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Mark Eacersall : j'ai enfin l'impression de faire mon métier

Entretien avec Mark Eacersall et Henri Scala

Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade Interview 14/05/2020 à 11:03 5387 visiteurs

À lire GoST111, il est difficile de croire que le scénario a été co-écrit par deux novices du 9ème Art. D'un côté Mark Eacersall qui, comme il aime le rappeler, a exercé presque tous les métiers du spectacle à part cracheur de feu. De l'autre Henri Scala, pseudonyme sous lequel se cache un commissaire passé par des services d'investigation prestigieux. Le résultat est une formidable immersion dans le vaste milieu des indicateurs de police, dont la mise en images est signée Marion Mousse.

Cela fait-il longtemps que vous vous intéressez à la bande dessinée ?

Mark Eacersall : Oui, de tout temps. Le hasard fait que pendant une grosse quinzaine d’années j’ai fait tout un tas de trucs : du théâtre, des documentaires, de la radio, de la musique, du montage… J’ai papillonné d’une aventure à l’autre, j’ai même fait l’horoscope !! Au bout d’un moment, je me suis dit que j’allais faire quelque chose. Papillonner, le fait de ne pas tracer de sillon, ça complique la vie professionnelle. Je voulais écrire. Je suis parti dans l’audiovisuel et ça a été un long chemin. Il y a trois ans, j’ai rencontré Franck Marguin (Directeur de la collection 1000 feuilles chez Glénat, NDLR) avec un projet de série avec Henri Scala. Il s’agissant déjà de GoSt. Nous avons beaucoup parlé avec Franck parce que nous avons des sujets d’intérêts communs. Je lui ai donc parlé de mon projet car je pensais que cela ferait un beau roman graphique. Un mois plus tard, il m’a dit qu’il le prenait. Je me suis alors demandé pourquoi je n’étais pas parti plus tôt dans la BD et, par la suite, j’en ai profité pour lui proposer tout un tas d’autres choses que j’avais préparées. C’est pour ça qu’actuellement j’en suis à ma septième BD en préparation. Je suis très productif parce que j’adore ça. La BD me permet de faire tout ce que je ne pouvais pas faire en audiovisuel, notamment être le maitre d’œuvre. Il y a deux interlocuteurs, l’éditeur et le dessinateur, et non pas toute une chaîne de décision de 40 personnes qui fait que tout se dilue. J’ai l’impression de faire enfin mon métier ! J’ai toujours donné ce que je pouvais dans mon travail, mais dans mon expérience de l’audiovisuel, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas très bosseurs et tout un tas d’obstacles comme l’argent, des personnes qui ont leur mot à dire alors qu’elles n’ont pas d’expertise, contrairement à la BD. Là je m’éclate, je rencontre des créateurs, je travaille tous les jours, les choses se font… Depuis 25 ans la France est un lieu de créativité énorme ! Tout est possible et en plus il y a un public. C’est vrai qu’actuellement il y a des débats que je n’ai pas envie de développer sur la rémunération des auteurs, il n’en reste pas moins pour moi que créativement parlant c’est merveilleux. L’audiovisuel s’en est d’ailleurs rendu compte puisqu’on ne compte plus les adaptations… C’est lié au manque d’imagination des gens de ce domaine qui sont très frileux, donc quand le bouquin existe, ils ont l’impression que c’est plus tangible qu’un scénario alors que c’est sensiblement la même chose… Mais en même temps, la BD fait plein de choses nouvelles alors que la télé est plus redondante.


L'une des caractéristiques de GoSt111 est l'absence de récitatifs et l'importance des dialogues...

M.E. : Absolument, et on comprend tout… J’aime bien laisser la place à l’imaginaire des personnages et mon co-auteur est d’accord avec ça. On nous a parfois suggéré d’en mettre plus mais nous ne l’avons pas fait. Par ailleurs, par rapport à l’audiovisuel, il faut être encore plus concis. Les dialogues c’est ce que l’on voit, mais ce qui fait sens, c’est la structure. C’est un truc dont on ne parle jamais qui fait partie de l’écriture. Tout le monde voit les dialogues mais c’est le truc le plus facile. En revanche, charpenter l’histoire pour qu’elle soit conforme à ce que vous voulez raconter et qu’elle induise un sens en elle-même, ça c’est ce qu’il y a de plus difficile.

Les codes de l’audiovisuel et de la BD sont pourtant différents...

M.E. : Ils sont différents mais il y a tout de même plein de choses qui se rejoignent et d’autres moins. Je n’ai pas fait de formation particulière mais je lis de la BD depuis que je suis petit. Bien sûr, ce n’est pas parce que l’on lit des choses que l’on est capable de les reproduire mais, personnellement, je suis un peu une éponge. J’absorbe et je fais des choses qui sont conformes à mon goût. Je reviens toujours au sens, « Qu’est-ce qu’on raconte ? Où on veut amener le lecteur ? », ce qui est hyper difficile puisque contrairement à ce que l’on pourrait penser ce n’est pas évident de le savoir. Parfois, on pourrait penser que l’intrigue est simple mais on raconte toujours quelque chose en dessous. Jamais je ne vais vendre une histoire sur ce que je pense raconter au fond parce qu’on me dirait que c’est abscons. De tout ça découle l’écriture, les personnages, les forces en présence. Ce n’est pas comme ça pour tous. J’ai un ami d’enfance qui fait ce métier depuis des années, Christophe Dabitch, et lui fonctionne plus à l’intuition alors que moi je charpente. Ici, les ellipses proviennent de ce que l’on veut raconter, avec la montée en puissance d’un maître et d’un élève. Au début, l’apprentissage de Goran est laborieux puis il passe un palier, il se jette à l’eau d’un coup, puis ça s’accélère. Comme en rugby, il y a des temps forts et des temps faibles. Pour finir, non, je n’ai pas de formation; En ce moment, je lis L’Art invisible et pour une BD sur la BD ce n’est pas vraiment pesant, c’est un pensum dans lequel on peut repérer des choses.

Au début, c’est vous qui aviez l’histoire en main ?


M.E. : Je côtoie Henri depuis des années parce que je voulais écrire quelque chose d’après une affaire qu’il avait traitée et on a continué a se voir deux fois par an. Je lui racontais mes galères de scénariste et lui son irrésistible ascension dans la police. C’est un fan de BD. Un jour, à la faveur d’un déjeuner, il m’a confié que selon lui, une chose n’avait jamais été faite, une histoire policière du point de vue de l’informateur. Des films oui, mais pas des BD.

Henri Scala : Ça a été fait finalement, dans Le Cousin, non ?

M.E. : Il y a un informateur dans le cousin, oui.

H.S. : Mais c’est du point de vue du flic en effet.

M.E. : Alors qu’ici c’est lui le narrateur, depuis son recrutement jusqu’au bout. Je me souviens très bien du moment où il me fait remarquer ça parce que je me suis dit que c'était génial et je lui ai proposé qu’on le fasse ensemble. Depuis le temps qu’on se parlait je pensais bien que ça lui plairait. La semaine suivante j’ai pitché l’idée à une boite de production pour faire une série et ils l’ont prise instantanément. On l’a développée, ils l’ont proposée ici et là. C’est une boite assez active mais le genre policier est assez encombré en France parce qu’il y en a plein qui en font et il n’y a pas beaucoup de place. L’option s’est terminée, on en a récupéré les droits et quelques temps plus tard j’ai rencontré Franck et je la lui ai proposée. Au départ, c’est l’idée de raconter une histoire policière du point de vue d’un informateur qui raconte beaucoup de choses sur le fonctionnement de la police et sur l’administration de la société française, cette espèce de comédie de masques et de mensonges.

Tous les informateurs sont-ils en galère comme Goran avant d'être recrutés ?

H.S. : Par principe c’est compliqué. Il n’y a pas de process de travail d’aller chercher les gens qui sont en galère pour les obliger à travailler comme esclave pour la police. Ça ne fonctionne qu'au hasard, il faut tomber sur une personne qui accède à des informations dans des domaines particuliers de criminalité et de voir s’ils acceptent ou pas, pour des motivations différentes, de travailler avec un service de police. Il n’y a pas de « démarche ». En l’occurrence ici, le gars décide de profiter de l’occasion en se disant qu’il a un type en garde à vue chez lui et qu’il peut tenter de l’approcher. Ça fait partie des modes potentiels de recrutement. Quelqu'un qui est en garde à vue est potentiellement lié à une affaire ou à un milieu. Ici, il l’intéresse parce qu’il est de la cité et qu’il pourra donner des infos, il n’a pas de garantie mais toute information peut-être utile. Une source peut être assez variée, ça peut être des gens qui vont spontanément voir des services de police, ça peut être des gens contactés dans un autre cadre. Une source ou un informateur pour la douane ou pour une brigade financière ou pour un service de renseignement ou pour un service de police judiciaire du quotidien comme c’est un peu le cas dans cette histoire là, ce ne sont pas les mêmes profils, pas les mêmes personnes. L’informateur pour un service de police qui fait de l’enquête judiciaire de niveau moyen comme ici, généralement, c’est quelqu'un qui est dans le milieu délinquant et dans le milieu on est toujours un peu en galère de quelque chose. C’est moralement délicat. Dans les bonnes pratiques, c’est quelque chose qui demande d’être traité de manière assez soigneuse.


On éprouve plus de sympathie pour Goran que pour la police alors même que vous êtes commissaire...

H.S. : Je ne sais pas si c’est paradoxal. Goran est le personnage central, on ne pouvait pas le faire trop antipathique mais c’est quand même un malfaiteur... Il fait envoyer des mecs en prison, il manipule les autres, il fait tuer un des types avec qui il était en affaire... Il est sympathique parce que c’est le bon père de famille, mais en fait quand on regarde bien…

M.E. : On est du point de vue de Goran qui est un taiseux et, du point de vue artistique, on trouve ça super. C’est intéressant d’avoir une opacité comme ça et d’imaginer des choses. Il est taiseux parce que ça lui tombe dessus, ça aurait pu ne jamais arriver et il fait des mauvais choix. Goran n’est pas sympathique mais on le suit quand même parce que c’est le principe de l’art dramatique. Tony Sorano n’est pas sympathique, il est en galère, mais on le comprend, c’est un mec qui trompe sa femme, il fait buter des mecs, il trafique de la drogue mais on le comprend, il a une grosse pression sur les épaules. Ce dont on a besoin, contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas d’aimer les gars, c’est de les comprendre. Vous pouvez raconter l’histoire du pire salopard, si vous le comprenez, vous pouvez emmener le lecteur avec vous.

H.S. : On a conçu l’histoire de façon à ne pas y mettre de morale. Pour moi, il y a juste des gens qui font des choix, certains qui en font des mauvais et qui en assument le prix ensuite. Je trouve que c'était plutôt amusant en terme de fiction. Quand le policier a le rôle du méchant ça fait souvent un bon méchant. Quoi qu’on en dise ça fait un peu Orson Welles dans La Soif du mal. À un moment ou à un autre, avoir un personnage de méchant un peu fort, ça donne aussi de l’intérêt à l’histoire. C'est pourquoi il y a cet officier de police un peu cynique, vicieux, qui n’en a rien à foutre des autres et qui trace sa ligne uniquement parce qu’il doit avancer et briller auprès de ses chefs. C'est plus intéressant finalement que de mettre un policier honnête mais un peu fade, comme le sont peut-être plus les vrais policiers. C'était ça qui était amusant, c'était aussi ça l’idée de raconter l’histoire du point de vue de l’informateur.

M.E. : Ces dernières années, il y a eu de grosses affaires de flics retournés par des indicateurs.

H.S. : Je rappelle que ce sont des affaires qui ne sont pas encore jugées.

M.E. : Il y en a au moins quatre qui sont en cours, à Versailles, à Lyon, à la douane du Havre, à Nantes. Il y en a une par an. C'était évidemment ce qui nous intéressait aussi, cette zone grise, parce qu'elle est encadrée par la loi. On ne peut pas faire ce que l’on veut avec les indicateurs. Si vous avez de mauvaises pratiques ça peut très rapidement devenir « glissant ».

H.S. : De ce point de vue là, ce qu’il est intéressant de raconter, c’est qu’effectivement il y a une raison pour laquelle c’est fortement encadré, il y a des formations, des bonnes pratiques et des mauvaises, ce sont des activités assez complexes. Il y a un niveau de risque qui n’est pas négligeable et qui exige une bonne gestion. Ce n’est pas nécessairement le risque physique mais de se retrouver dans une situation où ça tourne mal. Le principe de base c’est que ce n’est pas l’indicateur qui commande, il ne doit pas participer à l’infraction. Il y a un certain nombre de règles qui ont l’air bêtes et on s’aperçoit qu'elles sont nécessaires. C’est une activité humaine avec les aléas que ça peut comporter, c’est donc risqué. Là, typiquement, le flic fait tout ce qu’il ne faut pas faire, mais il a l’habitude de faire comme ça alors il ne s’en préoccupe pas plus. Dans des affaires, on arrête des gens qui sont informateurs et c’est normal dans la mesure où ce sont des malfaiteurs potentiels, c’est la preuve qu’ils ne sont pas protégés par le statut d’informateur. Ça arrive aussi qu’un informateur amène une affaire, en bonne pratique, où l’informateur est tellement impliqué dans l’affaire qu’on ne la fait pas. L’affaire n’est pas saine et si on choisit de la faire on doit fermer les yeux sur ses propres infractions, on est obligé de le laisser en commettre une partie. Normalement, tout traitement d’une affaire sur la base d’informations rapportées doit faire l’objet d’un débat entre les enquêteurs pour décider de ce qu’on fait de l’information, comment on la traite, comment on la gère. Dans notre histoire, ce n’est clairement pas le cas, il gère ça seul, il va même parfois provoquer la commission d’infractions pour pouvoir faire une affaire.

M.E. : Évidemment, cette histoire d’informateur nous permet aussi de raconter des choses sur la société à un instant T. Nous avions cette volonté très forte, bien que l’histoire commence il y a quelques années, de parler de la France d’aujourd’hui dans les décors d’aujourd’hui, les zones d’activités industrielles, les parkings, etc, et pas le film noir comme on l’a vu vingt fois, pas les flics avec les grosses couilles et les blousons en cuir qui se couvrent après avec des guns, quelque chose qui n’est pas le quotidien d’un policier. Même si on a romancé et fait des raccourcis, on avait quand même le souci de se dire que c’est une « photographie » de la société française d’aujourd’hui avec certains de ses travers. Quand je vois des films de la nouvelle vague, bien que je ne nous y compare pas, j’aime bien l’idée qu’ils parlent de leur époque, on y voit les pubs du moment, la façon de parler, les vêtements, l’esprit. On avait cette même préoccupation.

Goran est loin de l'image que l'on peut se faire d'une petite frappe...

H.S. : Je dois avouer que nous n’avions pas d’intention de départ, notre idée c'était de raconter une histoire avec ce pitch comme base. Nous sommes partis sur la création de l’histoire et, pour la construire de façon à ce qu’elle soit intéressante, il fallait avoir des personnages assez contrastés entre eux : un gars pas trop éduqué et qui, sous la pression, se révèle être assez malin et assez fin face à un autre type plutôt malin, fin, et plus éduqué qui finit par être manipulé par le type qu’il pensait manipuler... C’est ce contraste que l’on a voulu montrer. Derrière, on s’est mis à raconter des choses avec des niveaux de lecture différents. Je n’ai pas de souvenir que l’on ait vraiment raisonné sur cette question, ça s’est fait d’instinct. Il fallait créer une intrigue un peu complexe mais qui se tienne, qui soit crédible, dont les tenant et les aboutissants s’emboitent correctement.

M.E. : Ça nous a fait faire des choix qui nous ont menés à la création de Goran. Le fait qu’il soit Yougo c'était d’après ton expérience. Les trafics sont assez rattachés à certaines nationalités ou ethnies. Or, les délinquants Yougo trempent un peu dans tout. C'était très pratique pour avoir un personnage qui avait à se mêler de tout alors que s’il avait été Rebeu il aurait plutôt fait du chichon ou Nigérien plutôt de la prostitution... Est-ce que je me trompe Henri ?

H.S. : Je ne peux pas tolérer les propos discriminatoires et racismes de ta part (rires). L’idée était quand même effectivement de trouver un personnage qui pouvait incarner un délinquant crédible qui soit suffisamment neutre. Ce n’est pas évident de prendre un délinquant pas du tout crédible. Le truc c’est que ce n’est pas la réalité, nous avons tout inventé mais nous voulions que ce soit réaliste. Je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de Serbes à la cité Curial-Cambrai, si ça se trouve il n’y en a pas un seul, mais en gros c'était possible et ça suffisait. C’est un perso qui pouvait à la fois avoir des contacts dans le trafic d’armes, connaitre des gars qui produisent de faux papiers, entrer en contact avec des trafiquants de shit... C'était pas mal, ça permet de raconter pas mal de choses à la fois, même si ce n’est pas exactement la criminologie absolument réelle. Ce n’est pas un documentaire mais une histoire réaliste.

M.E. : Pour en revenir à la façon dont s’est dessiné Goran, à une époque où on voulait en faire une série, nous avions commencé à imaginer des personnages et des acteurs, nous avions récupéré des photos. Quand Marion Mousse s’est emparé du projet il nous a demandé comment devait être Goran. On lui a répondu que nous avions pensé à tel acteur et on avait déjà dans l’idée une espèce de masque taiseux. Pourtant, ce n’est pas un mec qui est physique parce que je pense même qu’il est plutôt pétochard, mais avec une corpulence qui allait à l’encontre de la petite frappe justement. Il s’est assez rapidement emparé de ça, il l’a traité à sa manière et il a excellé. Sur le papier c’est quand même un pari, notre perso est un gars qui va très peu parler et dont on ne sait jamais trop ce qu’il pense.

H.S. : Je pense que le dessinateur lui a donné de l’existence. C'était un personnage un peu comme un Tintin, un peu neutre. L’idée c'était de se dire que quand le type lui annonce que maintenant il est indic et qu’il va aller lui trouver des affaires, il fallait que tout le monde puisse se demander comment dans pareille situation il aurait pu trouver des infos sur des opérations délinquantes alors qu’il n’est pas vraiment délinquant. C’est une galère, ce n’est pas évident d’aller trouver quelque chose. Il fallait que l’on puisse s’identifier à sa situation. De ce fait, il était un peu transparent, on ne l’avait pas vraiment caractérisé et pour le coup c’est vraiment le dessinateur qui l’a finalisé. La connexion entre le scénario et le dessin est plus complexe qu’il n’y parait parce que nous n’avions pas vraiment défini le perso.

M.E. : On lui avait quand même écrit tout un background que le lecteur ne connaîtra jamais. Ça racontait d’où il venait, à quelle époque il est arrivé en France, qui était son père... Nous avions prévu de faire une deuxième saison initialement.

On ne parle de son père que dans une case…

M.E. : Oui, et on peut imaginer que son père a un passé criminel mais qu’il ne l’a pas beaucoup connu. Pour moi, c’est typiquement le genre de chose qui rend le personnage et l’histoire crédible. Ces petits détails racontés au détour d’une case, je trouve que ça crée un personnage inscrit dans la vraie vie, on n’a pas besoin d’en savoir plus. En tant que spectateur, j’adore ça. La BD est super allusive, contrairement à la télé où on se demanderait qui est est ce personnage, d’où il sort... Il faudrait tout expliquer. Là, on glisse juste ça comme ça. Nous, on a notre théorie et le lecteur se fera la sienne. 

Il y a dans le récit de nombreuses répétitions de séquences...

M.E. : Effectivement, ce sont des variations sur le même thème mais en même temps ce n’est jamais la même chose, les mêmes rapports de force, jamais les mêmes enjeux... Ça a été un casse-tête pour Marion parce que il y a de nombreuses scènes dans un bureau. Il se demandait comment il allait dessiner ça, ça lui semblait horrible et, bien qu’il en ait fait des cauchemars, il s’en est super bien sorti. Je ne sais pas comment ça se passe pour les autres services mais dans la police d’investigation, vous passez beaucoup de temps dans des bureaux en fait, à travailler les dossiers, même s’il y a quand même des interventions. En terme de mise en scène, il n’y a pas mille façons de le faire. De ce fait, Marion a beaucoup travaillé sur les mains mais ça a été un cauchemar de mise en scène pour lui.

Outre l'absence de récitatifs, il y a également quelques planches muettes dont celle de Goran se trouvant au-dessus du vide...

M.E. : C’est vraiment Marion qui l’a imaginée. Nous avions juste pensé à une « respiration » et lui il a fait ça. Ce qui est hyper intéressant, c’est qu’on a coutume de dire que, dans un scénario, il ne faut rien d’inutile. Or ça, typiquement, c’est quelque chose qui est inutile. Ça ne fait absolument pas avancer l’histoire et pourtant c’est de la matière superflue qui donne énormément d’émotion et de profondeur au personnage. Le fait de dire qu’il ne faut rien d’inutile n’est absolument pas une chose à dire à des gens qui font du scénario. On peut en faire si on revoit la notion d’utilité. Il y a d’autres planches comme ça.

On peut interpréter cette scène de différentes façons...

H.S. : En le relisant, on peut se dire qu’il est angoissé parce qu’il vient de se faire menacer, il se croit repéré. Mais en même temps il est en train d’ourdir un autre plan. De fait, il y a une sorte d’ambivalence entre le fait qu’il est saisi par l’angoisse mais en même temps en train de penser à un plan. Il est constamment en train de réfléchir à la façon de se sortir de cette situation. Au fur et à mesure, il trouve des stratagèmes pour en sortir et il devient de plus en plus perdant. Au final, il va finir par acquérir la sagesse que l’on a quand on est vieux, à savoir « je ne sais pas comment je vais faire mais je vais me démerder quand même, je vais y arriver ».

M.E. : Je trouve que la beauté de ces deux planches c’est que ce sont des silences qui sont pleins. Il faut savoir que Marion avait fait autre chose au départ et qu’on a refusé de manière assez sèche. Il a donc fait ça et je trouve ça super. Il y a pas mal d’autres planches muettes, comme quand il rentre du boulot, sa fille fait une récitation, il la sèche etc. Il y a peu de choses qui sont dites. Là, en l’occurrence, il est au sommet de la pression, son intégrité physique est en jeu. Devant sa fille, il faut voir comment ce type est traversé par ça et je pense que quand on repart derrière on est dix fois plus avec lui. J’adore ça. Avec Henri, nous sommes très férus de ça. Si je peux éviter de faire parler mes personnages, il ne parleront jamais. D’ailleurs, je suis sur un projet quasiment muet en ce moment.

M.E. : Il y a une autre séquence muette, celle concernant le Rip deal. On l’a vraiment encadrée parce que le genre policier est trop phagocyté par des choses irréalistes. Il fallait donc vraiment driver Marion parce qu’il ne connaissait rien à la police. Ça peut aller de quelle bagnole ils utilisent à comment ils interviennent, comment ils se parlent. Par exemple, au début, il avait dessiné des mecs qui se battent avec des guns, on a dû lui expliquer que les mecs qui ont des guns en police ne se battent pas, ils ne peuvent pas, ils sont plutôt cinq mètres derrière, en protection de ceux qui sont au carton.

H.S. : Typiquement, si on intervient arme au poing, on ne peut plus rien faire de ses mains, ça rend difficile l’interpellation.

M.E. : On l’a saoulé à tout lui décrire. Cette infinité de détails participe a ce parfum de vérité. Le fait que ce soit une séquence entièrement neutre c’est un choix purement scénaristique.


Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade

Bibliographie sélective

GoSt 111

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RG
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Homicide - Une année dans les rues de Baltimore
1. 18 janvier - 4 février 1988

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