Une guerre des mages au beau milieu des alpages, un producteur de fromages qui défend croûte que croûte son petit commerce et son troupeau de cornebiques, une fée qui lève le coude beaucoup plus facilement que sa baguette magique... Pas de doute, un nouveau genre est né : la Rural Fantasy ! Juste avant la transhumance, Wilfrid Lupano et Relom évoquent Le Serment des Pécadous, premier tome de Traquemage.
Avez-vous prévu de déposer un brevet pour l’invention de la Rural Fantasy ? (sourire)
Êtes-vous un fan du Génie des Alpages de F’Murr ou de Shaun le mouton ? W.L. : Je suis plutôt Shaun le mouton. La série, pas le film. Le film a trahi l’esprit de la ruralité en allant se compromettre en ville. J’espère que les producteurs seront tondus comme des moutons.
Aborde-t-on une BD d’humour de la même façon qu’une autre ? Est-ce le fond de l’histoire qui prime sur la forme ?
W.L. : Oui je ne fais pas tellement de différence dans ma manière d’écrire entre le comique et le reste. Le fond reste primordial, nécessaire, mais pas suffisant. Pour la forme, voyez avec le chef de chantier, un certain Relom.
Relom : Le scénario de Traquemage était à mourir de rire et aurait pu être publié tel quel, avec zéro dessin ! Pour les codes et ressorts comiques, je n'ai eu qu'à me laisser bercer, car tout était déjà là, j'ai essayé de rendre le plus fidèlement possible à travers le dessin ce qui m'avait fait tant rire à la lecture du scénario. Dans la bande dessinée d'humour, le fond et la forme doivent se faire oublier l'un-l'autre afin de servir au mieux l'effet comique. J'espère que nous sommes parvenus à cette alchimie.
Pour une série estampillée Fantasy ou assimilée, le seul personnage féminin, à part Elensuelle, est Pompette qui est très loin des canons habituels du genre…
W.L. : Vous oubliez un peu vite que Myrtille est une superbe cornebique qui a été élue trois fois Miss Mamelles au marché aux bestiaux de Pétaniou. Le paradoxe délicieux étant que c’est précisément dans l’Héroïc Fantasy « classique » que l’on trouve le plus de vaches laitières parmi les personnages féminins. Il ne manque parfois que les mouches sur le cul pour que l’illusion soit totale.
Pistolin a le même nom qu’une série créée par René Gosciny. Une simple coïncidence ?
W.L. : Oui, c’est une coïncidence. j’ai travaillé le nom de Pistolin sur la base de sonorités « rurales », et en partant du Hugolin de Marcel Pagnol, ce garçon un peu ravi et mort d’amour qui battait la campagne en courant après Manon. Ceci dit, Goscinny infuse toujours un peu dans mon travail, d’une manière ou d’une autre, consciemment ou non. Donc ça a peut-être joué. Restons prudent.
Comment avez-vous choisi Relom pour cette série ?
W.L. : C’est mon éditeur qui m’a obligé. De mon propre chef, je n’aurais jamais collaboré avec l’auteur d’Andy et Gina, une série qui a poussé le mauvais goût à son point culminant et qui, je l’espère, sera bientôt interdite à la vente. Bon, après, dans un deuxième temps, il s’est avéré que ce Relom habitait en milieu rural, qu’il avait un solide coup de crayon, et qu’il n’avait pas son pareil pour vous faire chalouper une cornebique avec sensualité.
Relom, comment passe-t-on d’Andy et Gina, avec un humour « Fluide », à Traquemage ?
R. : Concernant l'humour, très facilement. Le comique de situation et les dialogues de Traquemage auraient entièrement leur place dans une série chez Fluide . Je ne me suis donc pas du tout senti dépaysé, bien au contraire. La fée Pompette de Traquemage pourrait sans problème être la maîtresse cachée du père d'Andy et Gina (huhu !). Wilfrid Lupano a une grande connaissance du magazine Fluide Glacial... et il fait preuve d'un sens du gag implacable qui n'a rien à envier aux auteurs de ce journal. De plus, nous sommes tous deux des fans inconditionnels de Gaudelette, c'est dire ! Par contre, la transition s'est avérée beaucoup plus délicate graphiquement. Chez Fluide Glacial, je dessinais toujours les trois ou quatre mêmes personnages avec, en fond de décor, un buisson et deux fleurs, j'avais fini par devenir aussi fainéant et auto-satisfait qu'un blogueur. Dans cette nouvelle série, il a fallu que je me familiarise avec un univers qui m'était inconnu et que j'apprenne à dessiner des orques, des gobelins, des tavernes bondées de mercenaires armés jusqu'aux dents, des batailles rangées, des dragons, etc... L'enfer, quoi. Et dans le tome deux sur lequel je travaille actuellement, c'est pire ! Le côté sympa, c'est que toutes ces contraintes m'ont obligé à repousser mes limites ; j'ai retrouvé un plaisir à dessiner et une envie d'apprendre que je commençais à voir s'estomper.
Outre le comique de situation, les têtes et mimiques des cornebiques sont impayables. Comment avez-vous travaillé là-dessus ?
R. : Les cornebiques... je les adore ! Il était clairement signifié dans le scénario qu'elles devaient être expressives, particulièrement Myrtille qui passe par beaucoup d'émotions et de sentiments. Mais comme elles sont quasi muettes - elles ne savent dire que « bhééé » - il a fallu jouer à fond le registre burlesque. L'avantage, c'est qu'elles ont de grands yeux, ça aide à les rendre expressives. Avec des taupes, j'aurais vachement plus galéré. Et puis, quand vous lisez dans le scénario "… on s'aperçoit que les cornebiques et Pistolin sont planqués derrière les rochers, entassés, épousant la forme des rochers, les visages terrifiés, suant à grosses gouttes. Ils forment une sortent de TETRIS de cornebiques..." vous vous dites - après avoir pensé qu'il faut faire interner le scénariste - que vous avez intérêt à les rendre « impayables » ces fameuses cornebiques ! Pour leur réalisation graphique, j'ai toujours gardé en tête Uderzo, Morris, Franquin ou Roba ; ils avaient une façon incroyable de sublimer les expressions des animaux.
Finalement, vos Formidables aventures dans le monde sans pitié de l’édition ne vous ont pas fermé toutes les portes... (sourire)
R. : Vous ne croyez pas si bien dire ; j'étais totalement grillé de partout ! Pas vraiment à cause des Fabuleuses aventures de John Relom... , mais plutôt parce que mes derniers bouquins se sont très mal vendus. Du coup, plus aucun éditeur ne voulait de moi. Il y avait marqué au fer rouge « ANTI BANKABLE » sur mon front. Et puis un jour de fin 2013, alors que je me demandais de quelle façon la plus digne je pouvais me supprimer, je reçois un mail adorable d'un certain Wilfrid Lupano qui me propose Traquemage. Étant d'un naturel assez orgueilleux, j'ai vaguement hésité, car j'avais toujours considéré pouvoir me passer des services d'un scénariste. Mais, dans ma boite mail, le gentil mot de Wilfrid était suivi d'un message de ma banquière, qui me rappelait les raisons pour lesquelles je projetais de me tuer. J'ai donc répondu à Wilfrid que j'étais d'accord pour lire son scénario, et là, quelle ne fut pas ma surprise ! L'histoire était géniale, les personnages improbables et incroyables, et les dialogues plus que savoureux. J'ai tout de suite donné mon accord en priant de toutes mes forces pour qu'aucun autre dessinateur ne fût sur le coup. Cette série, c'est du caviar ! Je remercie très fort Wilfrid Lupano, Grégoire Seguin (éditeur chez Delcourt) et Guy Delcourt de m'avoir offert ce cadeau.
Allez-vous partir en séance de dédicaces avec des cartons remplis de Pécadous pour faire goûter aux collègues ?
W.L. : Absolument. Sec, mi-sec, au poivre… et ce n’est que le début.
R. : On prévoit même de faire un Pécadou aux Trois Chocolats pour les amateurs de sensations extrêmes.
Avez-vous déjà prévu un nombre de tommes pour Traquemage ? À quel rythme de parution ?
W.L. : Pistolin court après plusieurs mages, et ces mages sont fourbes et retors. Il y aura vraisemblablement trois ou quatre albums, on ne sait pas encore précisément. Comme la bande dessinée ne paye plus, nous dépendons beaucoup des subventions européennes allouées dans le cadre de la Politique Agricole Commune. Officiellement, nous sommes producteurs de Pécadou. Il faut bien vivre.
R. : Je ne fais malheureusement pas partie des dessinateurs les plus rapides du monde, mais je pense que l'imagination sans borne de Wilfrid ainsi que mes doigts nous permettront une parution par an.
Quelles sont vos prochaines sorties ?
W.L. : Personnellement, j’ai pas mal de sorties en cette fin d’année. Je n’ai rien publié depuis un an (octobre 2014), mais le hasard du calendrier fait que plusieurs de mes bouquins sortent en quelques semaines. J’ai donc un album de la série SEPT (Sept nains), chez Delcourt, qui sort ces jours-ci, ainsi que deux one shot consacrés aux communardes, chez Vents d’Ouest ( Il y en aura d’autres, avec à chaque fois, un nouveau dessinateur). Et enfin, en novembre, le tome trois des Vieux Fourneaux, aux éditions Dargaud.
R. : Le tome deux de Traquemage chez Delcourt. Et, courant 2016, une intégrale d'Andy & Gina chez Fluide Glacial, un chouette livre de 270 pages bourré d'histoires et d'illustrations inédites.