Après les gags en une page version "gore-rigolo" de La Vie de Norman, Stan Silas aborde dans Biguden les traditions bretonnes et leurs transmissions à une jeune... japonaise. De l'humour -encore -, la Mort qui rôde -toujours-, le tout dans une histoire prévue en trois tomes. C'est à Saint-Malo, dans un cadre propice à l'évocation des légendes celtiques, que l'auteur est venu répondre à quelques questions.
Revenons un moment sur Norman où vous exploitez le contraste entre récit sanguinaire et bouilles de bambins a priori adorables : est-ce le résultat d'une audition prolongée du thème de Psychose de Bernard Hermann joué à la flute à bec ou au kazoo ? (sourire)
Non, il n’y avait pas de lien à l’époque. D'ailleurs, il n’était pas du tout prévu que je bascule dans la cornemuse et la bombarde (NDLR : référence au bagad de Biguden). J’étais juste fan de films d’horreur et de Calvin et Hobbes.
Plus sérieusement, comment avez-vous travaillé sur la définition des personnages de Norman?
Vous savez je suppose que l'instit' occupe une place de choix dans le cœur des lecteurs les plus âgés : avez-vous le numéro de téléphone de son modèle ?
Ne le répétez pas… (sourire) J’avais une Madame Plébère comme enseignante. L’orthographe de son nom est différente pour ne pas avoir de problèmes. C’était une prof d’anglais beaucoup moins jolie mais tout aussi humiliante envers les élèves. Au départ, quand je la dessinais, c’était juste une garde d'enfants que je détestais. Au fur et à mesure elle est devenue plutôt jolie car c’était plus rigolo de la faire avec des gros seins. C’est finalement devenu quelqu’un de sympathique dans son côté méchant.
Avec Norman, on était sur un mécanisme « une planche = un gag ». Avec Biguden, on change de registre…
C’était même pire que ça. À la base, Norman c’était « un strip = une blague ». Norman fonctionne beaucoup plus à l’humour. Pour Biguden, j’ai essayé de faire mes armes avec un vrai scénario. Contrairement au début où c’était les blagues qui faisaient l’histoire, là pour le coup j’ai prévu une histoire en trois tomes avec des personnages qui existent déjà dans ma tête. Je sais exactement ce qui va se passer pendant ces trois tomes, j’ai donc une histoire très construite. Pour le moi, l’écriture d’un scénario est la partie la plus difficile dans la bande dessinée.
Biguden, c’est un cri d’amour à la Bretagne… Avez-vous bénéficié d’une aide financière de la Région ou d’une autre collectivité locale ? (sourire)
J’aurais adoré ! (sourire) Je suis d’ailleurs à la recherche de subventions. Je connais effectivement la Bretagne, ce qui constitue un plus. En fait, Biguden au départ m’a été imposé, quelqu’un m’a demandé de dessiner une mascotte pour l’association Bretagne-Japon. Cela ne s’est finalement pas fait car je voulais être rémunéré pour ce travail, ce qui n’était pas possible. Mais en dessinant le personnage de la petite japonaise, j’ai tout de suite été transporté par l’histoire.
Un docteur porté sur la boisson, une maman qui a une crêperie, les bigoudènes… : c'est enfiler les clichés sur la Bretagne comme les perles d'huîtres de Cancale ?
Oui et non… C’est rigolo car quand on me parle de Biguden, on me remercie souvent pour ne pas avoir fait de la BD bretonne caricaturale. Finalement, les bretons vivent comme tout le monde. Je suis peut-être caricatural dans les personnalités, comme le postier d’un petit village, homme à tout faire et un peu alcoolique. Mais dans leur façon de vivre, je n’ai pas l’impression d’être très caricatural. Je pense même que cette histoire aurait pu se passer n’importe où en France, à part quelques détails comme le bagad.
Goulwen, comme Norman, a huit ans. L’âge idéal pour raconter les aventure d’un petit garçon ? Sorti de la petite enfance et pas encore ado ? Un peu innocent et incrédule mais qui fait beaucoup pour que ça ne se voit pas trop ?
On se permet des choses quand on a huit ans qu’on ne peut pas se permettre plus tard. C’est encore une période où on peut dire des méchancetés. Ce n’est pas forcément avec Goulwen car il est foncièrement très gentil. Il sert plus de lien avec les différents personnages. Huit ans, c’est l’âge parfait pour faire passer plein de messages.
Transmettre les traditions bretonnes à une jeune japonaise, est-ce bien sérieux ? Ne craignez-vous pas les représailles d’indépendantistes ? (sourire)
(sourire) Ils peuvent me tomber dessus pour plein de trucs. Non, en fait ils ne me tomberont pas dessus car Biguden, c’est juste rigolo. Concernant la transmission des traditions, c’est devenu tellement difficile aujourd’hui que c’est justement peut-être plus facile avec quelqu’un qui vient de l’étranger et qui ne comprend pas tout ce qui se passe. Il y aussi beaucoup de similitudes entre le folklore japonais et breton.
L’Ankou, sous ses airs inquiétants, est finalement un personnage utile pour évoquer la mort à des enfants…
Je n’ai pas trop recherché ça. Il va y avoir un méchant dans chaque tome et l’Ankou est celui du premier. Il est,, pour moi, le plus connu. Ensuite, la mort est quelque chose de récurrent dans mes histoires, il faut d’ailleurs que je pense à aller consulter. (sourire) L’Ankou n’est pas spécialement content de son boulot, il fait ce qu’il doit faire. Je ne peux pas en dire beaucoup plus, sinon qu’on le reverra.
Avez-vous souvent rêvé d'infliger une correction à la Mort ?
Non, l’Ankou me fait peur. C’est d’ailleurs peut-être pour ça que j’en parle autant dans mes albums.
Quelques mots sur les raisons de la venue de Biguden en terre Bretonne… ?
On va petit à petit comprendre pourquoi elle est arrivée là. D’ailleurs, il y aura une bonne avancée dans le deuxième tome. Je me rends compte que je n’ai que trois tomes et que ça va être très chaud de tout raconter ! (sourire)
L'album traite aussi des différences : pays d'origine, handicap, barrière de l'âge dans un monde qui va trop vite... Le mode comique est-il le terrain idéal pour tout aborder sous une apparence légère ?
Je n’ai pas la prétention de changer quoi que ce soit dans la façon de penser des gens mais si je peux faire passer quelques messages… Et le comique est sans doute le meilleur moyen de le faire. Je n’arriverai jamais à faire une bande dessinée très sérieuse, simplement parce que je ne serais pas bon dans ce domaine. Je me sers donc de l’humour pour faire passer des messages importants.
La seule évocation de l’enfance de Biguden est une double page muette en début d’album. L’absence de mot renforce-t-elle la tension et l'émotion de la scène ?
J’ai été un peu embêté pour ça. Biguden parlant japonais, j’ai hésité à la faire parler en français dans cette scène-là. Finalement, j’ai choisi de ne pas mettre de texte car ça compliquait le scénario inutilement. Finalement, sans dialogue, ça rend la scène un peu plus forte. Il y aura quatre planches muettes comme ça dans le tome deux et là, ce n’est pas que je regrette, mais je trouve ça un peu long. J’ai donc rajouté quelques onomatopées pour rendre les planches un peu moins froides.
Vous n'aviez pas introduit de personnes âgées dans vos albums jusqu'à présent...
Dans l’image de la biguden, on imagine toujours une vieille dame. J’ai donc été obligé de mettre dans l’album une personne âgée. Puis j’aime bien les vieilles. (rires)
Le style, le découpage notamment, traduit une certaine influence manga : pour lui rendre hommage ou
pour jouer avec ses codes ? N’y a-t-il pas également un peu de Calvin et Hobbes également ?
Quand est prévue la suite de Biguden ?
Ce sera aussi un soixante-deux pages et j’ai terminé le story-board du deuxième tome. Quand on fait trois tomes, on sait ce qu’on doit raconter, comment la fin doit arriver et je me dis qu’il ne me reste plus qu’un tome pour finir mon histoire… En même temps, je n’aime pas quand tout est expliqué. Tout ne sera pas dit et ce n’est peut-être pas plus mal ainsi.