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Monet : de l'ombre à la lumière

Entretien avec Salva Rubio et Efa

Propos recueillis par L. Gianati Interview 13/06/2017 à 16:02 7614 visiteurs

Même mondialement connu, Monet n'a jamais fait l'objet d'un grand film et n'est pas non plus une figure littéraire comme ont pu l'être d'autres peintres. Salva Rubio et Efa ont abordé la vie de l'artiste sous un angle original en évitant l'énumération de ses plus célèbres œuvres tout en consacrant leur récit aux circonstances qui ont poussé un gamin ayant grandi au Havre à devenir le chef de file du mouvement Impressionniste. À la fois passionnant et magistralement illustré, Monet, Nomade de la Lumière est l'un des indispensables de cette année.


L’idée première, c’était Monet ou les Impressionnistes qui se sont rebellés contre l’ordre établi ?

Salva Rubio : Au tout début, j’ai proposé au Lombard une histoire qui évoquait le mouvement Impressionniste. L’éditeur m’a convaincu de ne me concentrer que sur un seul artiste puis, si ça fonctionne bien, d’aborder ensuite d’autres peintres.

Contrairement à la Collection les Grands Peintres aux éditions Glénat, vous décidez d'en faire une biographie complète et non de raconter un élément de sa vie…

S.R. : Je ne souhaitais absolument pas faire une biographie mais raconter la vie d’un gamin de province, en l’occurrence du Havre en Normandie, qui va devenir Monet. On a donc raconté les quarante-huit premières années de Monet. Quand il s’installe à Giverny, célèbre, il est déjà le Monet que l’on connait. J’étais plus intéressé par son parcours avant qu’il n’acquiert cette célébrité.

L’histoire s’arrête effectivement en 1923 et ses dernières années ne sont pas évoquées…

S.R. : Une biographie classique passe forcément par un lieu de naissance, des faits marquants, une date de décès… On voulait aller plus loin que ça. On a souhaité voir la construction de ce personnage d’une façon peut-être un peu plus littéraire, quitte à parfois oublier qu’on racontait la vie de quelqu’un qui a réellement existé. C’est un récit romanesque.

Travailler sur un personnage ayant réellement existé offre-t-il quelques espaces de liberté ?

S.R. : Je suis un historien. (sourire) J’ai besoin d’aller chercher les origines et des données exactes. D’un autre côté, je suis aussi un scénariste. J’ai donc aussi pris un peu de distance, quitte à changer quelques points et faire quelques anachronismes. Par exemple, Monet s’est réellement réveillé un matin au Havre et, en ouvrant sa fenêtre, a vu le paysage et a décidé d’en faire un tableau. Mais on ne peut pas s’attarder là-dessus, ce n’est pas l’angle d’approche qu’on souhaitait donner au récit. Je ne voulais pas énumérer une série d’anecdotes mais raconter un parcours émotionnel avec son lot d’apprentissages. On a donc profité d’un fait réel pour construire notre histoire.

C’est aussi pour ça que les tableaux de Monet sont utilisés pour le bien de la narration sans pour autant respecter scrupuleusement leur date de réalisation…


Efa : C’est absolument ça. Il y avait deux choses qu’on souhaitait absolument ne pas faire :  trop montrer Monet en train de peindre, même si parfois on est obligés de le faire, et trop montrer les tableaux. Ainsi, chaque fois que l’on montre un tableau, on change le point de vue pour ne pas le voir tel quel mais mis en situation.

S.R. : C’était très important pour moi de ne jamais perdre le point de vue de l’histoire. Le récit commence d’ailleurs avec le point de vue de Monet, sans ses yeux, puisqu’il est sur le point de se faire opérer d’une cataracte.

Commencer un récit d’un peintre obnubilé par la lumière par une case noire, c’est un drôle de paradoxe…

E : (sourire) Oui, au départ, il a les yeux fermés et petit à petit, en ouvrant les yeux, la lumière commence à entrer.

On retrouve l’importance de la lumière avec ce rai qui vient juste traverser l’obscurité après son opération…

E. : C’est aussi un peu la vie qui revient après être resté couché trois jours sans rien voir. De même, quand il a des soucis dans sa vie, que ce soit avec sa femme, ou avec l’argent, les cases sont beaucoup plus sombres.

S.R. : À un certain moment, Camille se trouve à l’ombre de la vie de Monet. On ne l’aperçoit donc jamais dans la lumière. 


Finalement, elle n’est dans la lumière que le jour de sa mort…

E. : Oui, parce qu’elle prend alors de l’importance. Monet va peindre sa femme, morte, juste parce qu’il y a une jolie lumière.

S.R. : Ce sont des couches émotionnelles successives qui nous ont aidés à raconter l’histoire.

La lumière étant aussi importante, l’avez-vous abordée, ainsi que les couleurs, d’une façon différente que lors de vos précédents albums ?


E. : Oui, c’était une obligation. J’avais besoin de quelque chose qui donne de la matière. Je n’ai donc pas utilisé l’aquarelle comme je l’avais fait pour Le Soldat. J’ai choisi la gouache, ce qui était aussi plus économique. J’ai travaillé à la taille de la reproduction et aussi avec le besoin de ne pas aller trop dans le détail mais plutôt de donner de grands coups de pinceau. La technique a évolué pendant la réalisation de l’album. J’ai commencé de façon académique, avec la présence du dessin, de la lumière, de façon précise et détaillée. Puis, plus l’album avance, plus Monet concrétise cette façon de peindre. J’ai finalement fait évoluer mon dessin en même temps que lui. J’ai donc dû m’approprier la technique de Monet mais aussi sa façon de voir la lumière et essayer de projeter ça sans faire du simple copiage.

Comment justement trouver un espace de liberté graphique quand on s’attaque à un monument tel que Monet ?

E. : Pour nous, une chose était claire : la narration était ce qu’il y avait de plus important. Ainsi, nous ne voulions pas mettre en avant le style « Impressionniste » au niveau du dessin mais plutôt l’histoire et la vie de Monet. J’ai donc effectivement joué avec la texture, la peinture, les coups de pinceau, la couleur directe mais il fallait que ça soit net, clair et lisible, que ce soit compréhensible pour tous les lecteurs, ceux qui connaissent la vie de Monet, et les autres.

S.R. : J’ai découvert que la salle dans laquelle a été organisée la première exposition des Impressionnistes, à l’atelier Nadar, était rouge. Pour nous, cette couleur était idéale, ça nous a permis de rendre parfaitement la tension de la scène. C’est comme pour les tableaux, on profite de tout ce qui est avéré pour monter notre histoire, pour qu’elle ait du sens. La mise en couleur n’est jamais gratuite. Il y a bien sûr la volonté de se rapprocher du monde imaginaire de Monet, de sa façon de peindre mais aussi pour donner des ambiances qui permettent d’accompagner la narration. La couleur rajoute de l’information pour le lecteur : la tristesse, la gaieté…

Comment avez-vous fait le tri entre toute la documentation pléthorique consacrée à Monet ?

S.R. : Je suis tout d’abord historien. Ce qui m’a intéressé, ce ne sont pas seulement les bouquins qui traitent des toiles de Monet mais surtout ceux qui abordent sa vie, ses relations épistolaires notamment avec Clémenceau… J’y apporte aussi ma propre expérience, des moments de galère que j’ai eus dans ma vie et que j’essaie d’intégrer dans le récit. Quand on a fait le tour de la documentation, il faut savoir s’arrêter, se poser et commencer à construire une historie.

Vous mettez justement en avant cette amitié virile entre Monet et Clémenceau…

S.R. : C’est une relation qui marque la fin de vie des deux hommes : ils ont perdu leurs amis, leur famille… Ils sont en train de trouver ce qui mérite d’être encore vécu. Pour Clémenceau, c’est sans doute uniquement l’amitié. Pour Monet en revanche, c’est une amitié qui doit aussi lui permettre de continuer à peindre, et de regarder la lumière.

La narration à la première personne permet-elle un rapprochement du lecteur avec Monet ?

S.R. : C’est l’excuse pour pouvoir montrer Monet réagir à toutes les décisions qu’il a prises pendant sa vie, alors qu’il est resté longtemps stoïque. C’est uniquement à la fin de sa vie, qu’il a semblé se rendre compte de l’impact de certains de ses choix, notamment par rapport à son épouse et ses enfants. Pour Monet, la peinture passait avant tout le reste et il se remettait très peu en question. Quand, à moment donné de sa vie, il n’a plus d’argent, plus rien à manger, il ne se pose jamais la question de trouver un autre travail, ni ne pense à toutes les personnes qui l’accompagnent dans sa vie. Quand on lit les biographies de Monet, on met souvent en avant son génie. Mais un génie n’est pas toujours « génial », il a aussi un côté sombre. Derrière ses toiles, il y avait aussi un homme avec ses faiblesses.

On voit souvent peindre Monet avec d’autres peintres, comme Renoir.  Est-ce également votre cas ? Vous rapprochez-vous plus d’un auteur solitaire ou de celui qui travaille régulièrement en atelier collectif ?

E. : J’ai toujours l’envie de créer des synergies avec d’autres auteurs, que ce soit des scénaristes ou des dessinateurs. Mais je pense que le travail que l’on fait, même dans un atelier partagé, se déroule surtout dans la tête. Ce qu’on réalise sur le papier, ce n’est qu’une projection de notre imagination. Finalement, que je sois chez moi ou dans un atelier, mon travail est solitaire. Cela demande une telle concentration d’être plongé dans une scène, de devoir trouver la technique idéale pour illustrer un concept ou une idée qu’il y a un réel besoin de solitude. C’est aussi pour ça que je viens volontiers dans des festivals, je n’ai pas le devoir de me plonger dans mon travail : ce sont des moments de socialisation qui nous permettent de parler de notre boulot.

Quand on dessine « Camille sur son lit de mort », dans quel état d’esprit se trouve-t-on ?

S.R. : C’est sans doute la scène qui a le plus aidé à vendre le projet à l’éditeur, quand j’ai raconté ce que Monet avait fait quand sa femme est décédée. Ce qui est encore plus frappant, c’est qu’on a trouvé des traces de ses propres propos, des sensations qu’il a eues au moment de réaliser la toile, il ne voyait plus sa femme mais un sujet à peindre. On a utilisé ses propres mots dans l’album.

E. : Camille est aussi un personnage que l’on a fait vivre et je me suis projeté dans sa vie comme dans celle de Monet. C’est une part de moi-même quand il galère et qu’il essaie de vivre de son art. Camille est donc quelqu’un que j’ai également aimé et on a forcément une certaine tristesse quand elle disparait. Camille n’a pas été aimée, elle est restée secondaire dans tous les choix de Monet… En dessinant sa mort, on essaie de trouver une distance mais c’est difficile. C’est aussi pour ça que la scène est très sobre, il n’y a pas de décors, uniquement le corps dans son lit. On a essayé de ne pas tomber dans le pathos.

Monet s’est vu refuser des œuvres, comme beaucoup d’auteurs se font aussi refuser des projets par des éditeurs…

E : Bien sûr ! On s’est fait refuser des projets par des éditeurs, parfois ce sont des collaborateurs scénaristes qui ont refusé de travailler avec moi pour des problèmes de statuts ou d’emplois du temps. Je pense donc que l’on peut aisément faire ce parallèle avec Monet. On a aussi besoin que quelqu’un achète nos ouvrages, notre art ne se suffit pas à lui-même.

Le peintre ayant lui terminé sa toile, alors que vous ne présentez « qu’un » projet….

E. Oui, c’est vrai. Comme dans la littérature d’ailleurs où il faut aussi terminer l’ouvrage avant de le présenter. Pour la peinture, c’est un vrai pari. Alors que pour nous, c’est un travail de quelques mois en amont, une idée que l’on propose.

Monet dit devant l’une de ses peintures : c’est mon chef d’œuvre. Vous êtes-vous dit ça aussi une fois dans votre carrière ?

E. : Je pense que c’est très compliqué de dire ça. Quand je vois le travail que j’ai réalisé, j’en suis content mais quand je m’y penche de plus près, je vois aussi mes erreurs. Comme l’album est édité et vendu, tout le monde peut aussi les voir. Quelqu’un a dit : « On est prêt pour la réalisation de notre travail au moment où celui-ci est terminé ». C’est quand j’ai réalisé la dernière page de Monet que j’étais prêt finalement à le commencer. Malheureusement, c’est impossible de revenir en arrière. Nous sommes très contents de tout ce qu’on a pu mettre dans l’album et ça nous suffit largement. On savait qu’on allait être forcément jugés car on n’a pas abordé Monet d’une façon classique : on a essayé de construire un personnage en se rapprochant au maximum de la vérité. L’éditeur nous a suivis et accompagnés. C’est un bouquin qui nous a demandé beaucoup d’énergie. À aucun moment, nous nous sommes dit qu’on devait renoncer parce qu’on faisait n’importe quoi. On est conscient d’avoir abordé quelque chose de nouveau : il n’ y a jamais eu de grand film sur Monet, jamais de grande bande dessinée sur Monet, ce n’est pas non plus un personnage littéraire contrairement à Toulouse-Lautrec, Van Gogh, Picasso, Modigliani, Dali…

Comment avez-vous conçu la couverture de l’album ?


E. : C’est un Monet que l’on voit très peu dans l’album puisqu’on évoque dans l’album celui que l’on ne connaît pas du tout, avant sa célébrité. La couverture est très importante et représente une part très importante de ce qui pousse les lecteurs à acheter ou non un album. Pour moi, cette image est venue très rapidement. J’ai réalisé une esquisse en couleur qui m’a permis de faire une première approche de la technique que je souhaitais utiliser pour le récit. Quand j’ai envoyé l’esquisse à l’éditeur, il m’a dit ok, on a la couverture.

Cette image est d’ailleurs celle de la dernière case de l’album…

E. : Oui. Comme Salva a d’abord écrit tout le scénario avant que je commence à dessiner, je savais qu’on allait finir par cette case. C’est pour ça qu’au début de l’album, on ne voit pas le jardin de Giverny, on ne fait que le suggérer. On l’a en fait gardé pour la fin.

S.R. : C’est aussi une façon d’utiliser le point de vue de Monet. Au début, il est aveugle donc il ne voit plus son jardin. En ayant retrouvé sa vue, à la fin, il recommence à le voir.

Quel est le tableau de Monet que vous préférez ?


S.R. : Je pense que c’est « Camille sur son lit de mort ». C’est l’une des seules fois où Monet peint un vrai sujet, pas juste un paysage traversé par la lumière mais quelqu’un, même si elle est morte.

E. : Pour ma part, j’apprécie beaucoup la période pendant laquelle il était à Londres. J’aime la façon dont il a peint les quais, les vapeurs… Ce sont des compositions assez chaotiques.

Pensez-vous que les lecteurs, après avoir découvert cet album, vont avoir la volonté de s’intéresser au mouvement Impressionniste ?

E. : Quand mon libraire à Barcelone a lu ce bouquin, il m’a dit que ça lui donnait envie de redécouvrir les tableaux de Monet. Je pense vraiment que ça peut aider les gens à s’intéresser à la culture. Je pense aussi que le glossaire à la fin de l’album a beaucoup aidé également…

Un glossaire qui permet de comprendre comment les tableaux sont insérés dans l’album et qui encourage une deuxième lecture…

S.R. : Chaque fois que Monet découvrait un nouvel endroit ou rencontrait un nouveau personnage, on a cherché un maximum de documentation pour insérer le tableau adéquat. Cela a été un véritable jeu sans pour autant déranger ni la narration ni la lecture.

Salvia, quelques mots sur un projet relatif au Photographe de Mauthausen ?

S.R. : C’est un projet que j’ai commencé bien avant celui de Monet avec un autre dessinateur, Pedro J. Colombo. Il s’agit d’un vol de négatifs de photos qui a eu lieu dans les chambres de Mauthausen par des prisonniers républicains espagnols. J’ai basé mon récit à partir de ce fait que j’ai trouvé intéressant car personne n’en a parlé auparavant.

E. : Nous sommes aussi sur le point de signer un projet ensemble chez un autre éditeur. Le Lombard a aussi un autre de nos projets qui est encore dans les tiroirs, le sujet est complémentaire à celui de Monet. Il s’agit d’un autre Impressionniste mais qui a eu une vie totalement différente de celle de Monet. Pour ma part, je suis aussi en train de travailler avec Denis Lapière sur la guerre civile espagnole, un album qui va sortir chez Futuropolis.




Propos recueillis par L. Gianati

Bibliographie sélective

Monet, nomade de la lumière

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  • Efa
  • Efa
  • 03/2017 (Parution le 17/03/2017)
  • Le Lombard
  • 9782803671151

Les grands Peintres
12. Monet

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Le soldat

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  • Efa
  • Efa
  • 10/2014 (Parution le 10/10/2014)
  • Le Lombard
  • Signé
  • 9782803634101
  • 72