Quelle est la place du robot dans le devenir de l'humanité ? Cette interrogation est à la base d'une nouvelle série concept dont les deux premiers tomes sont sortis en 2016. Dans "Heureux qui comme Ulysse", il y est forcément question de voyage mais aussi de retour au bercail, d'intelligence artificielle et de survie dans un univers hostile.
Quel a été le cahier des charges pour la série Androïdes ?
Olivier Péru : Au niveau scénario, Jean-Luc Istin m'a laissé une grande latitude pour développer le récit dont j'avais envie, du moment que j'entrais dans le cadre de la série. Il y a évidemment la condition du one-shot à respecter, ce qui veut dire qu'on ne se lance pas dans son histoire sans avoir trouvé une bonne chute, puis il faut suivre l'axe de la série qui est plutôt « réaliste », pas de batailles spatiales ou de trous noirs recrachant des parasites monstrueux venus d'une autre planète. Au niveau pratique, comme on travaille ensemble depuis longtemps avec Jean-Luc et qu'il me fait confiance, on a beaucoup discuté du scénario que j'avais en tête avant que je ne l'écrive. En général, dans ces moments-là, il se fait un café, s'installe confortablement, il écoute et cherche à voir ce qui peut être amélioré dans le récit. C'est l'un des avantages de son métier : se faire bercer par les histoires de ses scénaristes. (sourire)
GeyseR : Pour ma part j'ai plutôt été libre de faire ce qu'il me venait en tête niveau dessin.
Jouer avec le mythe d’Ulysse, c’est quelque chose qui vous est venu rapidement à l’esprit ?
O.P. : : Le rapport avec Ulysse et la dimension mythologique ne me sont apparus que dans un second temps. Comme dans beaucoup d'histoires, on sent qu'on touche à quelque chose, mais il faut plonger dedans avant que certaines évidences n'apparaissent. Ulysse était présent dès le début de ce scénario, comme une conséquence logique de mon envie d'écrire une histoire de SF sur le rythme d'un conte, tout en répondant à l'exercice du one-shot. Son nom (et son mythe) était la meilleure réponse à la question centrale de ce tome deux : et si un enfant voyageait mille ans dans l'espace pour ne vivre qu'une seule journée sur terre ? J'ai alors poussé l'histoire sur la route des récits mythologiques et des contes, afin de caractériser davantage l'aventure de nos personnages. J'ai même, pour l'occasion, relu plusieurs passages de L'Odyssée et quelques contes des frères Grimm. Je voulais saisir cette capacité à éblouir et à surprendre qu'on retrouve aujourd'hui dans les bonnes nouvelles aux chutes bien travaillées.
Même si on se rapproche plus de l’anime « Ulysse 31 », AC7+ n’a pas grand-chose à voir avec Nono… (sourire)
G. : Je savais qu'il fallait faire AC7+ tout rouge… Damn it ! (sourire)
O.P. : Je crois que je n'ai pensé à cette fantastique série animée qu'après coup… Mais oui, le parallèle avec Ulysse 31 est évident. Cependant, notre androïde est bien moins fun que celui du dessin animé et quand il est drôle, c'est bien malgré lui. Il reste un outil conditionné par un logiciel de bonnes intentions qui va devoir trouver la meilleure réponse possible à un dilemme moral insoluble. Sa logique échappe alors aux algorithmes qui le contrôlent et c'est peut-être là sa chance de découvrir son humanité intérieure.
AC7+ représente-t-il la parfaite évolution entre l’intelligence artificielle, celle de l’ISS Oxygen, et l’être humain ?
G. : Je dirais que c'est la quintessence bienveillante de ces deux parties.
O.P. : Qu'ajouter de plus si ce n'est qu'AC7+, en repoussant les limites de sa programmation, parvient à toucher à une chose typiquement humaine : la magie. Pas celle des dragons et des épées enchantées, mais celle des choses invisibles, des étincelles de bonté, des choix irrationnels motivés par les sentiments.
Laisser aux mains d’un androïde créé par l’homme le sort de la race humaine, la boucle est bouclée ?
G. : Un fils est là pour prendre soin de son vieux père en bout de course. (sourire)
O.P. : Romain a l'air décidé à me piquer toutes les bonnes répliques ! Quant au fait de parler de boucle, pourquoi pas, bien que je vois plutôt notre récit s'inscrire dans une succession de cycles. Au travers de son histoire, l'humanité a plusieurs fois pris de nouveaux départs par sa capacité à découvrir, à inventer ou à détruire, grâce au feu, à la sédentarisation, la religion, la science ou les guerres mondiales. Chaque grand événement pousse l'homme dans une direction. Quoi de plus normal dans un récit de science-fiction qu'une création humaine apparemment anodine, un « robot » dont le devoir est de servir son créateur, devienne le berger de ses pères quand ceux-ci régressent ?
Olivier et Romain, comment vous-êtes vous rencontrés pour ce projet ?
G. : On est amis depuis pas mal de temps maintenant et comme je ne bosse qu'avec des potes et qu'ils sont pas nombreux à être scénaristes… voilà. J'étais sans projet bd et c'est Oliv' qui est arrivé sur son cheval blanc, auréolé de lumière, pour me placer sur ce projet. Soleil Éditions fut totalement ébloui et n'a rien pu faire contre la détermination de ce scénariste hors-norme. Et on a pris Seb comme coloriste… un pote très doué, sans surprise. (sourire)
O.P. : J'ajouterai juste que j'adore le dessin de Romain et que j'avais envie de lui écrire quelque chose depuis longtemps. Quand l'opportunité de travailler ensemble s'est présentée, je n'ai pas hésité.
Il y a deux parties distinctes : l’une dans le vaisseau et l’autre sur Terre. Romain, quelle est celle qui vous a donné le plus de plaisir graphiquement ?
G. : J'ai toujours aimé les grandes immensités vides de l'espace. Dessiner un vaisseau perdu au milieu de nulle part à toujours été un plaisir. Et ces plans sont totalement contrebalancés par l'intérieur des vaisseaux qui sont des espaces confinés avec très peu d'arrière plan. J'adore ça. Mais le retour sur Terre fut un plaisir pour me lâcher dans les mille et un détails de ces décors post apo. La végétation se mélangeant avec les restes de l'humanité m'a toujours attiré. En tant que dessinateur, je prends le plaisir là où il est, et dans cette histoire, il fut à chaque planche.
Y a-t-il un vrai challenge à faire vieillir graphiquement un personnage, en l’occurrence Ulysse ?
G. : Ouaip, c'est pas facile à faire et à l'époque où je le dessinais (4 ans maintenant), mon dessin de persos n'était pas aussi solide que maintenant. Il faut savoir garder les traits caractéristiques du visage tout en vieillissant l'ensemble. Oui, ce fut un peu dur pour moi.
N’avez-vous pas envisagé de réaliser vous-même les couleurs ? Comment s’est déroulée la collaboration avec Sébastien ?
G. : Je sortais d'Omnopolis et de 42 où je faisais dessin et couleur et j'avais envie de changer et de ne faire que du noir et blanc. Quand le choix du coloriste est venu, on n'a pas réfléchi longtemps, on est tombés sur le dos de Seb et il a pas eu trop le choix le pauvre. (sourire)
Après Omnopolis, 42 Agents Intergalactiques et désormais Androïdes, avez-vous pensé à travailler sur un projet plus réaliste ou la SF est vraiment un genre qui vous tient à cœur ?
G. : Oui, je suis prêt à faire du contemporain notamment chez Bamboo éditions. Et même si la SF est quelque chose que j'aime faire, autre chose ne me poserait aucun souci. On a d’ailleurs avec Oliv' un projet contemporain dans les cartons qui verra peut-être jour dans l'avenir.
Justement, quels sont vos projets ?
G. : Je suis en train de développer un jeu de société pour deux joueurs avec l'éditeur The red Joker. On passera par la plate-forme de financement participative Kickstarter pour l'éditer. Il s'appellera « La Guerre des Clans ». En ce moment, je fais une exposition de peinture acrylique sur toile à la Roche-sur-Yon.
O.P. : De mon côté, je rêve de vacances, mais ce n'est pas encore à l'ordre du jour. Je travaille sur le troisième (et dernier) tome de ma série (de romans fantasy) Martyrs chez J'ai Lu, j'ai quelques albums en cours (Zombies, Elfes, un nouveau one-shot dans la collection Celtic que j'affectionne) et je développe aussi de nouvelles choses ambitieuses avec Soleil, une série historique ainsi qu'un thriller. Sans compter que le travail ne manque pas dans le studio Termites Factory que j'ai co-fondé avec Rémi Guerin et Nicolas Mitric.