Dernière partie de l'entretien consacré à Clément Baloup. Au programme : techniques de travail, expositions et projets.
En termes de technique, quand tu as commencé, les gens parlaient de toi plutôt pour la couleur, on peut dire ça comme ça ?
Clément Baloup : Tout à fait.
Et ces derniers temps, si on te dit que tu es plus parti dans le trait, tu es d'accord ?
C.B. : Oui, c'est vrai. J'avais mis un peu le paquet sur la couleur, on va dire.C'était après ton séjour à Hanoï, où tu avais fait les Beaux Arts ?
C.B. : Oui. A Hanoï, j'avais travaillé la peinture, et notamment les peintures traditionnelles à la laque où la couleur est très très importante. Il y a eu toute une réflexion et une pratique qui m'ont fait un choc. Quand je suis rentré, il y a quelque chose qui s'est ouvert en moi à ce niveau-là et je me suis dit qu'il fallait vraiment que je bosse la couleur. Ce que ça peut traduire comme émotion et ce que ça raconte aussi, ce que ça provoque.
Du coup, j'ai travaillé cela dans les albums. Un automne à Hànôi à l'aquarelle, Quitter Saigon à l'acrylique. En parallèle, même si ce n'était pas moi qui faisait ses peintures, on en parlait beaucoup avec Mathieu Jiro. Il a travaillé d'abord aux huiles, à l'acrylique, sur les bouquins au Seuil, puis à l'ordinateur sur les bouquins chez Gallimard, dans la collection Bayou. Mais j'ai toujours été très impliqué dans les choix de couleurs qu'il faisait. C'est vrai, le trait, c'est quelque chose que j'avais laissé un peu de côté, et avec Little Saigon et le prochain projet, j'y reviens en force. Enfin, j'essaie de mettre beaucoup d'énergie dans mon trait. Je reviens plus sur une pratique que je n'avais pas vraiment laissée tomber, mais que je ne montrais pas dans mes publications.
C'est une pratique de mes carnets de dessin où je fais très peu de couleur, depuis des années. Donc pour Little Saigon j'ai vraiment repris le style de dessin qu'il y a dedans. Je suis très très proche de mes carnets de croquis, de notes. On est beaucoup plus proche du trait. Mais je tiens à dire que la réflexion sur la couleur ne s'est pas arrêtée. Elle est toujours très présente, et elle le sera encore, mais c'est vrai que j'utilise des palettes plus sobres.
Par exemple, dans Little Saigon, il y a un passage, avec des rouges et des bleus, qui est complètement surréaliste. J'ai beaucoup réfléchi pour essayer de rendre la chaleur qu'il y avait en Caroline du Sud. Il fait presque 40°. J'ai donc utilisé ces couleurs qui n'ont rien à voir avec une photo ou quelque chose de réaliste, pour traduire ça. Je pense que ça marche relativement bien. Il y a d'autres passages avec des oranges et des bleus qui ne sont pas du tout réalistes, mais j'essaie de donner l'illusion que ce sont des couleurs réalistes, et je joue avec ça. C'est peut-être un peu plus subtil, un peu moins éclatant que dans les autres bouquins, mais la réflexion est toujours là, toujours très forte. Mais c'est vrai que je laisse aussi maintenant parler le trait, le noir, le noir et blanc, pour qu'il y ait aussi une lecture plus simple.
Tu travailles au feutre, à la plume ou au pinceau ? Ou tu mélanges tout ?
C.B. : Je mélange tout. Il y a des stylos, des pinceaux avec de l'encre de chine, des gros marqueurs. Il y a de l'ordinateur aussi, il y a des dessins qui sont terminés à l'ordinateur parce que j'en avais envie. Et pour les couleurs, c'est une base d'aquarelle.
Tu as fait de nombreuses expositions ?
C.B. : J'en ai fait pas mal, notamment quelques unes, récemment en France, et aussi en Indonésie. Les plus marquantes ont été des expositions pendant le festival de bande dessinée d'Aix-en-Provence. J'ai fait une exposition solo lors d'une édition et une exposition collective avec le Zarmatelier dans une autre. Il y a eu aussi une grosse exposition avec le Zarmatelier à Marseille pour les dix ans de l'atelier. "AlcaZarmatelier - Manufacture de BÉDÉ". C'était pour les onze ans, parce que c'était un peu en décalé, à l'Alcazar, la grande médiathèque de Marseille, sur le vieux port. Là on a eu vraiment énormément de monde. Les organisateurs étaient eux-même très étonnés.
Et là, il y a en deux à venir dont j'ai envie de parler. Une exposition collective qui va avoir lieu à l'automne 2013, au Musée de l'Immigration, Porte Dorée à Paris. Ce sera une exposition de différents auteurs de bédés qui ont travaillé sur l'immigration. Il va y avoir des stars comme Bilal, Marjane Satrapi et des auteurs que j'aime beaucoup comme Shaun Tan, l'Australien ainsi qu'Eddy Vaccaro . Et plein d'autres. Et je crois savoir que j'aurai une mise en valeur particulière sur mon travail pendant cette exposition. Je vous invite donc tous à venir Porte Dorée l'automne prochain pour cette exposition bédé.
La seconde expo, au Préau des Accoules, sera plus petite, mais je pense qu'il y aura pas mal de gens qui vont se balader pendant Marseille 2013 pour l'année de la culture. Je réalise un grand tableau, mais un très grand tableau, une pièce de 4 mètres sur 3, au musée des enfants. Je vous invite également à passer si vous êtes dans les parages. (Un siècle d'immigration dans la bande dessinée - Le préau des Accoules)
Revenons à la difficulté de trouver d'autres sources de financement quand on est dessinateur. Certains jouent sur la vente de leurs planches, et toi ?
C.B. : Je suis tout à fait d'accord avec le système de vente de planches. C'est normal pour moi que les gens aient envie d'acquérir des planches, au même titre qu'on acquiert un objet d'art, une illustration, une sérigraphie. Je le fais de temps en temps. J'avoue que je n'y mets pas une grande énergie. En fait, toutes ces activités annexes prennent trop de temps. Je me suis rendu compte que c'était beaucoup plus simple en direct. Uniquement des particuliers, des collectionneurs, des amateurs, ou simplement des gens qui flashent. Alors je ne cherche pas trop à rentrer dans ce système des galeristes et des intermédiaires, même si je vois des amis à moi qui marchent très bien avec ça. Mais c'est du temps et mon agenda est déjà pas mal rempli.
On finit avec les projets en cours ou abandonnés. Il y a beaucoup de personne qui demandent quand sortira le tome deux de Mong kheo ?
C.B. : (Rires). Alors, je suis vraiment désolé pour les lecteurs mais il y a eu un gros souci avec l'éditeur Carabas. Ce n'est pas de sa faute, je n'ai vraiment pas envie qu'on croit que ça s'est mal passé avec lui mais il a eu des difficultés et n'a pas pu sortir le bouquin dans de bonnes conditions. Récupérer les droits a pris aussi du temps. Le tome deux est fini depuis longtemps et paraîtra chez un autre éditeur sous forme d'intégrale. Pour ne pas léser les gens qui ont le premier tome, l'intégrale ne sera pas très chère il y aura beaucoup de matériels ajoutés, des surprises, des croquis, des pinups, des choses assez sympas. Bref, une vraie valeur ajoutée. Et je m'excuse vraiment, pour les gens qui ont attendu. Ce n'est pas la première fois qu'on me pose la question. Si ça ne tenait qu'à moi il serait déjà sorti depuis longtemps, mais j'ai eu parfois l'impression d'être maudit avec les reports successifs de cet album.
Le ventre de la hyène, avec Christophe Alliel, on en a parlé tout à l'heure...
C.B. : Voilà. Au Lombard, avec un super dessinateur (mais je ne travaille qu'avec des supers dessinateurs). Christophe Alliel, on le connaît pour ses bouquins chez Soleil, notamment les Spynest. Les gens voient très bien qu'il est bon. Je ne veux pas trop jouer les devins, mais je pense qu'il y a pas mal de gens qui vont être agréablement surpris son travail, découvrir qu'il peut faire autre chose que de l'action fantaisiste. C'est un garçon très jeune et là il et en train d'expérimenter des choses qu'il n'avait jamais osé faire, tout en gardant la pêche et la beauté de son dessin. Donc, ça va faire parler de lui je pense.
On a parlé du projet sur la communauté vietnamienne à Taiwan. Pas d'autres choses en vue ?