Si la plupart des films de Louis de Funès font désormais partie du panthéon du cinéma français et de l'imaginaire collectif, peu d'entre nous peuvent prétendre connaître la vie de cet immense acteur. François Dimberton et Alexis Chabert se sont attaqués à ce mythe avec respect et sensibilité, il en ressort un album drôle, truffé d'humour et très instructif.
Comment vous-est venue l’idée de réaliser un album sur Louis de Funès ?
François Dimberton : Nous avons travaillé ensemble avec Alexis il y a quelques années sur un album appelé Taxi Molloy et nous voulions retenter l'aventure. Les dessins d'Alexis y sont très évocateurs et dégagent une véritable atmosphère. Nous avions aussi un superbe coloriste, Cyril St Blancat. J'avais lu plusieurs bios en BD et j'avais été séduit, j'ai proposé le principe à Alexis, on s'est arrêté sur Louis De Funès qui l'excitait graphiquement, l'affaire était lancée.
Alexis Chabert : Pour un scénario de bande dessinée, François n'était pas fixé sur un genre particulier et je lui ai conseillé de se pencher sur une biographie, en lui soufflant ensuite le nom de De Funès. Il a de suite accroché à cette idée. Il est retourné chez lui, a commandé une biographie sur l’acteur, s’est penché sur la question pendant deux mois. Il m’a alors proposé le projet qu’on a monté en une semaine et on a été pris quinze jours après.
Quelles sont les difficultés de réaliser une biographie par rapport à une création originale ?
F.D. : Ça me semble moins difficile. Le chemin est balisé. La naissance, la vie, la mort, hop, tout est en place. Un côté reposant par rapport à une fiction où les péripéties sont à inventer. La difficulté est de mettre tout ça en musique. Une foule d'événements à trier, à hiérarchiser, bref garder l'essentiel pour dégager la personnalité du personnage. Avec De Funès on a été gâtés, il se passe constamment quelque chose d'amusant, d'intéressant, ou de dramatique. Ce sont les mêmes ressorts que pour une fiction. Il faut des péripéties pour relancer l'action, accrocher le lecteur, et essayer de ne plus le perdre.
Comment avez-vous récolté toute la documentation sur Louis de Funès ? Avez-vous rencontré certains membres de la famille ?
F.D. : J'ai travaillé avec des bios classiques existantes. Il y en a une bonne douzaine. Puis je suis allé traîner sur internet, enfin j'ai revu pas mal de films, lu des interviews, etc. Un travail de documentation qui rejoint celui qu'on effectue pour construire une fiction en fin de compte. Je n'ai pas cherché à rencontrer la famille au moment de l'écriture. J'ai pensé que je serais plus libre ainsi. Je ne le regrette pas. Bien entendu, nous serions ravis si nous apprenions qu'ils ont aimé le bouquin !
Existe-t-il un décalage entre la vie fantasmée d’un acteur qui a marqué toute une époque et la réalité ?
F.D. Certainement. Un personnage de cinéma est une invention de l'esprit, très structuré, façonné par un scénariste et animé par un metteur en scène. Sa vie à l'écran est courte, lisible, balisée par des principes narratifs basiques. Quant aux assemblages qui lui permettent de s'animer, ils sont bornés, limités. Par contre, dans la vie, il n'y a ni scénariste ni metteur en scène. Un être humain sera toujours autrement plus complexe qu'un personnage de film ou de roman. En ce qui concerne Louis De Funès, il était à la vie tout le contraire de ce qu'il montrait à l'écran, timide, introverti, discret. Docteur Jekyll et Mister Hyde.
Mais aussi angoissé, jaloux, acariâtre… Louis de Funès ne semblait pas facile à vivre… (sourire)
F.D. : Certainement. Une enfance pauvre, angoissante, abandonné par un père qui simule un suicide. Il y avait de quoi le perturber sérieusement. Sa chance a été de rencontrer une femme intelligente qui a su le comprendre, l'apprécier et l'aider à avancer.
Comment avez-vous trouvé le juste équilibre entre la romance et l’authenticité ?
F.D. : L'authenticité c'est par exemple Gérard Oury qui propose à Louis de Funès et Bourvil de faire un film ensemble. On ne sait rien de plus, on n'a pas de détails sur leur entretien, on ne sait rien de leur conversation. On sait juste qu'ils se sont vus pour parler d'un film ensemble. La romance c'est de faire vivre cette scène, inventer les dialogues. Ils se voient, prennent un verre, blaguent et Oury leur fait la proposition. Oury doit parler comme Oury, Bourvil comme Bourvil et De Funès comme De Funès. C'est en quelque sorte la mise en musique, le fait authentique auquel on donne vie. La BD permet bien ça. Avec un décalage encore plus grand qu'au cinéma. La BD autorise beaucoup de choses. Lucky luke joue aux échecs avec son cheval et tout le monde trouve ça normal. C'est la force de la BD, c'est magique. En ce qui concerne la notion d'équilibre elle est l'affaire de chaque scénariste. Les équilibres font partie du style, mais pour l'affaire qui nous concerne, l'équilibre doit être atteint naturellement puisque chaque événement authentique est mis en musique de façon romanesque. Authenticité et romanesque dans le genre qu'est la biographie en BD me semblent logiquement aller de pair, l'un ne va pas sans l'autre.
Un long chapitre est consacré aux parents de Louis de Funès, une étape nécessaire pour comprendre la vie du célèbre acteur ?
F.D. : À mon sens, oui. Et ce pour n'importe qui. Nous sommes en grande partie ce que nos parents ont fait de nous, ce qu'ils étaient eux mêmes. Que ça nous plaise ou non. Qu'on soit content de leur ressembler ou au contraire qu'on fuit ce lien et qu'on fasse tout pour ne pas leur ressembler, ils restent à la base de notre personnalité. Bien entendu ils ne sont pas nos seules influences, loin de là, mais ce sont nos premiers contacts dans la vie. C'est irremplaçable et décisif.
D’ailleurs, les métiers résolument sérieux de ses deux fils (pilote de ligne et radiologue) sont-ils selon vous une réaction à la vie que menait leur père ?
F.D. : Je ne sais pas, mais certainement il aura tout fait pour qu'ils « réussissent » dans la vie, c'est à dire selon ses critères, être à l'abri du besoin. Ce qui toute sa vie a été sa grande hantise. Même devenu très riche il était angoissé à l'idée de retomber dans la pauvreté de son enfance et de sa jeunesse.
Le ton de l’album est résolument humoristique, et les dialogues truffés de clins d’œil et de références cinématographiques…
F.D. : J'espère. C'était le but en travaillant sur un tel personnage.
Alexis, travailler sur des personnages existants, est-ce plutôt une contrainte ou un réel plaisir ?
A.C. : Quand on imagine une histoire, on crée de toutes pièces des personnages, ce qui est forcément très intéressant. Mais utiliser un personnage déjà existant, c’est aussi le réinventer.
Avez-vous été étonné par la « vraie » vie de Louis de Funès, bien loin de celle qu’on imagine ?
A.C. : Oui, bien sûr et très agréablement surpris. Il y a beaucoup de matière dans la vie de Louis de Funès. L’histoire de ses parents ressemble à un film à la fois comique et dramatique.
Rendre compte des grimaces et mimiques d’un tel acteur, n’est-ce pas trop compliqué ?
A.C. : Je ne voulais pas mettre des mimiques n’importe où et n’importe quand. Avant de commencer le travail, je m’étais déjà imprégné du personnage en visionnant pas mal de ses films. J’ai alors fait confiance à mon inconscient. Quand j’ai lu le scénario et pris connaissance des répliques que François a écrites, je savais à peu près dans quel film la scène se passait, mais je ne suis pas allé le vérifier à chaque fois.
Comment avez-vous travaillé avec la coloriste, Magali Paillat ? La douceur des couleurs a-t-elle été un choix dès le départ ?
A.C. : C'est Magali qui nous a proposé sa gamme de couleurs. C'est un album que nous espérons amusant mais aussi plein de tendresse, les couleurs de Magali y sont pour beaucoup.
Louis de Funès et son père se ressemblent, dans l’album, comme deux gouttes d’eau, aussi bien dans le caractère que d’un point de vue physique. Est-ce un choix scénaristique ?
F.D. : Nous n'avions pas de document photo exploitable pour le père. Alors l'idée nous est venue de le dessiner avec la tête de De Funès dans le film « Hibernatus » qui se passe à l'époque du père, en 1900 : ça fonctionne bien et ça permet visuellement d'être avec le comédien avant qu'il naisse ! Pour le caractère il y a une grosse différence entre le père et le fils, si Le comédien est aussi angoissé que son père, il a le côté insubmersible et battant de sa mère.
A.C. : Oui, c'est une idée de François. On devait travailler au départ sur le vrai père. On n’avait qu’une photo de lui mais ça m’aurait suffi pour réinventer le personnage. Mais on a trouvé qu’attendre une cinquantaine de pages pour découvrir Louis de Funès n’était pas forcément une bonne idée. Là, quand on ouvre l’album, on tomber directement sur le Louis de Funès que l’on connait.
D’ailleurs, la couverture représente finalement Carlos de Funès et non Louis… (sourire)
La famille de Louis de Funès a-t-elle lu l’album ? Qu’en a-t-elle pensé ?
F.D. : Nous ne savons pas du tout. Pour l'instant aucun écho.
Avez-vous d’autres projets de collaboration, en solo ?
F.D. : En collaboration, oui. Nous sommes sur deux albums ensemble. Mais il est encore un peu tôt pour vous en parler. Seul, je travaille sur un album pour les éditions Glénat. L'histoire court sur une année, de juillet 1794 à octobre 1795 et raconte l'histoire d'un tableau, le portrait du beau-frère du Peintre Louis David, Pierre Sériziat, qui se trouve au Louvre. Le peintre avait trouvé refuge chez son beau-frère à sa sortie de prison où on l'avait jeté pour le guillotiner. Pour le remercier de son hospitalité, il a donc peint ce portrait, juste avant... de retourner en prison ! À cette époque le bateau tangue salement, alors que Robespierre vient d'être guillotiné, s'engage le lent et difficile processus qui va mener à la fin de la révolution. Bref pas le moment idéal pour faire de la peinture... Je réalise le texte et les dessins. Sortie prévue en septembre 2015. Et je retrouve sur cet album le coloriste de Taxi Molloy.
A.C. : J’ai quant à moi un projet en tant qu’auteur complet.