En ce dimanche 26 mai 2013, la Palme d’or de la 66ème édition du festival de Cannes a été décernée au film « La vie d’Adèle ». Réalisé par Abdellatif Kechiche et porté par les actrices Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, il est assez regrettable qu’aucun des trois n’ait rappelé à cette occasion que ce film a été inspiré par la bande dessinée de Julie Maroh : « Le Bleu est une couleur chaude », album qui reçut le prix du public lors du festival d’Angoulême 2011.
Notamment pour ceux qui seraient passés à côté, nous vous proposons de lire, ou de relire, la chronique que D. Wesel avait rédigée peu après la parution de l’album :
"Comme beaucoup d’histoires d’amour, celle-ci commence par un regard. Regard intrigué, d’abord, puis un peu trop insistant pour être complètement innocent. Perplexité, envies naissantes mais refoulées parce que difficilement acceptables. Rêves récurrents où les corps se mêlent, où le plaisir se donne, sans peur et sans remords. Puis le réveil, douloureux, qui signe le retour de la crainte, de la honte. Jusqu’au jour où, n’y tenant plus, Clémentine se laisse doucement glisser dans les bras d’Emma.
L’amour n’est jamais simple pour une adolescente qui découvre ses premiers émois, il l’est encore moins pour Clémentine dont les élans, interdits, la portent vers une belle demoiselle aux cheveux bleus. En plus de gérer les aléas de toute relation amoureuse, il lui faudra appréhender cette passion hors normes qui s’est emparée d’elle et surtout apprendre à affronter le jugement des autres. Fragile équilibre que celui d’une jeune lesbienne en ces temps où, malgré l’évolution des mœurs, se montrer telle qu’elle est vraiment n’a rien d’une évidence. Julie Maroh, puisant certainement dans sa propre expérience de vie, traduit à merveille les émotions parfois contradictoires qui naissent d’une telle situation et le lent cheminement vers l’acceptation. Son dessin, tout en finesse, renvoie une impression de douceur qui reflète la pureté des sentiments d’Emma et de Clémentine. Avec, en filigrane, une grande fragilité, comme si tout cela était trop beau pour durer.
Davantage encore que les mots, qu’ils soient échangés de vive voix ou confiés à un journal intime, ce sont les silences et les regards qui portent l’histoire et révèlent les pensées. Importance de la gestuelle, également, d’une main qui se tend pour porter secours, se laisse prendre dans l’espoir d’un réconfort, tremble de peur à l’idée de toucher ce corps si longtemps désiré… ou au contraire repousse, rejette et cède à la violence d’une âme révoltée. Car de révolte, il en est aussi question dans ce livre qui ne se contente pas de dépeindre une relation, mais fait également acte d’engagement. Impossible, en effet, d’offrir un tel récit sans parler de la place, délicate, qu’occupe la communauté homosexuelle dans notre société. Et là encore, Julie Maroh opère avec tact, sans lourdeur aucune et jouant la carte de l’évidence des sentiments pour rendre tout aussi évidents les droits qui en découlent. Droit d’être heureux, tout simplement, de mener sa vie comme on l’entend, sans retrouver dans les yeux de son prochain cette surprise qui, nourrie d'incompréhension, peut se transformer en haine.
Triste par moments, passionné toujours, le parcours de Clémentine et Emma se découvre et se déguste avec plaisir, sans empressement. Julie Maroh signe avec Le bleu est une couleur chaude un premier album à la fois intime et engagé, ne cédant jamais au didactisme et défendant de la meilleure des façons la cause de celles et ceux qui s’aiment d’un amour difficile à assumer au grand jour : par une histoire romancée, magnifiquement racontée et illustrée."
- Le blog de Julie Maroh : juliemaroh.com