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« L'important, c'est de transmettre »

Entretien avec Bruno Falba

Propos recueillis par L. Gianati Interview 25/08/2019 à 17:56 3330 visiteurs

Ceux qui sont déjà venus au moins une fois à Toulon et qui aiment un tant soit peu la bande dessinée n'ont pas pu passer à côté de la célèbre librairie sise au 5 de la Place Puget en plein coeur du centre-ville. Créée en 1982 par Mourad Boudjellal, Bédule a été vendue en 2015 à son employé de l'époque, Bruno Falba, qui a depuis donné son nom à cette institution varoise. Ce nom vous dit quelque chose ? Normal, l'homme est un hyperactif assumé. Scénariste de nombreuses séries (Opération Overlord, Waterloo, Cathares, Malek Sliman...), il a ouvert une nouvelle galerie près de sa "petite librairie", organise un nouveau festival qui noue des liens très étroits entre BD et cinéma et possède dans ses tiroirs quelques kilos d'autres projets. Attachant, passionnant, discret, amoureux de sa ville, Bruno Falba fait partie des personnes qui comptent dans le monde du 9ème Art.  

Vous avez commencé à travailler à la librairie Bédule à la fin de l’année 1997, était-ce le fruit de votre rencontre avec Mourad Boudjellal ?

Bruno Falba : J’avais déjà travaillé ponctuellement sur son stand aux festivals de Hyères et d’Angoulême en tant que vendeur. Le 3 octobre 1997 j’avais rendez-vous avec Joachim Diaz pour la présentation d’un projet de bande dessinée et on m’a alors proposé de tenir la librairie car le libraire la quittait pour partir chez Soleil. Ce jour là, j’ai donc signé deux contrats mais je n’ai commencé à travailler à la librairie que le 14 janvier 1998. Durant ce laps de temps, j’avais fait un petit contrat chez Soleil afin de comprendre comment fonctionnaient les différents services mais aussi pour trier les films pour les couleurs. Ça m’a permis de prendre la température de la maison d’édition à l’époque.

À quoi ressemblait Bédule en 1997 ? Les éditions Soleil étaient-elles particulièrement mises en avant ?

B.F. : Mourad était avant tout libraire avant d’être éditeur. Par conséquent, il avait déjà tous les contacts. Il avait des préférences pour asseoir une cohérence commerciale. En effet, par la suite, il a un peu mis en avant ses titres et son catalogue grandissant. Je suis arrivé au moment de l’envolée de Lanfeust avec, en 99, la création du magazine et ses pré-publications. Tout était en ébullition. Cependant, au travers de Rahan et d’autres titres, il y avait quand même d’autres choses que Soleil. Tous les éditeurs avaient leur place dans la boutique. Il y a d’ailleurs souvent eu avant que j’arrive des dédicaces de grands noms de la BD organisées par vagues de trois auteurs.

Comment arrivez-vous à gérer votre temps entre votre métier de scénariste et de libraire ?

B.F. : Au fil des années, j’ai géré mon temps de différentes manières. Avant que je rachète la librairie, je partageais mon temps de la façon suivante : je me levais vers 5h-5h30 pour écrire, je commençais à la librairie vers 9h30, donc à 9h00 je mettais en pause mon travail pour le reprendre entre midi et deux. Puisque je n’habite pas très loin je pouvais rentrer chez moi, je me faisais chauffer un repas le temps que l’ordinateur démarre et je mangeais avec un lance pierre, j’écrivais alors jusqu’à 15 minutes avant de reprendre à la boutique et je recommençais le soir jusqu’à une heure du matin. J’ai tenu ce rythme durant plusieurs années. Par la suite, en étant à mon compte, j’ai dû gérer la comptabilité. Je savais déjà gérer les stocks, et pour faire des économies, je faisais moi-même toute la saisie comptable. Il faut savoir qu’une librairie demande énormément d’opérations de saisies de lignes, par conséquent j’ai passé plus de temps dans les chiffres que dans les lettres (rires), tout ceci dans le but de consolider la structure pour partir vers de nouveaux horizons. J’ai continué à écrire mais de manière différente, sur des plages horaires plus longues. Le matin je fais de la comptabilité et de l’administratif, ça fait notamment un an que je reste toute la journée à la librairie. Le soir et les weekends, même si je travaille 7 jours sur 7, je trouve du temps pour faire des recherches, lire et rédiger des projets.

À quel moment ont commencé les discussions au sujet de la vente de librairie, Mourad ayant cédé les éditions Soleil en 2011 ?

B.F. : Ce fût brutal. Mourad était très occupé et avait délégué une partie du travail, à savoir l’éventuelle vente du local. Il faut savoir que c’est un lieu apprécié des habitants du quartier, un lieu qui a accompagné de nombreuses personnes du coin, particulièrement des marins, des familles entières dans leurs vies de lecteurs. Quand je me suis rendu compte qu’elle risquait de disparaître, j’ai eu 5 heures pour trouver des solutions, comment conserver les deux employés, comment garder l’esprit du lieu. J’ai donc fait une proposition mais je manquais de moyens, je me suis donc associé à un ami journaliste qui m’a accordé sa confiance et au confiseur de la place. C’est ainsi que Mourad a été d’accord pour mettre tout ça en place. A l’époque où j’ai récupéré l’affaire, la place était en rénovation et j’avais sympathisé avec tous les ouvriers, ainsi je leur faisais signe pour qu’ils me fassent un accès pour les livraisons, c'était incroyable. Il est probable que pas un seul n’avait lu de BD auparavant mais ils étaient tous très impliqués. En ce temps là, par manque de moyen, je ne payais que Raphaël, l’employé. Je n’avais pas de salaire et j’avais négocié des sur-délais de paiement auprès de mes fournisseurs pour créer un fond de roulement et la trésorerie que je n’avais pas. C’était un pari et ça prenait aux tripes, la librairie ne pouvait pas disparaître. Parallèlement, je devais rendre Waterloo que j’ai réécrit trois fois entièrement en changeant tout car j’avais la pression de la relecture de Jean Tulard, un historien qui a rédigé la préface, ainsi qu’Opération Overlord tome 4, on a envoyé du bois, c'était rigolo ! Tout s’est terminé avec un soutien de la presse et un festival les 12, 13 et 14 août avec la venue de 15 amis. Les royalties de mes albums m’ont permis de rembourser les deux copains qui m’avaient soutenu au départ, puis j’ai remboursé mes apports et je me suis retrouvé tout seul dans l’aventure.


Le changement de nom de la librairie marque-t-il la volonté de créer une rupture entre ce qui se faisait avant et ce que vous proposez maintenant ?

B.F. : Oui et plusieurs éléments m’ont conforté dans cet esprit. Bédule c’était Soleil. Il fallait que je marque le changement, même les lecteurs ne savaient plus si Soleil appartenait à Mourad ou à Guy Delcourt. C'était aussi afin d’éviter toute confusion pour mes fournisseurs. La librairie porte mon nom, cela provient aussi de mon amour pour Falbala qui est née en 1966, nous avons la même date de naissance, c’est la même racine latine, c’est la couleur « fauve clair » en occitan. C’est un nom qui sonne bande dessinée, j’ai toujours signé de mon nom mes bébés de papier, c’est pour créer comme une passerelle « du producteur au consommateur » en quelques sortes mais aussi pour rassurer les habitués, pour leur dire que malgré les changements, je suis toujours là. Petite anecdote, l’enseigne de la librairie est toujours la même, j’avais retourné celle de Bédule et repeint Quand on ressort de la librairie on voit toujours la couleur jaune de l’enseigne d’antan.

En 2019 le métier de libraire est-il le même qu’en 1997 ?

B.F. : Depuis, mes responsabilités ne sont plus les mêmes bien sûr car, à l’époque, je n’en étais pas le propriétaire. Mais sinon, une librairie demande plus d’attention sur plusieurs points. La gestion du stock était prédominante, j'étais à 8% en taux de retours ce qui est faible alors que je suis actuellement à plus de 20. D’autre part, il faut animer le lieu, d’où la transition sur la galerie. La « petite librairie » fait 74m2 et manque de murs, il faut que ce soit un lieu de vie, de rencontres, de partages, de transmissions et le point positif de la BD, c’est que les auteurs sont très proches des lecteurs, contrairement aux barrières qu’il peut exister avec les grands artistes peintres par exemple. Dans ce cas précis, il n’y a pas de frontières et il faut donc créer un « aspirateur » pour permettre aux uns et aux autres de se rencontrer dans un lieu de vie commun qui est la librairie. Il y a donc eu une évolution de ce coté là, je faisais très rarement des séances de dédicaces à l’époque de Mourad. Je suis passé de 20 par an à 60-70, j’en parlais justement avec mon ami Didier de BDLib d’Évreux qui me disait que c'était le même nombre d’auteurs qu’il avait lui aussi, qu’il accueillait tous les mois chez lui et d’autres copains font de même. Il faut aller plus loin, augmenter le nombre des opportunités. Par exemple, en un mois entre mi-mai et mi-juin, en comptant les 3 salons auxquels j’ai participé et les séances de dédicaces de la librairie, j’ai géré 70 auteurs et les stocks qui vont de pair. En continuant parallèlement à écrire, à faire la promotion de mon album, à m’occuper de la comptabilité et à monter le projet de la galerie, je suis un peu hyperactif (rires). On se retrouve dans une dynamique qui est plus au service des lecteurs et des auteurs que du libraire. Afin de faire vivre ce lieu commun il faut se donner, sinon on choisit de faire autre chose, c’est une question de passion.

La galerie a-t-elle justement pour but de multiplier les animations ?

B.F. : Exactement. Là, je n’ai pas de mur pour exposer, pas de salle pour faire des ateliers d’écriture, de dessin, de peinture ou de photo. Je rêve d’avoir un petit lieu pour recevoir les copains des autres disciplines, que ce soit la musique ou même le jeu. J’aime beaucoup les jeux d’interprétation, les jeux de rôles - mon personnage est toujours vivant depuis 1985 - je joue encore avec dans Donjons et dragons, on y jouait encore samedi dernier et ce tous les 6 mois. L’idée c’est de recréer tous ces ponts en lien direct avec la bande dessinée : le cinéma, le roman, la peinture, tout…

Quel est le modèle économique de la galerie ? 

B.F. : Le risque c’est de se perdre en voulant faire trop de choses, de ne finalement rien concrétiser et de mettre la clef sous le paillasson, ou de la jeter dans le port… Je passe du temps à faire vivre cet endroit, à apporter une vision différente de l’entrepreneur. Par conséquent, il faut assurer la pérennité du lieu en assurant des revenus qui équilibrent l’ensemble des charges fixes mensuelles. Il y a heureusement plusieurs moyens : cela commence par montrer le travail des copains/copines, certains auront la possibilité de vendre des croquis et reproductions avec des oeuvres en dépôt, ou pas. Il y aura aussi des masterclass avec des thèmes différents tous les mois. L’objectif c’est de progressivement dédier l’espace uniquement au 9e art et de basculer toute la librairie de la place Puget, la partie librairie, là bas, alors qu’ici nous nous orienterons vers une librairie généraliste. Ceci dans le but de créer une nouvelle passerelle afin d’accueillir des gens comme Michael Moorcock qui m’ont fait rêver quand j’étais gamin. C’est une chose que je veux mettre en lien direct avec les amis comme Julien Blondel qui a fait une adaptation remarquable d'Elric chez Glénat et d’autres surprises qui arrivent.

La galerie ouvrira ses portes cet été, quelles seront les premières expositions ?

B.F. : Je vais avoir les clefs le 3 et je voudrais ouvrir le 6 (Juillet 2019, NDLR). La mise en place étant un peu rude, j’ai travaillé en amont. Le rez-de-chaussée et la mezzanine sont aménageables, il n’y manque que l’électricité, j’ai vu avec les pompiers pour la sécurité, il ne reste plus qu’à habiller un peu le sous-sol. Il y a donc un sous-sol de 79m2, le rez-de-chaussée de 101m2 et la mezzanine de 59m2. Je veux créer des espaces amovibles pour alterner les expos, les ateliers et pouvoir aménager une salle de jeu, de conférence, de table ronde, en faire un lieu convivial pour permettre à chacun de s’y retrouver.


Votre voisin, la librairie Contrebandes, a su se diversifier également…

B.F. : Oui, nous allons pouvoir créer une dynamique, la rue Paul Lendrin avec à son extrémité la librairie Contrebandes et la rue Alézard avec La Cellule Records dont le bâtiment est traversant (Donnant également sur la rue Lendrin, NDLR) comme mon prochain local, c’est excellent. La place des vieilles halles non loin est en pleine rénovation, ça va créer toute une dynamique intéressante, d’autant plus que nous nous entendons très bien et que nous sommes complémentaires. Nous sommes sur le même créneau mais avec des genres différents. Ils ont su s’adresser à des lecteurs qui recherchent un genre d’ouvrages axés sur les livres d’auteur, jeunesse et tout ce qui touche au social. Déjà actuellement, nous avons des lecteurs en commun et nous nous aidons régulièrement en nous envoyant des habitués ou des personnes qui nous découvrent. Il faut entretenir cela, sinon il faut faire un autre métier que libraire, ce n’est déjà pas un métier qui rapporte, on ne peut donc pas se permettre de se tirer dans les pattes. L’idée consiste à développer l’activité. Toulon a toujours été un lieu tourné vers la bande dessinée, depuis longtemps et en grande partie grâce à la Marine car tous les corps d’armée n’ont pas ce réflexe, avant de partir pour 3 mois, de charger ses carrés officiers, sous officiers ou matelots avec des bandes dessinées et des livres.

Soleil racheté par Delcourt et qui, accessoirement, quitte Toulon, Arleston qui suit son chemin en créant Drakoo, l’arrêt programmé de Lanfeust avec Tarquin qui signe chez Glénat, l’arrêt de Lanfeust Mag… L’esprit Soleil est-il en train de se transformer ?

B.F. : Je pense que la bande dessinée, l’image est un peu rude, c’est le phénix qui va renaître de ses cendres. Il y a une forte population de lecteurs qui continuent à entretenir des liens très proches avec les auteurs. La bande dessinée est atypique. Ce qui n’a pas été fait par le passé doit l’être maintenant avec notamment la construction de passerelles avec les autres disciplines, je pense que c’est maintenant.

C’est ce que fait Arleston avec Drakoo en accueillant de nombreux romanciers…

B.F. : Et c’est exactement ce qu’il faut faire. Christophe (Arleston, NDLR) est quelqu'un de très subtil et visionnaire, il gagne a être connu. Il a énormément apporté à la bande dessinée, qu’on l’apprécie ou pas, ce n’est pas la question. Il ne faut pas regarder le genre de BD en disant c’est trop populaire. Derrière, il y a une grande réflexion, un gros travail, c’est un auteur, un dialoguiste, un romancier de haut vol avec des qualités artistiques certaines ainsi que des qualités humaines qui ont énormément apporté à ce médium. On peut être plus sensible à un type ou un genre d’ouvrage mais en terme de capacité, de compétences, de connaissances, de savoir faire, de savoir raconter, c’est toujours raconté entre les cases et c’est ce qui réunit tous les auteurs de la BD, c’est pour ça qu’on l’aime et qu’on lui donne tout.

2019 c’est aussi la première année sans le festival de Solliès-Ville. Quel est votre regard sur cet arrêt ?

B.F. : C’est une institution qui disparaît. Je suis très admiratif du travail de l’association ALiEn avec Pascal Orsini parce que tenir 30 ans de cette façon ce n’est pas donné à tout le monde. Derrière il y a du stress, il faut trouver des solutions, et le tout bénévolement, il ne faut pas le perdre de vue. La disparition d’un festival qui avait une telle empreinte sur un département et dans le monde de la BD, ça me fait beaucoup de peine. On avait passé toute une après-midi à essayer de trouver des solutions, en ce qui me concerne, pour essayer de le reprendre, mais c'était vraiment trop compliqué pour moi, trop lourd. D’où aussi l’idée, mais j’en suis bien loin, d’essayer de créer quelque chose dans le département. Nous sommes à Toulon, nous avons la belle place Puget, une ville en laquelle je crois. Elle est en train de renaître, de resurgir d’années sombres et il faut donner un coup de pouce pour aller au delà de ce que nous avons perdu dans les années 80-90. Concernant Solliès, s’il y a quelque chose d’autre qui se monte par la suite, sans Pascal et sa petite famille, pour moi ce ne sera plus Solliès, ce sera autre chose. En ce qui me concerne, j’ai envie d’offrir à Toulon, au département et aux amateurs de BD une petite manifestation différente qui aura lieu les 30, 31 août et 1er septembre prochain avec les rencontres de la BD-ciné en partenariat avec le Pathé Gaumont, Glénat est aussi présent. Il y a quatre ans, j’avais eu le plaisir en compagnie de Noël Simsolo et Cédric Illand, un éditeur de Glénat, de participer à une table ronde au festival de BD de Bruxelles. Simsolo est une personnalité avec qui je ne partage pas les mêmes opinions mais que je trouve formidable, avec un parcours hors normes. Il possède une culture cinématographique incroyable. Il a consacré sa vie au cinéma, à l’image, à l’écriture, à la mise en scène… Il fait partie des personnes importantes qui ont su nourrir nos consciences. Lors de cette table ronde, nous nous sommes mis d’accord sur le rôle de raconter une histoire avec un petit H et un grand H avec la BD et les possibilités qu’offrent les passerelles qui existent entre les deux. Pour rire, Arleston avait dit une fois « la BD c’est le cinéma du pauvre », je ne suis pas complètement d’accord, ce sont deux médiums différents mais qu’on peut relier très facilement. Le soir, en dînant ensemble, il m’avait dit que ce serait quand même sympa de faire quelque chose à Toulon parce qu’il y a toute une histoire dans le département, et à Toulon en particulier, en lien direct avec le cinéma. Cocteau a passé beaucoup de temps à Toulon, Jean Marais habitait au dessus du fort de Balaguier, et j’en passe… Beaucoup de grands acteurs sont venus à Toulon, à Saint Tropez ou dans tout le département. Il y a eu beaucoup de petites salles de cinéma. La nouvelle galerie, avant d’être La Nerthe, cette excellente librairie qui a malheureusement disparu, d’où le plaisir aussi de refaire vivre ce lieu, était le cinéma Lafayette. De 1940 à 1986, il y avait beaucoup de westerns qui passaient là. Nous nous sommes dit que c'était dommage qu’on n’en fasse rien à Toulon. Simsolo était partant pour venir. Le temps a passé, nous n’avions pas alors tous les atouts pour mettre en place quelque chose alors c’est resté dans un coin et lorsque j’ai appris que la collection 9½ naissait avec Noël (Simsolo, NDLR) comme co-directeur de collection, je me suis dit qu’avec ma librairie autonome et ma galerie, qui avait été un cinéma et une librairie, on avait donc tous les éléments. J’ai contacté Noël, pour lui demander si après quatre années écoulées ça lui disait que je l’invite et que je lui prépare quelque chose. Il m’a dit qu’il était d’accord. J’ai ensuite demandé à Glénat s’ils étaient partants, ils étaient venus me voir et étaient à 300% d’accord en voyant Toulon renaître de ses cendres. Et enfin j’ai contacté le directeur du Pathé Gaumont pour lui proposer éventuellement de mettre en place quelque chose et tout le monde a suivi spontanément.

Qu’allez-vous proposer exactement et où ?

B.F. : Ce sera dans Toulon avec comme pôles : La librairie, la galerie et le Pathé Gaumont. La galerie possède l’espace nécessaire pour accueillir une exposition en rapport avec l’évènement mais aussi les auteurs et les ateliers. Le cinéma accueillera les projection à raison de trois par jour, nous sommes en train de travailler sur la sélection des films en rapport avec la collection 9½. Sergio Leone, Lino Ventura et l’oeil de verre, il y a aussi Hitchcock, et bien d’autres encore. Ensuite, il y a tous les films et les BD qui ont des liens les uns avec les autres sans que ce soit automatiquement des livres tirés de BD ou inversement. Je n’ai pas envie que ce soit restrictif. Je veux aussi faire l’inauguration de la galerie, faire une grande fête et accueillir tous les copains-copines de la profession et, au delà, pour pouvoir partager trois jours de festival sur des thèmes qui nous tiennent à coeur. Par conséquent il y aura des films, des conférences et des tables rondes. Noël Simsolo nous prépare justement quelque chose sur des films qui vont paraître, des petites tables rondes avec des auteurs qui ont travaillé sur des adaptations et réciproquement. Ensuite, il y aura des séances de dédicaces, des ateliers d’écriture, de dessin. Il y aura Mario Ferreri le lithographe de Fréjus qui viendra avec sa machine qui date de 1848, c’est un pur bonheur. Il y aura un travail avec une exposition future et d’autres surprises.

Comment voyez-vous l’évolution de votre métier de libraire ? 

B.F. : Ce que je souhaite avec cette galerie, c’est aussi offrir aux jeunes et aux moins jeunes le moyen de découvrir tous les acteurs des métiers du livre et de l’édition. C’est le moyen de passer à l’étape suivante, surtout lorsque l’on voit l’évolution au niveau de l’éducation, l’arrivée des tablettes. Je n’ai rien contre, c’est un super outil. On s’est pris un fou rire avec Davide Fabbri (Dessinateur d’Opération Overlord, NDLR) en Normandie lorsqu’on ne se rappelait plus un insigne d’un soldat pour une dédicace. Réflexe, il a pris l’un de nos albums et avec son pouce et son index il a essayé d’agrandir l’image de sa case qu’il avait dessinée et qui était imprimé sur du papier. Il faut imaginer les gamins qui n’ont jamais eu de livre en main ou très peu, selon les familles. On en est là, la société de libéraux qui consomme à tout va et qui veut absolument créer de petits consommateurs plutôt que des gens qui réfléchissent par eux-mêmes. Donc ça passe aussi par là, être libraire. Nos ancêtres de la profession étaient aussi éditeurs. Au début, ils étaient imprimeurs avant d’être libraires, c’est un corps de métier qui évolue et qui traverse les siècles, qui est toujours présent, et lorsqu’il n’y aura plus d’électricité sur la planète parce que on ne sait pas ce qui peut arriver, il restera du livre, du papier s’il est entretenu. Au pire, il y aura des fresques sur les montagnes comme le faisaient nos ancêtres ou encore ce sera gravé dans le marbre. Quoi qu’il en soit, le livre évolue actuellement de manière numérique mais le papier est toujours présent. Il faut apprendre à tout le monde à utiliser les nouveaux outils mais ne pas perdre de vue qu’avant il y avait des lithographes, des imprimeurs, de vieilles machines… La BD franco belge, si on ne fait rien, sera rattrapée par le numérique. Si c’est pour une bonne chose pourquoi pas… Reste à savoir ce que les générations à venir en feront. Avec la meilleure des volontés, on ne sait pas. Vaincre c’est prévoir, c’est quand même mieux d’apprendre à utiliser tous ces outils, savoir ce qu’est un livre, pouvoir transmettre. Pour ma part je n’ai pas d’enfants, donc le fait de transmettre est primordial chez moi.

Au Japon c’est le distributeur qui impose les titres en librairie ce qui donne des taux de retour fort importants et actuellement le marché du livre là bas est en crise…

B.F. : Pour moi, c’est une connerie. Il y a en France des acteurs du livre qui ont depuis des siècles une place importante, même si ça a évolué, et il ne faut pas retirer certains maillons parce qu’on se retrouvera automatiquement avec des dérives qui ne nous conviendront pas. Surtout en France… Le Français a la particularité d’être issu de plusieurs peuples, de constituer une nation, au delà des mots qui ont été salis par certains. Une nation française a vraiment cela de beau, c’est que l’on aime pas qu’on nous impose quoi que ce soit et si un distributeur impose un choix de lecture, ça ne marchera pas ici. Souvent, la volonté de certains est de transformer le peuple en oies que l’on gave pour n’en tirer que le bénéfice. 

La différence réside aussi dans le conseil qu’apportent les libraires en Europe…

B.F. : J’appellerais vulgairement, toutes ces nouveautés qui sortent chez les libraires, « l’office de pute ». Parce qu’on pousse à la consommation et le travail de l’éditeur et du libraire est complètement tronqué. L’idée, c’est de lutter contre ces dérives, de partager et de transmettre du papier, du livre, montrer les originaux, apprendre à en faire, réfléchir par soi-même, ne pas consommer bêtement, faire travailler l’écosystème des personnes qui sont autour de nous, attirer du monde dans le département, dans cette belle ville portuaire qui a une histoire. Personne n’a idée de la portée des événements qui se sont succédés ici, à commencer par la littérature. L’immeuble de ma librairie accueillait, parce que c’était une auberge il y a fort longtemps, un bâtiment qui date de 1762. La place Puget était la place des relais, il n’y avait que 2 entrées dans la ville puisque le boulevard de Strasbourg c'était les douves, il y avait la porte d’Italie et celle qui donnait sur Marseille. Cette auberge a accueilli Alexandre Dumas, Victor Hugo, Georges Sand et bien d’autres auteurs illustres qui venaient étudier pour certains le bagne de Toulon, ce qui a donné les aventures diverses avec de grands héros qui ressortent de nulle part pour se venger. Vidocq n’est pas venu dans cet immeuble mais dans le bagne. Plein de grands personnages comme ça qui ont marqué l’histoire et beaucoup événements, à commencer par la libération du joug britannique aux américains avec Lafayette qui a embarqué sur l’Hermione pour soutenir Washington, il s’est passé beaucoup de choses ici. Tout ça il faut le transmettre, l’Histoire, le papier, la capacité de penser par soi-même, c’est le travail de nos ancêtres avec cette ère des lumières qui a fait tellement de bien à notre pays et au monde parce que tout est parti de là. La France a marqué des tournants décisifs dans l’histoire du monde. Sans aucune prétention, il faut cultiver cela. Les premières lignes, les dernières, on va transformer l’essai (rires). Plus sérieusement, il faut transmettre. Les droits d’auteurs avec Beaumarchais, la chevalerie, les droits de l’homme (même s’ils ont été bafoués régulièrement) restent les piliers principaux qui l’entretiennent. Il faut continuer dans cette voie, ça passe par la connaissance, le partage, le papier, le livre, la BD.

Revenons sur le festival, avez vous bénéficié d’un soutien financier de la part de partenaires publics ?

B.F. : Non, je suis quelqu'un de timide et d’autonome. Je crois que lorsque l’on veut que ça bouge il faut se bouger soi-même. J’ai eu l’occasion de travailler de nombreuses fois avec les municipalités et les collectivités, tout le monde fait un travail admirable. C’est l’occasion de leur dire qu’ils font des efforts et qu’ils ne sont pas tous seuls, nous sommes aussi là pour les soutenir. Il n’y a jamais de problèmes, que des solutions, donc je m’y risque. Avant que ce soit une histoire d’argent et de problèmes, il faut d’abord consulter les personnes qui ont du bon sens avant d’aller voir celles qui financent. Il faut arrêter de se reposer sur l’argent du contribuable comme assurance en cas d’échec. Tout le monde se décharge les uns sur les autres. En l’occurence, s’il y a un souci, ce sera ma faute et pas celle des autres. Je ne mets personne dans l’embarras ou dans l’ennui. Si j’ai envie de faire quelque chose, je me prends par la main, je suis autonome et je l’ai toujours été. Je préfère soutenir ma ville, mon département, ma région et les 7e et 9e Art avec mes tous petits moyens pour faire ce qui tient aux tripes, ce qui tient à coeur. Si après, il y a une volonté de me soutenir, si la machine culturelle peut suivre ce ne sera que mieux. Maintenant si elle ne suit pas, tous les acteurs présents pour les rencontres de la BD-Ciné qui auront su être présents à ce moment là auront eu raison de le faire, après ça roulera ou pas mais le film est lancé. Il n’y a pas de raisons que ça ne marche pas parce que la BD et le cinéma c’est avant tout une rencontre.


Au moment de la parution de l'article, un dégât des eaux a été constaté dans les lieux qui devaient accueillir la nouvelle galerie. La date d'ouverture, initialement prévue pendant l'été, est donc repoussée.









Propos recueillis par L. Gianati

Bibliographie sélective

Opération Overlord
1. Sainte-Mère-Eglise

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Waterloo (Geminiani)
Le chant du départ

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Malek Sliman
1. Pax Massilia

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