C'est au début du mois d'octobre que C'ian, Cixi, Thanos et Hébus ont débarqué en terre malouine pour fêter les 20 ans de l'un des personnages les plus appréciés du 9ème Art. Le cadre enchanteur des remparts était le lieu idéal pour accueillir Lanfeust, un héros qui n'a jamais renié ses origines bretonnes. Une cité corsaire qui se transforme le temps d'un long week-end en Eckmül, l'occasion était trop belle d'y rencontrer Arleston qui revient en quelques mots sur l'extraordinaire aventure d'une série hors du commun.
Fêter les 20 ans de Lanfeust à Saint Malo, c’est pour rappeler que le personnage a quelques origines bretonnes ?
Arleston : J’ai toujours été assez piocheur de noms bretons qui ont des consonances très particulières. L’exotisme breton correspond assez à l’héroïc-fantasy. Choisir d’organiser cet anniversaire à Saint Malo, c’est aussi parce que c’est l’un des plus beaux festivals du circuit. Le cadre historique des remparts s’y prête parfaitement.
Avez-vous participé à l’organisation de l’exposition ?
A. : Je n’ai pas eu le temps de vraiment m’impliquer. J’ai quand même relu tous les textes et tous les panneaux. C’est le service com' des éditions Soleil qui s’est chargé de trouver tout ce qui gravite autour de cette expo. Ce qui est vraiment sympa, c’est de voir les réactions des enfants apercevant Lanfeust déguisé qui traverse la ville.
L’exposition est-elle amenée à être itinérante ?
A. : Je ne sais pas. Elle a vraiment été faite pour fêter les 20 ans à Saint Malo. Rien n’est prévu pour l’instant.
Quels souvenirs gardez-vous des conventions ?
A. : J’en garde un souvenir enchanté et merveilleux. Justement, cette expo à Saint Malo m’a rappelé ces conventions. Elles étaient montées par toute une bande de fans très motivés qui passaient six mois de l’année à préparer leur costume. On était là avec trois Lanfeust, cinq Cixi, deux Thanos… C’était vraiment marrant… Ça se passait dans un petit village à côté d’Aix dans une ambiance très familiale et conviviale. Cela n’avait rien à voir avec un festival classique. Je vois encore beaucoup de ces fans dont certains sont devenus des amis…
Ce genre de manifestations reste assez unique…
A. : Oui… Il y en a eu quatre ou cinq. C’était vraiment au départ une envie spontanée des lecteurs. Au départ, ils voulaient même le faire au village de Lanfeust. (petit village breton, NDLR) On leur a dit que dans la mesure où les auteurs habitaient tous dans la région aixoise, ce ne serait pas facile à organiser. (sourire)
Quelles ont été vos premières inspirations pour créer le personnage de Lanfeust ?
A. : J’ai commencé à écrire Lanfeust en 1992. À cette époque, à ma grande honte, je n’avais pas lu La Quête de l’Oiseau du Temps au contraire de Tarquin qui l’avait lue dans tous les sens. D’ailleurs, ça se voyait un petit peu. Je ne lisais pas d’Héroïc-Fantasy en BD, ce n’était pas spécialement mon truc. J’en lisais par contre beaucoup en roman, même si je n’ai découvert Pratchett que plus tard. Et heureusement… Ça m’aurait peut-être bloqué d’avoir lu cet auteur avant. (sourire) D’ailleurs, quand j’ai commencé à lire ses bouquins, j’ai eu quelques blocages. Je me disais : « Il fait exactement ce que j’ai envie de faire ! ». Mes influences en terme de romans, c’est plutôt la génération d’avant : Jack Vance, principalement, Fritz Leiber, Silverberg… Ce côté « planet-fantasy » dans lequel on mélangeait SF et Fantasy me plaisait beaucoup. Il y avait déjà de l’humour dans ces bouquins alors que la vraie fantasy, celle noire et sérieuse de l’époque, m’emmerdait profondément. Je n’ai jamais été capable de lire Moorcock, du moins Elric. Je n’ai pas lu non plus Tolkien… Je pense aussi que c’est l’une des raisons pour lesquelles Lanfeust a su toucher un large public : je n’étais pas un spécialiste de la fantasy. Je n’étais pas enfermé dans ces univers très normés : des elfes avec des oreilles pointues, des nains avec des marteaux… J’ai inventé ma propre fantasy, beaucoup plus marquée par l’Antiquité Gréco-Romaine mélangée aux contes de Grimm. On n’était plus du tout dans une niche pour spécialistes.
Cette fantasy humoristique a-t-elle été facile à vendre à l’éditeur ?
A. : Les choses se sont très bien passées avec Mourad Boudjellal. À l’époque, c’était un tout petit éditeur, il était d’ailleurs libraire. La première série fantasy que j’ai faite chez lui est Les Maîtres Cartographes. Puis j’ai réalisé Les Feux d’Askell avec Jean-Louis Mourier. Lanfeust est arrivé un peu plus tard. Je connaissais déjà Didier Tarquin car il habitait Aix. Même sur Röq, sa première série, il m’avait demandé de retravailler ses dialogues, lui même ayant aidé à encrer des planches des Maîtres Cartographes. On bossait vraiment entre potes. À l’époque, mes séries marchaient gentiment et tournaient autour de 5 à 6000 exemplaires, ce qui, pour l’échelle de Mourad, était déjà très bien. Je me rappelle avoir fait un album chez Alpen-Humanos (Manie Swing, La colère du Bronongo, NDLR) qui m’avaient dit qu’en dessous de 12000 exemplaires, je n’était pas rentable. Tout est une question d’échelle. Forcément, on était dans des locaux à La Villette, designés par Starck avec des bureaux en planchers de verre dans lesquels chaque mec avait trois secrétaires. (sourire) Forcément, chez Mourad, dans sa petite librairie, c’était différent. Il me disait qu’à partir de 2000 exemplaires, il commençait à gagner du pognon. J’ai compris à ce moment-là ce qui faisait aussi le coût d’un album. Quand on a lancé Lanfeust, il n’y croyait pas plus que ça et en a imprimé 2000. Il a finalement réimprimé quinze jours après, puis le mois suivant, et ainsi de suite. Au bout de deux mois, on était à 12000 exemplaires. Le temps de faire le tome deux, on était à 30000 exemplaires. La fusée était partie. Mourad m’avait dit au début de ne pas mélanger humour et fantasy. Une fois qu’il a consulté les relevés de banque, il ne m’en a plus jamais reparlé. (sourire)
Le lancement de Lanfeust chez Hachette Collections a permis d’amener des nouveau lecteurs…
A. : Je ne savais pas… Je sais par contre qu’Hachette recherche dans ce type de collections un bon taux d’abonnements. Ils ont eu pour Lanfeust un taux bien supérieur à ce qu’ils attendaient. Ils ont investi beaucoup de com' et de pubs autour de ce projet : spots télé, YouTube… Pour nous, l’intérêt était surtout cette campagne de com' que nous offrait Hachette. Je remarque que depuis une année environ, j’ai de nouveau un lectorat de gamins de 12-13 ans qui n’avaient jamais entendu parler de la série auparavant et qui ne sont pas prescrits par leurs parents. Je trouve ça super rafraîchissant d’avoir une nouvelle génération de gamins qui arrive. Bien entendu, tout lecteur fait plaisir mais j’ai un plaisir très particulier de savoir que je suis lu par des ados qui sont ultra-motivés. Ils ont une fraîcheur et un enthousiasme que n’ont pas forcément un adulte.
Sortir aujourd’hui le premier tome de Lanfeust aurait-il eu le même impact qu’il y a vingt ans ?
A. : Je n’en ai aucune idée. Je répondrais non… Chaque fois que je crée quelque chose, c’est forcément en fonction d’un air du temps, quelque chose que j’absorbe de façon inconsciente et qui correspond à une époque. Même au moment de sa sortie, on s’était dit que si on l’avait fait paraître un an plus tôt ou plus tard, peut-être que ça n’aurait pas marché. Aujourd’hui, on ne ferait plus Lanfeust de la même manière. Je ne suis pas naïf, je sais que Lanfeust a influencé d’autres auteurs derrière. Certaines choses mises en place dans mes albums ne sont plus aujourd’hui originales. Pourtant, on n’avait pas à l’époque l’impression de faire quelque chose de novateur et de surprendre. Ce n’est qu’après coup qu’on s’est rendu compte qu’on avait cassé les codes sur pas mal de choses.
Les albums proposent beaucoup de jeux avec le lecteur sous forme de clins d’oeil…
A. : Au départ, c’est Tarquin qui avait commencé à écrire des petites conneries dans les coins pour se défouler. Puis j’ai commencé à en rajouter et ça s’est transformé en jeu. Que ce soit sur Lanfeust ou sur mes autres séries, je n’ai jamais rien calculé ni réfléchi en fonction des lecteurs. Je pense que c’est la meilleure des solutions car commencer à réfléchir aux lecteurs, c’est le meilleur moyen d’avoir le trac. Quand j’écris, j’essaie d’abord de faire rire mon dessinateur. D’ailleurs, il y a dans mes séries plein de private jokes qu’aucun lecteur ne verra jamais. On a eu ce problème "de trac" lors de l’écriture des tomes deux et trois de Lanfeust au moment où le succès a commencé à devenir assez fulgurant. Pendant quelques mois, on a commencé à se demander ce que penseraient les lecteurs des conneries qu’on pouvait mettre dans nos albums. Dans le tome trois, par exemple, Hébus fait pipi par-dessus les remparts sur des mecs et en fait c’est de l’acide. J’ai hésité à le mettre dans l’album et c’est Tarquin qui m’a convaincu. Par la suite, on s’est débloqué.
À partir de quand avez-vous décidé de développer l’univers de Troy ?
A. : Ça s’est passé en plusieurs temps. Au début, quand Lanfeust a commencé à marcher, Mourad m’avait proposé de faire un spin-of avec Hébus. Je n’étais pas du tout chaud. Il avait fait faire dans mon dos des essais à plusieurs dessinateurs, puis on n'en a plus reparlé. Quelques temps plus tard, on se retrouve dans un petit festival avec Jean-Louis Mourier avec qui on faisait Les Feux d’Askell. Un gamin se pointe avec un Lanfeust, tout déçu que je ne dessine pas. Jean-Louis prend alors son pinceau-feutre pour dessiner un troll. Ce gars est capable de dessiner n’importe quoi sans réfléchir avec une facilité incroyable. Il s’approprie le troll de Didier immédiatement et fait au gamin un troll en tutu en train de danser le Lac des Cygnes. Là, j’ai eu un déclic. J’ai eu à ce moment envie des faire des histoires de trolls sans que ce soit pour autant un spin-of de Lanfeust. Je voyais les trolls en temps qu’entités. Je voulais aussi déplacer l’axe de la caméra et avoir les humains comme méchants à la place des trolls. C’est finalement le dessin de Jean-Louis qui a tout déclenché. S’il n’y avait pas eu ce gamin, il n’y aurait peut-être jamais eu les trolls. Par contre, il y aurait eu le tome quatre des Feux d’Askell. (rires)
Comment continue-t-on à trouver des noms, des caractères de personnage après quarante ou cinquante albums ?
A. : Je n’ai jamais eu trop de problèmes pour trouver des noms. Quand je réfléchis sur une série, ça se passe souvent en deux temps. J’ai d’abord besoin de poser les lieux, de poser les noms. Beaucoup d’auteurs peuvent écrire « il » sur tous le synopsis et trouver le nom à la fin. J’en suis incapable. Tant que je n’ai pas le nom du personnage, je suis incapable d’écrire. Je ne peux pas non plus commencer sans avoir au préalable le titre du bouquin. J’ai besoin de connaître mon personnage, de connaître sa psychologie, de savoir qui il est, d’où il vient. Une fois que cette psychologie est forgée, tout le reste devient très facile. Face à une situation donnée, il ne pourra réagir que d’une seule manière. Le plus difficile est donc de décider le type de chaque personnage. Je fonctionne aussi beaucoup en groupe de personnages. Quand on veut faire de la comédie, il faut de l’interaction. Il faut donc des personnages contrastés pour avoir des dialogues, des choses qui marchent.
On s’aperçoit dans le dernier tome des Naufragés d’Ythaq que les joutes politiques prennent une réelle importance…
A. : Je me suis amusé sur le deuxième cycle à changer un peu pour passer en effet sur ce côté un peu politique et planétaire. Je suis journaliste de formation, j’ai toujours eu un rapport addictif à l’actualité, à la politique. Je n’avais pas encore traité cet aspect dans mes bouquins et pour le coup, j’ai trouvé que c’était le bon endroit. La transposition planétaire de phénomènes très courant sur la Terre, m’a semblé assez marrant à traiter. Ce qui m’intéressait était surtout de travailler autour des grands jeux de pouvoir et des manipulations qui en découlent.
D’où est venue l’idée du poète dans Ythaq ?
A. : Le fait que le gars soit à la fois un technicien et poète, j’ai trouvé ça marrant. Coller du Baudelaire à un gars qui est là pour visser des boulons, le paradoxe m’amusait. Puis son nom est en fait un petit hommage à Jack Vance. Dans La Geste des Princes Démons, il y aussi un poète fou qui s’appelle Narvath.
Il est malmené dans ce dernier tome avec des femmes au fort caractère…
A. : Granite a raison d’avoir du caractère, le jeune homme n’a pas su tenir sa braguette ! Maintenant il en paie les conséquences. C’est la vie monsieur ! (sourire) Au bout de huit-neuf tomes, je les avais amenés à une relation amoureuse. Mais pour raconter des histoires, il n’y a rien de plus chiant qu’un petit couple dans lequel tout marche bien. Nous, les scénaristes, on est des salopards et on sème le bordel dans les couples pour à nouveau avoir des situations intéressantes à raconter.
Les femmes complices dans Ythaq, c’est pour faire opposition à l’antagonisme de C’ian et Cixi ?
A. : Je n’ai jamais réfléchi de cette manière-là. Je me suis méfié à moment donné de Cixi et Callista qui pouvaient avoir un peu trop de points communs dans leur caractère. Entre C’ian et Granite, il n’y a en revanche pas beaucoup de traits communs.
N’avez-vous jamais eu envie d’écrire une histoire contemporaine avec des sujets d’actualité ?
A. : J’en ai de temps en temps envie. Le problème, c’est que j’ai énormément de mal à traiter un sujet sérieusement. Au bout de trois pages, je commence déjà à raconter des conneries. Si je m’attaquais à des vrais sujets comme ça, je serais obligé de m’interdire beaucoup de choses et ça serait une frustration permanente. Je préfère détourner et transposer ces sujets de façon marrante dans des univers imaginaires. Un de mes tous premiers scénarios, qui aujourd’hui serait totalement obsolète, s’appelait « Vert comme l’enfer ». Le sujet était une dictature écolo avec un leader qui était en réalité le Commandant Cousteau et un héros qui était trafiquant de viande rouge. Peu de temps après, Jean Van Hamme a fait SOS Bonheur. Puis les gens ont commencé à se rendre compte qu’il y avait une sorte de diktat derrière les écolos et le message a donc perdu son intérêt.