À croire que Nicolas Jarry en rêve ! Une nouvelle série concept qui leur est dédiée, un deuxième tome des Maîtres Inquisiteurs dans lequel ils jouent également un rôle important... Les Nains sont partout ! La sortie des deux albums étant, hasard du calendrier ou pas, simultanée, l'auteur des Brumes d'Asceltis et du Crépuscule des Dieux vient nous en parler.
Quand avez-vous eu l’idée de créer Nains ?
Nicolas Jarry : Aussitôt que l'idée de Elfes a été actée en vérité. Pas sous une forme encore aboutie, mais parler des elfes sans évoquer les nains, c'est un peu comme parler des cow-boys sans parler des indiens... du coup, quand on a vu que Elfes avait un public, Guy Delcourt et Jean-Luc Istin m'ont donné le feu vert ! C'est à ce moment que l'idée des castes est venue.
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour bâtir l’univers de Nains ?
N.J. : Depuis tout jeune je suis un joueur de Warhammer (le jeu de rôle et et le Wargame) et un joueur "nains" invétéré. À mon grand regret, j'ai du lâcher l'affaire, faute de temps, mais pas ma passion pour les nains. Niveau cinéma, Gimli (Personnage du Seigneur des Anneaux, NDLR) a été un nain à la hauteur de mes espérances, tout en restant dans l'archétype, Peter Jackson a su éviter l'ornière de la caricature...
N’avez-vous pas peur que les lecteurs s’emmêlent les pinceaux avec votre première série Nains ! ? (sourire)
N.J. : Hu hu hu ! Si la couverture n'a pas suffi, la page d'ouverture du tome 01 remettrait tout de suite les idées en place de celui qui penserait trouver une suite. Mais au-delà de la boutade, c'est ce que j'aime chez les nains, ils se prêtent aussi bien au récit humoristique de part leurs excès et mauvais penchants qu'à l'aspect dramatique, de part ces même excès et mauvais penchants...
Alors que chaque album d’Elfes a un scénariste différent, vous serez seul aux commandes de Nains…
N.J. : En fait, pour Elfes, ayant chacun notre race, on jouit d'une relative liberté (tant qu'on ne marche pas sur les plates bandes des copains et que l'on respecte le monde) du coup, avec Nains, ce n'est pas fondamentalement différent comme travail, sauf que l'on multiplie l'exercice par cinq. Ça a tout de même un petit avantage d'être seul : on ne risque pas de se contredire, ce qui m'a permis de décrire un peuple plus homogène que les Elfes, qui eux vivent chacun de leur côté avec leur propre culture, rituel etc...
Comment avez-vous choisi les différents dessinateurs ?
N.J. : Très facilement : pour la plupart des dessinateurs qui travaillent avec Jean-Luc, faire un album sur des nains, c'était vraiment un rêve de gosse ! Il a suffi de demander aux plus sympas et aux plus beaux d'entre eux (exception faite de Stéphane Créty qui lui est très très méchant et moyennement beau) s'ils avaient envie d'embarquer pour l'aventure. En deux jours, l'affaire était bouclée et tout le monde a très vite trouvé ses marques grâce à Pierre-Denis (Goux, NDLR) qui avait fait une bible détaillée de l'univers.
Vous dédiez ce premier tome à votre fils. Commencer la série par une histoire centrée sur la paternité, était-ce quelque chose d’essentiel ?
N.J. : L'idée du premier album est de Jean-Luc (l'histoire d'un forgeron qui ne veut plus faire d'arme et de son fils qui prend le contre-pied). Je me la suis rapidement appropriée comme elle faisait écho en moi. Pour Jean-Luc comme pour moi il a été évident que cet album devait ouvrir le bal. Pour répondre, finalement, oui, commencer sur la paternité était essentiel, surtout dans un monde patriarcal comme celui-ci, car toutes les valeurs qui façonnent la psyché naine depuis des millénaires, sont transmises à travers cette relation père-fils. D'ailleurs chacune des cinq histoires parlera de relation au père et au reste de la communauté. Autant pour Elfes, on ouvre le monde, on voyage, on découvre d'autre races... autant pour Nains, on reste centré sur leur société, leurs travers et leur (relative) grandeur. La société naine n'est qu'un reflet légèrement déformé (et à peine amplifié pour ce qui est des travers) de notre propre société.
L’intérêt majeur de l’histoire vient sans doute de la complexité du personnage de Redwin…
N.J. : Je crois que la voix off m'a été d'un grand secours pour parvenir à donner de la profondeur à Redwin. Ça permet d'être au plus près des émotions de son personnage, de pouvoir naviguer au plus fin et donc de ne pas tomber dans le pathos ou le grosbill. Sans compter que la mise en scène de Pierre-Denis m'a bien aidé. Et plus on comprend un personnage en tant que lecteur (et même en tant qu'auteur), plus on est dans l'empathie et plus on a envie de l'accompagner, de le découvrir... du coup l'histoire prend de l'ampleur simplement par l'attachement que l'on éprouve pour Redwin.
Dans l’imaginaire collectif, les Nains représentent un univers essentiellement masculin. Etait-il important d’introduire un peu de féminité, notamment avec Enïme ?
N.J. : Pour tout dire, c'est ce côté féminin qui m'a donné le plus de fil à retordre. Mais je ne pouvais pas décrire cette société sans parler des Naines. Et puis Pierre-Denis a dessiné quelques « bavettes* » plutôt avenantes qui ont fait sauter tous mes petits blocages machistes. Sans avoir eu à brûler leurs soutifs, les naines n'ont rien à envier à leur homologue mâle, ni en vigueur, ni en caractère (juste en pilosité). D'ailleurs le personnage principal du tome 05 sera une naine, une guerrière du Bouclier. Et après ça, j'espère qu'on ne verra plus jamais les Nains seulement comme des gros barbus cachant leurs femelles au plus profond de leur citadelle.
*avis aux féministes, bavette est un terme nain pour désigner les jeunes femmes, c'est le pendant féminin de Courtard ou de poilu.
Certains lecteurs sont frileux à l’idée de commencer une nouvelle série concept qui, comme Elfes, pourrait comporter un nombre de tomes plus important que ce qui était prévu au départ. Comprenez-vous ces hésitations ?
N.J. : Grand débat. Oui, bien sûr je comprends et c'est la raison pour laquelle je tenais à ce que cette série puisse se lire indépendamment de Elfes et que chaque album soit lui-même indépendant des quatre autres tomes et des albums suivants (s'il y en a). Maintenant aux lecteurs de voir s'ils continuent ou pas. Ils auront eu entrée-plat-dessert et même un petit coup de rouge ! Ils sont libres d'y retourner ou pas. Nous proposons et les lecteurs disposent. (le secret c'est d'acheter seulement parce que c'est bon et pas pour boucler sa collection... ) (sourire)
Peut-on imaginer un cross-over avec Elfes ?
N.J. : On peut tout imaginer, oui bien sûr... mais pour l'instant ce n'est pas prévu.
Quel était le cahier des charges de Jean-Luc Istin pour Les Maîtres Inquisiteurs ? Quel a été votre de degré de liberté dans la création du scénario ?
N.J. : Il fallait que ce soit construit comme un thriller dans un univers fantasy. À part ça, nous avions une liberté totale à partir du moment où nous respections la bible et que nous nous étions mis d'accord sur le synopsis.
Les Nains font parties intégrante du deuxième tome des Maîtres Inquisiteurs. Vous ne pouvez plus vous en passer ! (sourire)
N.J. : Et j'en ai même un dans le Tome 04 des Maîtres Inquisiteurs. Va falloir que j'en parle à ma psy... il y a un nain en moi qui demande à s'exprimer. (sourire)
Dans le premier tome de Nains, comme dans le deuxième tome des Maîtres Inquisiteurs, la narration est à la première personne. Quels en sont les atouts ?
N.J. : Après une quinzaine d'année dans le scénario, j'avais du mal à trouver un second souffle... et là Jean-Luc (toujours lui) m'a dit : « Fous-moi une belle voix off ! Bordel ! » (oui, il parle comme ça, Jean-Luc...). Pour la petit histoire, j'ai commencé dans l'écriture comme auteur de roman (activité pour laquelle je n'ai malheureusement plus de temps à consacrer) ; et en développant une voix off, je me suis rendu compte que je pouvais faire d'une pierre deux coups : trouver ce second souffle et écrire à nouveau (et ne plus me cantonner aux dialogues). La solution était évidente, mais j'étais passé à côté.
La voix off me permet de creuser mes personnages, de donner une autre dimension aux histoires, d'aller plus loin...
Il est fait allusion à Obeyron, personnage principal du premier tome. Aviez-vous eu auparavant une vision globale du scénario ?
N.J. : Non, nous avons travaillé chacun de notre côté (en connaissant les synopsis des petits copains et en ayant une bible détaillée), puis nous avons harmonisé l'ensemble après coup.
Associer à un Maître Inquisiteur « une » elfe, plutôt qu’ « un » elfe, élargit-il le champ des possibilités ?
N.J. : Je suis un sentimental, mais mon Maître Inquisiteur, lui non... Il sait quelles sont les limites qui régissent les relations d'un inquisiteur avec son elfe et il ne les franchira pas. Ça n'empêche que ça complexifie leur relation et du coup ça la rend plus profonde, plus intense... Comme c'est suggéré dans votre question : l'important n'est pas qu'ils couchent ensemble, mais bien qu'ils « puissent » le faire.
Nains, Les Maîtres Inquisiteurs, Chasseur d’Héritiers… Quelles sont vos autres sorties prévues pour 2015 ?
N.J. : Je boucle définitivement Asceltis, Troie et le Crépuscule des Dieux !