d’améliorer, de se comprendre soi-même. Qu’est-ce que je veux dans la vie, qui je suis ? Il y a encore un long chemin parce que moi, quand j’ai commencé à vraiment savoir exactement ce que je voulais et où j’en étais, j’avais 45 ans. Quand le tome 2 se termine, j’ai 38 ans. Il y a eu encore quelques années derrière de tâtonnement.
Les maquettes des deux tome sont très différentes...
J.L.T. : On va refaire, dès que le 1 sera épuisé, le même genre de maquette que le 2. On a eu beaucoup de difficultés sur la maquette du 1 à cause du fait que ce sont des personnages nus, notamment un homme. J'étais fixé sur cette image du personnage en train de flotter dans l’espace, pour moi c'était ça qui résumait le mieux l’album donc je voulais l’avoir en couverture. Ce n’était pas forcément une bonne idée parce que ça complique tout. Je trouve maintenant celle du 2 formidable.
Il me semble d’ailleurs que le sexe de l'homme devait être visible sur la couverture du premier tome...
Il n’y a pas de continuité non plus dans les sous-titres...
J.L.T : Non. Sur le premier, on a beaucoup cherché le sous-titre, c'était compliqué. J’avais fini par trouver ça (Où l'auteur découvre que le sexe des filles n'a pas la forme d'un X..., NDLR) et tout le monde avait adhéré. De ce fait, sur le 2, je cherchais quelque chose comme ça et puis je n’ai rien trouvé qui exprime la même chose et qui ne soit pas trop pompeux. Et à un moment donné, j'étais avec mon éditrice et je lui ai dit « en fait tu vois, c’est les montagnes russes » et elle me dit « Voilà ! C’est ça ! » et c’est ça, c’est évident. Il y a 15 ou 20 ans, je me serais acharné pour trouver un truc qui soit cohérent. Honnêtement, maintenant, comme d’ailleurs dans ma façon de raconter les histoires, je me sers de tous les outils mis à ma disposition. S'il faut changer de style, s'il faut passer à de grandes pages, j’y vais. Pour moi, ce qui est important, c’est que ce soit efficace. On s’embête pas, il faut que ça envoie.Il y a en préface quelques citations d'artistes ou d'auteurs. Toutes ont une signification ou presque... D'où vient le « J’assume ma courge ! » ?
J.L.T. : Elle est drôle celle-là… Catherine Lamontagne-Drolet, dite Cathon, est une actrice québécoise. Un jour, elle était à la caisse d’un supermarché avec une courge et là la caissière lui demande si elle veut un sac pour emballer sa courge. C’est à ce moment qu’elle a répondu « non, j’assume ma courge » (rires). Cette phrase là, avec Aude Mermillod, on l'a trouvée tellement géniale qu’on essaye de la diffuser partout. Je trouve qu’elle est tellement parlante…
Les trois bandes verticales, évoquant une série de plongeons suite à la séparation d'avec Capucine, après vous êtes fait tatouer Icare est une scène particulièrement éprouvante...
J.L.T. : Ça a été une période de ma vie de grosse remise en question, de dépression qui s’est arrêtée quand j’ai eu mon fils. Là, je me suis dit qu’il fallait passer à autre chose. C’est parce que mon fils est né et qu'il n'était pas prévu que je suis allé voir un psy. J'avais un gamin un week-end sur deux et à plein temps pendant les vacances. Quand il était avec moi, j'étais tout seul, je changeais les couches, je donnais le biberon à partir de trois mois. Je me suis dit que là; il fallait commencer réellement à se poser des questions sur comment je fonctionnais. C'était le début du travail sur soi qui ne s’est jamais arrêté depuis.
Le deuxième tome est donc aussi celui de la paternité aussi. Quelle a été la réaction de vos enfants quand il se sont vus dessinés ?
J.L.T. : Ils ont rigolé. J’ai quand même été un père absent parce que séparé donc je pense que pour eux ça a été quelque chose de problématique. Je les ai toujours pris aux vacances, j’ai toujours payé ma pension rubis sur ongle, mais je n’étais pas là tous les jours. Je me suis retrouvé chez un psy qui m’a dit « il faut pardonner à nos parents parce que ce sont des pauvres gens qui ont fait ce qu’ils ont pu ». Je me sers de ça pour faire passer un message à mes enfants en leur disant « ben ouais, je sais que du point de vue de la présence, je n’ai pas forcément été un père formidable ». Après, je suis en très bons termes avec eux, je les vois, on s’appelle régulièrement.
J.L.T. : Pour le grand, tout était déjà plus ou moins clair. Ça a beaucoup changé dans les générations actuelles. Le petit a chopé le tome 1 dès qu’il est arrivé, avant même que j’ai le temps d’ouvrir le paquet. Il l’a lu, il avait quinze ans et demi. Il était alors en couple avec une fille donc je pense qu’il avait fait à peu près les mêmes choses que moi. Il l’a donc lu et il m’a dit « bon très bien papa, ok, moi je ne suis pas comme toi mais ça va, c’est cool ».
Il y a une rupture graphique après les trois quarts de l'album avec une fin constituée d'une succession de pleines pages. Ce qui est frappant, c’est le bonheur que l'on perçoit dans le regard des gens...
J.L.T : Vous ne vous trompez pas. En tout cas, c’est mon regard. Il y a deux choses : la première, pourquoi la rupture graphique ? Je fais visiter le club à vide. Ce que je voulais, c'était faire partager mon expérience de ce qu'est qu’un club échangiste pour des gens qui n’y sont jamais allés. C'était ma première visite, je n’y étais jamais allé, j’avais donc toutes les mêmes inquiétudes, le même stress, peut-être les mêmes envies. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui aimeraient mais qui n’y sont pas encore allés. J’ai fait ça entre autres parce que mon expérience de la représentation des clubs échangistes, que ce soit au cinéma ou dans les BD que j’ai vues jusqu’à maintenant, ce n’est pratiquement jamais la réalité. On sent bien que les gens qui en parlent sont des gens qui ne connaissent pas. On montre souvent une ambiance glauque avec des vieux mecs et ce n’est pas la réalité. Ce que je voulais faire dans un premier temps, c'était amener le lecteur avec moi et, au moment où ça commence à démarrer, l’amener au milieu des gens. C'est pour ça qu’il y a les doubles pages sans bords : il fallait faire entrer dans la chair, dans la moiteur, dans quelque chose de très sensuel et charnel. Encore une fois, je répète que la réaction des gens qui vont voir ça leur appartient, elle parle d’eux. S'il y a des gens qui disent que c’est dégueulasse et qui se sentent mal à l’aise, ça parle d’eux, pas de moi. Il y en a d’autres qui vont me dire « wow, on y est vraiment ». La deuxième chose, quand vous dites que ce sont des gens heureux, mon expérience montre, même si ce n’est pas toujours comme ça, que c’est un milieu où les gens sont respectueux. Tous les gens que je connais y compris les filles avec qui j’y suis allé m’ont toujours dit qu’on se sentait plus à l’abri là que dans une boite de nuit classique. Ceci pour une raison assez simple, c’est que quelqu'un qui se comporte mal dans un club échangiste se fait virer dans la seconde. Il suffit qu’une nana dise « stop, ça suffit » ou appelle un mec du staff et le mec se fait virer, il ne reviendra plus, ce n’est pas dans leur intérêt. Il ne faut pas mal se comporter parce qu'on ne pourra pas avoir accès à ce dont on a envie. Ça crée une sorte de loi. Dans tous les clubs échangistes, dans la charte au début, on explique ça en long en large et en travers. C’est hyper sécuritaire contrairement à ce que l’on pourrait penser.
Vous montrez que c'est un milieu très codifié...
J.L.T. : Là, je parle des années 90. Ça a beaucoup changé. J'espère faire un tome 3 dans lequel je parlerai d’une période plus actuelle. J’ai vu un changement très important dans les vingt ou trente dernières années. À l’époque, il était très clair que c'était les mecs qui étaient moteurs. Ils faisaient la même chose que moi, ils se disaient qu’ils n’avaient pas trop envie de tromper leur nanas mais qu’ils voulaient mettre un peu de piment dans leur couple. La solution ? L'échangisme. Le couple se met d’accord mais c’est le mec qui propose et la nana finit par dire ok. Elle a un peu peur mais elle finit par y aller. Pour ma part, je n’ai même pas formulé cette histoire de club échangiste, je savais à peine que ça existait à l’époque. J’essayais juste de reproduire l’orgie romaine. À l’époque, on observait des genres de disputes un peu larvées où le mec et la nana pouvaient être en désaccord. Le fait est que souvent le mec voulait avoir accès à d’autres nanas et il avait tendance à délaisser un petit peu sa femme. Aujourd’hui, soit ce sont des couples, soit on voit même des licornes - des filles seules -, mais c’est plutôt rare. Maintenant, on voit surtout des couples où la nana est très moteur. Je suis assez ami avec le patron d'un club de Montréal où je fais les lancements de mes bouquins, qui est un gars exactement dans la même optique que moi. Il me racontait qu’un cas classique aujourd'hui c’est un couple qui arrive pour la première fois, ils font leur soirée, mais quand ils repartent la nana est enchantée et le mec un peu en retrait parce que ce qu’il a vu c’est que sa nana s’est éclatée à fond et qu’il n’avait pas forcément anticipé ça. Lui il pensait qu’il allait s’éclater mais il s’est rendu compte que finalement, même si on ne peut pas en faire une généralité, c’est plus facile pour la nana, ne serait-ce que pour des problèmes d’érection. C’est un truc qu’on n'aborde jamais mais dans les clubs échangistes c’est compliqué parce qu’on est forcément dans un truc de mec, de regard sur les autres. Quand on a des personnes qui nous regardent, on se dit qu’il faut qu’on gère, surtout au début quand on est pas habitué, ce n’est pas forcément évident.
Ce milieu est donc réservé aux couples solides finalement...
J.L.T. : C’est évident. Un couple fragile a toutes les chances d’exploser. Par définition, ils ne seront pas clairs sur ce qu’ils veulent. À l’inverse, un couple solide peut vraiment s’amuser. Je préciserais une chose : pour moi, l’échangisme, ça ne m’intéresse que quand je suis en couple. Lorsque je suis seul, ça ne m’intéresse pas, je n’ai pas envie de me retrouver seul à chercher un couple ou une nana.
C’est le désir de partager en fait…
J.L.T. : Oui, c’est même plus que ça. C’est partager et construire avec ma partenaire l’imaginaire érotique du couple, l’alimenter, le nourrir de choses extérieures qui évitent de tourner en rond. Faire entrer du fantasme vivant, ensemble, à l’intérieur de la relation.
D’autant que vous vous rendez compte au bout de deux longues relations que vous suivez exactement le même processus…
J.L.T. : Je pense que c’est inévitable mais je ne veux pas passer pour une espèce de gourou, ce serait le pire truc pour moi. Quand je vois dans des articles des trucs qui ont tendance à me définir comme un super queutard, ça me fait chier, ce n’est pas du tout l’idée. Je ne tire aucune gloire de ce qu’a été ma vie, j’ai essayé de tirer ma route comme j’ai pu. Pour trouver mon chemin, ça a été difficile. J’ai un âge où maintenant ça va, je l’assume, et c’est ce qui me permet d’en parler. C’est vraiment important pour moi de ne pas être prescripteur de quoi que ce soit, même pas pédagogue. Je partage juste mon expérience en me disant que si quelqu'un peut y trouver quelque chose, tant mieux…
Votre expérience, c’est qu’au bout de six ou sept ans votre couple est amené à s’éteindre…
En ce moment il y a deux pièces de théâtre qui tournent. Extases et Magasin général.
J.L.T. : Magasin général, c’est une pièce de théâtre en flamand adaptée de ma série. C'est formidable, ils en ont fait quasiment une comédie musicale. Ils font salle comble, 200 personnes tous les soirs pendant une semaine, dans un petit bled des Flandres, à Renaix. Ce sont les gens du coin, de toutes générations, les grands-parents avec les petits enfants, il y a eu un super accueil. C’est la seconde fois car il y avait déjà eu une adaptation au Québec, sur les trois premiers tomes également. Extases, c’est autre chose. Là, il y a une adaptation qui s’est jouée à Avignon l'été dernier, qui va être programmée dans un théâtre à Paris, À la Folie Théâtre dans le 11e arrondissement, à partir de septembre, une fois par semaine. Dans l’intervalle, la metteuse en scène et le comédien ont fait une version un petit peu plus courte qui dure à peu près une heure, sans décor, uniquement avec des accessoires, qui est destinée à être jouée en appartement. C’est très à la mode en ce moment. C’est celle-là que l’on a joué à Bruxelles bien que ce ne fût pas en appartement, sur invitation pour le lancement de Extases. On va la jouer à Angers, sur invitation également. C’est mon texte, avec des coupures bien sûr.
Êtes-vous à l’origine de ce projet ou vous l’a-t-on proposé ?
J.L.T. : En fait, ce qu’il s’est passé, c’est que quand je faisais Magasin général avec Régis (Loisel, NDRL), il était mon confident et connaissait toutes mes histoires. Il m’a enjoint de les raconter. Après, il y a eu cette fameuse scène que je raconte dans le préface du premier tome avec Benoît Mouchart. Mais moi, quand je faisais Magasin général, je n’étais pas à 100% sûr d’être capable de faire des bouquins seul, surtout des trucs de longue haleine parce que pendant neuf ans j’ai travaillé d’après le dessin de Régis. Je ne savais même plus comment je dessinais quand on a eu fini, je n’avais pratiquement pas fait de dessin tout seul durant cette période. Ça a quand même duré presque 10 ans alors je me posais des questions. À un moment, avant cette scène du restaurant, je m’étais dit que l’histoire pourrait être intéressante à raconter, j’avais envie d’écrire le texte, de faire un monologue, prendre des cours de diction et aller dire ça sur scène. Finalement, j’ai fini par faire ce que je savais faire et j’ai commencé à le penser BD, à le dessiner et ça s’est super bien passé. Ça m’a redonné une énergie de faire cette histoire. En plus, j’en fais une page par jour, ce n’est pas la pesanteur qu’il pouvait y avoir dans les années 80 où je fais 12 cases par planches en lignes claires, là c’est vraiment tranquille. Quand j’ai eu fini le bouquin, j’en ai fait la relecture, j’ai remarqué qu’il y avait une pièce de théâtre dedans. À ce moment-là, j’ai appelé Franck Jazédé, un comédien ami d’enfance de mon frère et j’ai envoyé le pdf en lui demandant de regarder et de me dire ce qu’il en pensait. Il est revenu en me disant qu’il y avait quelque chose à faire. Il a commencé à y réfléchir en se demandant s’il pourrait le faire lui-même car il n’avait jamais joué seul sur scène et je voyais bien que ça le titillait. C'était au mois de mai. Au mois de juillet, il a trouvé Nathalie Martinez, il l’a embarquée dans l’affaire. Je les ai rencontrés le premier septembre à la sortie du tome 1 pour parler de tout ça. Le spectacle était monté six mois plus tard. Ensemble, on a co-produit, accompagnés par Régis et un ami suisse. Il y a eu trois représentations à Paris. On espère que ça va se prolonger. C’est compliqué, le théâtre c’est pire que la BD, ça coûte plus cher à produire même si ce n’est pas autant que le cinéma. Il y a eu un peu les mêmes problèmes qu’il peut y avoir avec le livre, c’est à dire l’a priori qu’ont les gens sur quelque chose qui parle de sexe. Certains directeurs de salles disent que ça leur a beaucoup plu mais qu’ils ne peuvent pas le programmer chez eux parce que c’est une salle municipale et que les élus vont râler… Il y a la politique qui entre en jeu. C’est bien la preuve que le corps est politique ainsi que le sexe. Ça ne fait que me conforter dans cette idée. Mais il y a un théâtre à Paris qui a bien voulu s’embarquer là-dedans et on espère que cette version d’appartement va se jouer, que les gens vont avoir envie de faire venir la pièce chez eux. C’est assez facile à faire, il suffit d’avoir une pièce où l’on peut mettre 30 personnes.
Vous nous dites que votre rythme de travail est plutôt tranquille pour Extases, ça veut dire que pour le tome 3 vous allez faire une pause ?
J.L.T : Je suis actuellement en train de faire une pause. J’ai écrit plusieurs scénarios cet été (2019, NDLR) dont trois avec Aude (Mermilliod, NDLR). Ça a l’air de se mettre en place, on a probablement trouvé un dessinateur. J’ai un bouquin qui est en train de se faire, en train d’être dessiné, que j’ai écrit cet automne. Il est en cours de réalisation. Ce sont des sujets qui n’ont rien à voir avec Extases ni d’un coté ni de l’autre. Le projet avec Aude est plus dans l’esprit de Magasin général mais pas du tout au Québec, c’est un triptyque qui se passe dans des petits villages du sud de la France. L’autre n’a aucun rapport, c’est un truc qui est arrivé un peu par hasard et qui m’a intéressé et j’ai embarqué là-dedans mais les gens vont être surpris je pense. Je viens aussi de commencer un bouquin autobiographique qui concerne la mort de mon frère.
Quand pourrions-nous espérer avoir le tome 3 de Extases ?
J.L.T : Ça dépendra énormément de ce qu’il va se passer avec le tome 2. Le problème que j’ai eu pour chaque tome, c’est que ce sont deux années de travail et que pour le moment, les ventes du premier c’est un an de revenus pour moi. Ça veut aussi dire que je suis hyper privilégié, je peux me permettre de faire ça grâce à Magasin général, faire une année blanche. Par les temps qui courent, je remercie le ciel tous les jours d’en être là, de pouvoir me permettre ça. Quand je vois à quel point des gens hyper talentueux et même connus peuvent galérer… C’est formidable, sauf que je ne peux quand même pas faire ça tout le temps… Il faudrait que le tome 2 tire le tome 1 vers l'avant. J’espère vraiment que le tome 2 va permettre à des lecteurs qui avaient un peu coincé sur le 1 en ne sachant pas trop ce que c'était de comprendre quel est le projet d’ensemble et de se rendre compte que ce n’est pas juste de raconter des histoires de cul de quand j'étais ado mais que c’est un projet beaucoup plus large que ça. L’ambition que j’ai, c’est de traiter toute l’évolution dans une vie. La sexualité n’est pas la même à 50 ans qu’à 20 ans. Il y a plein d’autres problèmes et ce n’est plus la même problématique à aucun point de vue. Je veux raconter ça et le mettre en perspective avec l’évolution de la société, de la vie. Dans le tome 2, il y a l’arrivée du Sida et le préservatif devient un truc inévitable alors qu’avant… Jusqu’à l’âge de 26 ou 27 ans, personnellement, je ne savais même pas ce que c’était. C'était un truc pour les grands-pères ! Il a fallu s’adapter à ça et à l’évolution des mœurs, il y avait plus de liberté avec ses excès. Quand j'étais ado, j’entendais Matzneff parler à Radioscopie de Jacques Chancel qui présentait « The » émission, l’institution absolue : le Grand Échiquier. J'étais éberlué, on ne connaissait pas le mot pédophile à l’époque mais je trouvais que ce mec faisait des trucs pas clairs du tout et personne ne le lui disait. La seule qui le lui a dit, c'était une Québécoise. C'était ça les excès. Mais à coté de ça, si on va à la plage aujourd'hui et qu’on voit une femme avec les seins nus, on peut penser que c’est une soixante-huitarde qui ose encore les montrer. Depuis, il y a eu un retour de l’ordre moral. J’en parle dans le tome 2 de ça, l’amorce on ne l’a pas vue venir mais elle se passe au début des années 80 lorsqu’il y a en même temps l’ayatollah Khomeini, Jean-Paul II, Thatcher et Reagan pendant 2 ans aux commandes chacun de leur coté. C’est le début. Par exemple, l’émergence du Tea Party aux États-Unis, ça vient de là, dans cet espèce de retour de l’ordre moral absolument hallucinant. Parce que les USA c’est quand même le pays d’où est parti le Flower Power, les hippies, toute la libération sexuelle des années 60. C’est ce qui explique qu’au Canada ça ait été beaucoup plus fort, beaucoup plus radical qu’ici et qu’il y en a encore des restes. Par exemple, au Canada, le rapport homme/femme n’est pas du tout le même, il n’y a pas de harcèlement dans la rue et pourtant, Dieu sait si certaines filles ont des tenues hallucinantes. On peut demander à toutes les françaises qui sont allées là-bas, tout d’un coup on ne les fait plus chier dans la rue… Les filles là-bas sont bien plus tranquilles et assumées. Encore une fois, il peut y avoir des exceptions, je ne veux pas idéaliser quoi que ce soit, je ne peux parler que des milieux que je connais. Je suis à fond dans MeToo, je pense que c’est aux hommes de se bouger maintenant, c’est essentiel, ça et le réchauffement climatique.