On connaissait la bande dessinée historique, fantastique, d'humour ou d'aventures. Peut-on aujourd’hui parler d'un nouveau genre avec la bande dessinée financière ? Après Dantès (huit tomes aux éditions Dargaud), Pierre Boisserie et Philippe Guillaume ont lancé avec La Banque une nouvelle série dans laquelle l'argent et le pouvoir sont au centre du récit. Le premier diptyque, dessiné par Julien Maffre, vient de connaître son épilogue.
Après Dantès, La Banque est une nouvelle série dont le thème tourne autour des milieux financiers. Cette fois, « la famille » est au centre du récit…
P.B. : En règle générale, Philippe fait le travail de documentation sur le thème que nous avons choisi, que ce soit pour Dantès ou pour La Banque. Dans un deuxième temps, nous nous retrouvons pour élaborer à partir de ces éléments (dont j’ai pris connaissance avant) un synopsis global de l’histoire. Puis, je développe ce synopsis que Philippe va corriger et annoter en fonction de sa documentation. Enfin, je me charge du découpage et du dialogue, Philippe me donnant son avis et ses corrections à toutes les étapes.
Quelle est la part d’authenticité dans le scénario de La Banque ?
P.B. : Tous les faits économiques sont véritables et replacés dans un contexte historique rigoureusement précis. Seuls les acteurs (nos personnages) varient par rapport à la réalité historique.
Comment avez-vous choisi le titre de la série, à la fois très court mais évocateur ?
P.B. : Nous voulions un titre qui frappe les esprits indiquant clairement le thème de la série sans tourner autour du pot. La typo choisie pour les couvertures renforce d’ailleurs le côté sombre et brutal de « La Banque ».
Malgré les presque deux siècles qui nous séparent du récit, les thèmes abordés apparaissent résolument modernes, notamment les rapports des personnages à l’argent…
P.B. : Que rajouter de plus ? La permanence de la soif de pouvoir et d’argent existe depuis l’origine de l’humanité. Que ce soit à Rome dans l’Antiquité, au Moyen-Âge avec Philippe le Bel, ou de nos jours, la cause de bien des tourments est toujours la même…
Une femme conseillère financière de grands dirigeants au milieu du 19e siècle, est-ce de la pure fiction ou cela a-t-il vraiment existé ? (sourire)
P.B. : Derrière chaque grand homme se trouve une grande femme. Je ne sais plus de qui c’est, mais les femmes ont toujours été les meilleures conseillères des hommes. Mme Hanaut, célèbre banquière de la fin du 19ème, n’a même pas eu besoin d’un homme…
Dans le premier tome, les conseils de Nathan Rothschild sont suivis presque aveuglément par l’ensemble du milieu industriel. N’existait-il pas, à l’époque, une dimension antisémite et une crainte du complot juif ?
P.B. : Le complot juif est né plutôt à la fin du 19ème siècle. En même temps, seule la religion juive autorisait à toucher l’argent. Et quand les conseils sont bons, on devient beaucoup moins regardant sur la religion de celui qui les a prodigués.
Comment avez-vous choisi Julien Maffre pour réaliser les dessins du premier diptyque ?
P.B. : Notre éditeur, François Le Bescond nous a proposé de travailler avec ce dessinateur dont nous avions apprécié le dessin sur Le Tombeau d’Alexandre. Ce garçon est juste brillant comme vous avez pu le constater.
Julien, après Le Tombeau d’Alexandre, vous réalisez à nouveau le dessin d’une série qui se déroule au 19e siècle. Un pur hasard ou est-ce une période de l’Histoire qui vous attire particulièrement ?
Julien Maffre : Un pur hasard ! Suite au tombeau d'Alexandre, j'ai fait le tour des éditeurs avec un western, et c'est François Le Bescond, directeur éditorial chez Dargaud, qui m'a parlé de la Banque. Le sujet m'a intéressé - indépendamment de l'époque à laquelle il se passe – j'ai rencontré Pierre et Philippe, fait deux planches d'essai, et le projet était lancé. Je travaille actuellement sur le western cité précédemment qui se passe lui aussi au 19ème siècle, là encore un pur hasard. Mais au niveau de mes envies, le scénario et l'écriture priment sur l'époque.
Quelles ont été vos sources de documentation ?
J.M. : Des livres , des films -Vanity Fair en tête- , internet, mais c'est surtout Pierre et Philippe qui m'ont fourni l'essentiel de la documentation.Les sagas familiales ont la particularité de voir les personnages évoluer avec le temps. Comment avez-vous travaillé sur le vieillissement des visages, notamment celui de Charlotte ?
J.M. : Un de mes grands plaisirs a été de dessiner Charlotte quinquagénaire . De mémoire, les héroïnes de cette tranche d'âge sont rares en BD. Les traits sont plus affirmés, les visages sont moins lisses qu'à vingt ans et reflètent le vécu du personnage - dans le cas de Charlotte, personnage dur, son visage se creuse, devient plus sec et anguleux. Les rides font gagner en expressivité, mais il faut aussi que les personnages soient reconnaissables d'une période à l'autre. Certains visages d'actrices m'ont aidé, mais aussi le travail d'Urasawa sur 20th century boys, qui a fait un boulot extraordinaire sur le vieillissement des personnages, que l'on reconnaît immédiatement qu'ils aient dix, trente ou cinquante ans.
Avez-vous participé au travail de colorisation réalisé par Delph ?
J.M : Du tout. J'ai été ravi qu'elle ait accepté de travailler sur La Banque, je connaissais et aimais son travail, en particulier sur Le Marquis d'Anaon. Elle a fait des planches superbes et je ne suis intervenu à aucun niveau. Les seules indications jour/nuit du scénario suffisaient!Comment vont être articulés les différents diptyques ? Quelles périodes de l’Histoire vont-ils couvrir ?
P.B. : L’histoire est articulée autour de diptyques traitant chacun d’une génération de la famille Saint-Hubert. Ainsi, si tout se passe bien, nous allons couvrir deux siècles d’histoire économique de Waterloo à la chute de Lehmann Brothers en 2008.
Quelques mots sur le prochain diptyque ?
P.B. : Le prochain diptyque sera dessiné par Malo Kerfriden. Il couvrira la période de 1857 à 1871 et traitera de la transformation de Paris par le baron Haussmann et de la spéculation inhérente, puis des raisons économiques de la chute du Second Empire, de la conquête du Mexique à la Commune de Paris.