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Montaigne : labos et cie

Tu mourras moins bête

Propos recueillis par L. Cirade, A. Cirade et L. Gianati Interview 05/12/2015 à 18:49 7918 visiteurs


La science a le vent en poupe. À croire que le savoir, s'il est correctement et intelligemment transmis, n'est pas forcément source d'ennui et d'incompréhension. Marion Montaigne surfe sur ce sujet depuis 2008, d'abord sur un blog puis, à partir de 2011, en publiant ses notes en albums et enfin, du 4 janvier  au 28 février 2016, tous les soirs à 20h45 sur Arte dans des épisodes de 3 minutes. Drôle, fraîche, intéressante jusqu'à devenir parfois passionnante, la série Tu mourras moins bête, quel que soit son support, est quasiment d'utilité publique. 

Quel chemin pensez-vous avoir parcouru depuis Le cafard ou Panique organique ?

Marion Montaigne : C’est vieux Le Cafard (éd.. Lito - 2006)… Il y avait des prémices déjà. Surtout en ce moment où j’ai beaucoup à faire avec la presse. Je suis passé dans Libé, Europe 1…

Comment s’est déroulée la conférence "De l'utilité de lire des BDs pour mourir moins bête » à Tours ?

M.M. : Ça s’est très bien passé. Nous avons même continué avec le médiateur à parler en off après mon intervention. Le thème a beaucoup tourné autour de : « Est-ce que simplifier, c’est mentir ? ». Je suis une bonne cliente de ce genre de conférence. J’ai participé aussi à "Vulgarizators" à l’ENS de Lyon qui avait demandé à des Youtubers de sciences et à moi de passer sur scène. Ce que je ne savais pas, c’est que je devais passer devant 300 personnes. C’était une sorte de show. 

Pourquoi ce titre « Tu mourras moins bête » ?

M.M. : On ne vous le disait pas ? C’est vrai que c’est plutôt « Tu te coucheras moins bête »… Ça doit être moi qui ai eu tendance à le dramatiser. (sourire) Un jour j’aurai peut-être un psychanalyste en dédicace qui me dira « ma pauvre fille… » (rires) 

Avez-vous un passé scientifique ou êtes-vous juste curieuse du monde qui vous entoure ?

M.M. : J’aurais bien aimé avoir une formation scientifique. J’adore juste faire des recherches en bibliothèque. Je peux parler de quelque chose sans forcément avoir le background derrière. 

Que pensent en général les scientifiques de vos albums ?

M.M. : En fait, j’entends très peu parler de mon travail par les scientifiques. Je trouve qu’il y a une certaine indulgence de leur part. Il y a très peu de choses à la télé sur ce sujet. Même en littérature, je trouve qu’il y a plus de choix chez les anglo-saxons. On passe très vite du très simple au très compliqué. Entre les deux, il y a bien quelques magazines. Les scientifiques, même si mes bouquins ne sont pas parfaits, trouvent la démarche pas si mal que ça.

Ne pas indiquer toute la bibliographie en fin d’album, est-ce frustrant ?

M.M. : Si je devais indiquer tous les sites internet sur lesquels je me documente, il me faudrait beaucoup plus que deux pages. Et puis je vais consulter des trucs tellement chelous…

Donc ce n’est pas vous qui êtes personnellement allée vérifier comment se comportaient les hommes aux toilettes… (sourire)

M.M. : Non, ça vient d’un article de Pierre Barthélémy. Il s’est sans doute inspiré des IG Nobel, les Prix Nobel idiots. Par exemple, quelqu’un a reçu ce prix car il s’est rendu compte qu’il fallait mettre du bacon pour arrêter les saignements de nez. 

Est-ce vous qui avez eu l’idée d’en faire un dessin animé ?

M.M. : En fait, c’est un producteur qui est venu me voir un peu avant que ce soit publié en livre. Il m’a dit que ce serait bien d’en faire quelque chose sur internet ; il n’avait pas de chaîne à l’époque. Une fois que les bouquins sont sortis, il est revenu me voir quand il a appris qu’Arte faisait un appel d’offres pour remplacer Silex and The City. Je lui ai fait confiance. 

Avez-vous puisé dans vos scénarios ou avez-vous écrit des histoires inédites pour les besoin du dessin animé ?

M.M. : Comme j’en avais trente à fournir assez vite, je ne pouvais pas faire des inédits. Sinon, j’aurais dû faire en un mois ce que je fais habituellement en six. On a donc repris des notes existantes de façon à ce que la chaîne puisse rapidement décider ce qu’elle voulait ou non. Comme j’ai une formation dans le milieu du dessin animé, j’ai pu comprendre les différentes étapes de réalisation. 


Vous connaissiez déjà Arte avec votre collaboration sur Personne ne bouge

M.M. : Oui. D’ailleurs, le producteur que j’évoquais tout à l’heure, s’occupait aussi de Personne ne bouge. J’avais des sujets différents de ceux que je traitais d’habitude et ça m’a permis de changer un peu. 

Comment passez-vous d'une note scientifique à un gag ?

M.M. : Ça dépend surtout de l’article que je lis. Certains articles me donnent déjà des pistes sur les extrapolations possibles. Par exemple, je suis tombée sur une note qui expliquait qu’on voulait greffer un utérus chez un homme. Forcément, il y a des choses à faire sur un tel sujet. D’un autre côté, ce serait difficile de rigoler sur des sujets délicats comme la myopathie. Je fonctionne beaucoup de façon visuelle. Ce qui marche bien, c’est de tout ramener systématiquement au quotidien. D’ailleurs, les lecteurs de blog vont sur internet en arrivant au boulot. Il m’est arrivé de me faire engueuler parce que je publiais des notes après 17 heures quand les gens ne sont plus au travail. Il y a un pic de fréquentation à 8h puis à midi. Dès le matin, il faut donc parvenir à intéresser les gens. 

Les lecteurs du blog sont-ils les mêmes que les lecteurs de BD ?

M.M. : Les lecteurs du blog ne sont pas forcément habitués à venir dans une librairie de BD. Ils viennent juste parce qu’ils m’aiment bien. Souvent, c’est la première fois qu’ils se font dédicacer un livre et ils ne savent pas comment ça se passe. C’est aussi un public qui a à peu près mon âge, le même humour, les mêmes références. 

Comment passez-vous du blog à la bande dessinée ?

M.M. : Je pars du principe que les gens qui achètent un bouquin paient, donc ils ont le droit à avoir un peu d’inédit. L’adaptation, quant à elle, se fait surtout graphiquement. On corrige aussi les fautes d’orthographe. Je vérifie également dans les commentaires du blog si rien n’a changé entre temps. J’ai aussi voulu regrouper mes notes par thèmes dans mes livres, jusqu’au tome trois où on a un peu tout mélangé. 

Depuis que les notes sont publiées en album, vous arrive-t-il encore d’en écrire uniquement pour le blog ?

M.M. : J’écris d’abord pour le blog. Il me permet aussi de tester mes notes. Quand elles sont publiées sur le blog, c’est un peu comme si elles étaient validées avant d’être transposées sur le papier. C’est la raison pour laquelle les inédits des albums sont souvent relus au préalable par un chercheur. 

Avez-vous passé un coup de fil à Peter Jackson pour lui dire que la longueur du lasso du Balrog n’était pas conforme ? (sourire)

M.M. : Je pense qu’il se contrecarre de mes notes. (sourire) Par contre, ça ne fait pas du tout rire certains lecteurs qu’on puisse toucher à Gandalf. Pour eux, c’est une ineptie d’oser faire une note là-dessus. Il est magique, donc on n’y touche pas. Certains m’ont dit qu’à cause de ça, ils ne mettraient plus les pieds sur mon blog. Ça me donne juste l’envie de continuer. (sourire)

Quand vous allez au cinéma, parvenez-vous encore à apprécier un film ? (sourire)

M.M. : Au cinéma, je fais un effort et je me tais, il y a quand même des gens autour de moi... Mais c’est vrai que je suis insupportable. Par exemple, j’ai vu des gens du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales, NDLR) et on a parlé d’Interstellar et de Gravity. Ces films sont rigolos mais il ne faut pas les regarder avec des yeux d’ingénieur en aéronautique. Et chez moi, seule dans mon canapé, je suis vraiment insupportable, une vraie mamie. (rires) 

Depuis Tu mourras moins bête, sont appparus Le cerveau peut-il faire deux choses à la fois ?, On n’est pas que des cobayes… Avez-vous l’impression d’avoir lancé une mode ? (sourire)

M.M. : Je crois surtout qu’il y a une vraie demande. On s’en rend compte aussi avec les Youtubers, les gens qui font leur propre culture. Mais je pense effectivement que je devrais toucher des droits pour tout ça. (rires) C’est bien aussi que les genres se mélangent. On voit de plus en plus les auteurs sortir de leur atelier pour aller voir autre chose. 

Comment s’est passé votre collaboration sur Axolot ?

M.M. : Je connaissais Patrick Baud depuis très longtemps. J’étais allée lire à la bibliothèque le livre d’une journaliste qui avait rendu visite à la famille d’Henrietta Lacks. C’est une femme qui, dans les années cinquante, avait un cancer. On s’est rendu compte qu’elle développait des cellules incroyables qui étaient immortelles. Il y a eu un livre sur la famille de cette femme qui n’a jamais profité de tout l’argent qui est revenu aux laboratoires grâce à ses cellules. J’ai rencontré à l’Institut Pasteur un gars qui m’expliquait qu’ils avaient des cellules d’Henrietta Lacks qu’ils conservaient depuis des générations. J’ai donc créé une histoire à partir de ça.  

Où puisez-vous toutes vos découvertes ? Internet, documentation ? Travaillez-vous directement avec des scientifiques ? 

M.M. : J’ai plutôt une pile de livres au pied de ma table de chevet. J’ai un peu tout et n’importe quoi… Des articles sur des gens qui font exploser des têtes de rats, juste pour savoir ce que ça fait. D’autres qui, au début de l’électricité, se demandaient si l’on ne pouvait pas électrocuter des enfants pour les aider à grandir. Un lourd tribut a aussi été payé par les animaux avec l’électricité… Il faut aussi que je me retienne de ne lire que de la bio, c’est mon thème préféré. J’ai sous le coude à la fois du nucléaire, de la bombe atomique, des cellules… Je sais que dans cette pile de livres, j’ai au moins trois ou quatre thèmes à développer. Je connais aussi des sites qui donnent des news, des « Eureka alertes ». 

Quels sont vos projets ?

M.M. : J’ai travaillé sur Intelligence Artificielle au Lombard avec Jean-Noël Lafargue. Il paraîtra dans une nouvelle collection, "La Petite Bédéthèque des Savoirs", une sorte de "Que sais-je" en Bande Dessinée. Il y aura plusieurs tomes dans lesquels un dessinateur sera associé à un spécialiste. Hervé Bourhis a traité le métal, Alfred a fait le tatouage, Julien Solé est allé voir un spécialiste des requins… Les premiers tomes vont sortir en mars 2016.










Propos recueillis par L. Cirade, A. Cirade et L. Gianati

Bibliographie sélective

Panique organique

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Axolot
1. Histoires extraordinaires & sources d'étonnement

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