Après La Brigade Chimérique, L'Homme Truqué, Masqué ou Metropolis, Serge Lehman continue de revisiter certains supers-héros "made in France" du début du 20ème siècle, alors même que l'on pensait le genre réservé aux auteurs outre-Atlantique. C'est au tour du Nyctalope, personnage créé par Jean de La Hire en 1911, de renaître sous les traits de Gess dans L’Œil de la Nuit.
Serge Lehman : Pour l’apprécier, non. Pour l’apprécier pleinement, oui.
Le début du 20ème siècle est-il une période particulièrement propice pour installer des univers de « super héros à la française » ?
S.L. : Il l’est puisque c’est ce qui est arrivé : Fantômas, Lupin, le Nyctalope, le mystérieux docteur Cornélius sont tous apparus à cette époque. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, il suffit de jeter un coup d’œil au livre de Xavier Fournier sur les super français pour s’en rendre compte.
Qu’apporte au récit d’intégrer des personnages historiques, comme Georges Clémenceau, ou de fiction, comme Arsène Lupin ?
S.L. : Un sentiment de présence et une capacité à symboliser l’époque.
Du Nyctalope à l’Œil de La Nuit, pouvez-vous nous expliquer les raisons du retard de parution du premier tome ? Aucun accord n’a été possible avec les ayants droits pour conserver le nom initial ?
S.L. : Le tome 1 devait sortir au printemps 2014. Il était quasiment à l’imprimerie quand nous avons appris que des ayants-droits de Jean de La Hire, le créateur du Nyctalope, se manifestaient auprès d’un autre éditeur. C’était une surprise car depuis des lustres l’œuvre de La Hire était réputée « orpheline » (c’est à dire pas dans le domaine public mais sans héritiers). Nous avons décidé de suspendre l’impression du tome 1 et pris contact avec eux pour leur présenter le projet, et leur proposer un contrat d’adaptation mais la négociation a échoué. Il a fallu changer le nom du personnage et renoncer à nous revendiquer de La Hire.
Pour quelles raisons n’avez-vous pas changé radicalement le nom du super héros (Sinclair au lieu de Saint-Clair) ? Son pouvoir évocateur était-il trop puissant ?
S.L. : Bah, c’est un choix. Et c’est aussi une manière de rester dans l’hommage, comme Didier Savard faisant Dick Herisson pour évoquer Harry Dickson.
Finalement, le fait que les deux tomes sortent dans un délai très court, n’est-ce pas un mal pour un bien ?
S.L. : Je suis sûr que les lecteurs sont heureux d’avoir eu les deux tomes rapidement.
Les personnages créés au début du 20ème siècle comme le Nyctalope, ont-ils selon vous un fort potentiel narratif qui n’a pas été suffisamment exploité jusqu’à présent ?
S.L. : C’est l’idée de départ de la Brigade chimérique et de tout ce qui a suivi : cette époque, ces personnages, ces histoires, ont une puissance mythique qui nous manque. La réactiver n’est pas évident, on n’est plus des innocents. Mais ça vaut le coup d’essayer. Quand on y arrive, il se passe quelque chose.
Avez-vous dans vos tiroirs d’autres super héros de cette époque que vous souhaiteriez faire revivre ?
S.L. : Félifax, l’homme-tigre. Robert Darvel, le prisonnier de Mars. Ironcastle, l’explorateur. Et hors de France : le Kapitan Mörs et Maciste. Il y a toute une mythologie européenne qui dort dans cette liste.
Stéphane, avez-vous abordé de la même façon le dessin de La Brigade Chimérique et celui de l’Œil de la Nuit ?
Gess : J’ai progressé depuis La Brigade, mon trait s’est affirmé. Comme dans la Brigade, mon désir était d’apporter un réalisme fort en passant par les détails de cette époque.
Beaucoup de lecteurs voient dans l’Œil de la Nuit une référence assez marquée de Mignola et de Kevin O’Neill ? Qu’en pensez-vous ?
G. : J’en pense que j’aime beaucoup ces deux auteurs et ce qu’ils apportent avec leur art.
Comment avez-vous choisi les pages (en simple ou double), dans un style complètement différent du reste de l’album, disséminées dans l’album ?
G. : C’était un désir de Serge d’avoir des pages « à part » comme dans les feuilletons de l’époque. Maintenant, j’ai choisi le médium en fonction de mon ressenti du moment.
Que pensez-vous des lecteurs qui jugent malhonnête le fait d’avoir un dessinateur différent pour la couverture et l’intérieur de l’album ? Est-ce, selon vous, uniquement une question de manque de « culture comics » ?
G. : Oh, la question vilaine (rires). C’est un plus, il me semble, de pouvoir avoir un illustrateur de couverture, des gens dont c’est le métier et qui ont une approche extérieure de l’univers et du personnage. Ça apporte une fraîcheur et un foutu talent !
Le premier cycle est prévu en trois tomes. D’autres cycles sont-ils envisageables ?
S.L. : Tout est envisageable. Ce sont les lecteurs qui décident.
Il existe un projet d'adaptation au cinéma de La Brigade Chimérique que Serge Lehman qualifie d'"anime de grande qualité" et pour lequel le scénario doit être entièrement réécrit. Il est aussi question d'un nouveau one shot réalisé par le même duo dans un tout autre univers mais pour l'instant, c'est "top secret" !