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Le dernier chant de Magda

Entretien avec Daphné Collignon

Propos recueillis par L. Gianati Interview 14/05/2013 à 15:33 9701 visiteurs
Daphné Collignon fait partie de ces auteurs dont les productions, rares, sont toujours attendues avec impatience. Puiser dans ses propres expériences pour élaborer un scénario est sans aucun doute une chose plutôt banale, mais le faire avec sensibilité et poésie, tout en réclamant au lecteur une totale implication est certainement beaucoup moins courant. Après Cœlacanthes, c'est un autre aspect créatif qui est abordée dans Sirène, moins artistique mais tout aussi touchant et personnel.

Votre première série de bande dessinée, Le Rêve de Pierre, réalisée avec Isabelle Dethan, s’est arrêtée après le premier tome. Quelle expérience avez-vous tirée de cette collaboration et de cette mésaventure ?


Il ne s'agit pas d'une mésaventure !! Mais d'une belle aventure avec Isabelle, arrêtée trop tôt de mon fait. Nous avions effectivement prévu de réaliser plusieurs tomes, mais c'est moi qui ai décidé d'arrêter parce que la technique que j'utilisais était trop lourde et que je n'avais pas assez d'énergie pour poursuivre la série. Je suis très entière et je m'investis à 100% dans mes projets ; j'ai beaucoup appris avec ce livre, j'ai adoré travailler avec Isabelle mais à la fin de l'album, j'étais complètement vidée. Je voulais même arrêter la BD ! Isabelle a été déçue, c'est normal, mais elle a su comprendre mon incapacité à continuer. Et si Cœlacanthes est né après le premier tome du Rêve de Pierre, c'est uniquement parce que mon éditrice d'alors, Valérie Aubin, m'a poussée à écrire une histoire qui me tenait à cœur. Elle m'a dit : "Écoute, propose moi quelque chose et puis tu verras bien ce que tu décides !" J'ai réfléchi, et décidé que si je devais continuer la BD alors je ferai ce que je voulais, quitte à être un peu expérimentale. J'ai eu la chance de pouvoir réaliser Cœlacanthes dans ces conditions.

... et je fais toujours de la BD...

Cœlacanthes comme Sirène touchent à la création, l’une artistique, l’autre divine. Quelle est la part d’autobiographie dans chacun de vos albums ?



Je suppose que chaque auteur pourrait dire comme je vais le faire qu'on parle forcément de soi dans ses histoires, même si elles semblent a priori très éloignées de nos vies. Dans les miennes, il se trouve que les parallèles sont très faciles à faire, mais je ne considère pas pour autant mes histoires comme des autobiographies ni mes personnages comme des avatars. Ils s'imposent, un peu comme des rêves, ils sont là et ils ont envie de sortir. Dans Correspondante de Guerre c'est évidemment autre chose, puisque je parle d'Anne et de moi à la première personne. En utilisant mon ressenti ou mes expériences de vie, je choisis simplement de préciser au lecteur que ce n'est que mon point de vue, que c'est ma vision des choses qu'il lit et rien d'autre. C'est aussi tout simplement ma matière brute à remodeler, à partager.

Ensuite, si j'ai eu envie d'aborder la création sous les deux aspects que vous mentionnez, c'est parce que pour moi ils sont indissociables. La création, qu'elle prenne la forme d'un dessin, d'une musique, d'un choix ou d'une vie, s'exerce en dehors de nous et c'est en cela que pour moi elle fait sens. Elle est l'expression tangible de quelque chose que nous ne maîtrisons pas, et qui nous transforme parfois. Ça n'a rien de magique, et Magda ne vit d'ailleurs ni l'un ni l'autre comme des bénédictions – au départ en tous cas. Elle n'est même pas consciente de cette part de transcendance en elle. Elle la subit complétement. Elle n'a pas demandé à être mère, elle chante parce qu'elle n'a pas le choix et cela la détruit. C'est lorsqu'elle cesse de lutter contre la vie qui est en elle, sous toutes ces formes, qu'elle peut vivre pleinement la dimension verticale que peut receler la création et qu'elle peut réellement, concrètement changer.


Comment construisez-vous vos récits de façon à ne pas égarer certains lecteurs qui auraient du mal à pénétrer votre imaginaire ? Est-ce une crainte pour vous ?

Ma crainte serait de ne pas être comprise par le lectorat auquel je m'adresse. Quand on décide de publier un livre, on choisit de partager quelque chose avec d'autres, mais on n'est pas obligé, je pense, de partager absolument à chaque fois avec tout le monde. Je pense que le rôle d'un “artiste” peut être celui d'un bon divertisseur, mais il peut aussi faire réfléchir les autres et/ou ouvrir des chemins. Cela a, de tous temps, été le rôle de l'artiste dans une société.

Parfois, je crois que la réflexion peut être lancée par quelque chose qu'on ne comprend pas, qui déstabilise, qui perturbe. C'est bien sûr moins ludique, ça n'est pas divertissant, mais ça peut être important quand même. Il me semble donc que lorsqu'on se lance dans une histoire, il est nécessaire de déterminer en premier lieu à qui on s'adresse et pour quelles raisons. Et si ces choses sont claires il reste quand même une crainte ! C'est que ça ne marche pas auprès de ces gens à qui on a envie de parler.


J'ai réalisé des albums pour des publics très différents, et en ce qui concerne Cœlacanthes, j'ai surtout cherché à écrire pour les fans de Lynch et d'histoires à tiroirs comme moi, pour les lecteurs de poésie contemporaine et un public assez restreint, sans doute, mais qui était celui à qui j'avais envie de m'adresser à ce moment-là. Sirène est plus linéaire, plus facile d'accès, parce que le thème est plus universel je pense, et que j'avais envie d'être lue par un public plus large. J'ai donc essayé de choisir un vocabulaire narratif adéquat. L'avenir dira si j'ai réussi ou non. (sourire)


Ce projet a-t-il trouvé d’emblée son éditeur ?


Le projet s'est construit avec l'éditeur ; j'ai été contactée par Lucien Rollin qui travaillait sur la collection "Sorcière" qu'il avait créée chez Dupuis avec Virginie Greiner. Il m'a proposé un album dans cette collection, j'ai été séduite et on m'a donné ma chance. J'ai ensuite beaucoup travaillé avec Louis-Antoine Dujardin sur mon scénario. L'un et l'autre connaissaient mon travail et me faisaient confiance. C'est un luxe de travailler de cette façon et je leur en suis très reconnaissante à tous les deux.



Était-ce important pour vous de situer cette histoire au Maroc ?

Oui. J'avais très envie de montrer le Maroc, et de faire vivre mon histoire dans ce pays. Le père de ma fille est marocain, et j'y ai passé plusieurs années très fortes. C'est mon pays de cœur, sur tous les plans, et j'avais envie de partager un peu de cela avec les lecteurs. Cela me permettait aussi de parler un peu de la culture arabe, même si elle n'est pas au cœur du livre, et du rapport entre le divin et l'écriture dans la calligraphie arabe.


Dans Sirène, de nombreux textes jalonnent le récit. Sont-ils venus au fur et à mesure compléter l’histoire ou sont-ils à la base du scénario que vous avez écrit ?

L'écriture de Sirène a été un peu particulière. L'album a traversé trois années de ma vie, et beaucoup d'évènements (dont la naissance de ma fille, qui n'était pas d'actualité quand j'ai commencé à écrire le scénario) m'ont permis de mieux comprendre mes personnages et ce que je voulais leur faire exprimer. Et ce que je voulais dire moi aussi ! Je n'aime pas que tout soit fixé dès le départ, j'aime que mon album me suive et se nourrisse de ma vie, comme je me nourris de lui. En cela il est forcément proche de ce que je suis, mais ce rapport est à double sens. C'est une interaction, un mouvement. D'habitude je ne mets qu'un an, un an et demi pour faire un album, celui-ci a été plus long. Au final j'en suis heureuse parce qu'il a plus de densité, et que les textes qui accompagnent le récit ont pu être retouchés, voire réécrits, au fur et à mesure que l'histoire prenait forme.


Magda, héroïne de Sirène, est également le prénom de l’un des personnages de Cœlacanthes. Est-ce le seul point commun des deux jeunes femmes ?

Il y a évidemment beaucoup de points communs entre ces deux femmes. Pour moi Sirène est le troisième et dernier volet de Cœlacanthes, c'est la “pièce manquante” et la fin de la boucle.


Cœlacanthes, vagues, sirène…, le thème de l’eau est omniprésent…

Eh bien euh, oui, l'eau est omniprésente ! J'aime l'océan, j'adore l'eau, la dessiner aussi, et c'est un univers qui porte en lui l'essence des thèmes que j'aborde : la création, la gestation, la métamorphose, le mouvement, le passage, le rêve, les créatures fantastiques... La symbolique de l'eau est très forte et c'est un élément qui m'a permis d'exprimer beaucoup de choses par sa (non)forme et ses symboles.


Accepter d’être mère, c’est rejeter forcément l’adolescente qui est en soi ?

Certaines femmes deviennent mères adolescentes, et elles en sont très heureuses et épanouies ! D'autres vivent la maternité comme une prison et un fardeau, mais je ne suis pas sûre que ça ait beaucoup à voir avec la “période adolescente” qui est en nous. Je pense en revanche qu'on ne peut pas être en paix si l'on rejette une partie de soi. Cela revient forcément nous hanter et essayer de prendre une place dans le présent.

Magda n'a que la trentaine, mais elle a déjà eu plusieurs vies et elle ne les accepte pas toutes. On a plutôt l'impression qu'elle avance à l'aveugle, cachetant chaque ancienne vie sans vraiment parvenir à s'en débarrasser. Dans ce cas, devenir maman, c'est un peu compliqué ! Elle ne sait pas qui elle est, ce qu'elle veut, ce qu'elle va transmettre. Sans parler de son amant. Et puis un enfant, c'est une autre part de soi, destinée à s'échapper et à prendre sa propre autonomie.

L'adolescence est un passage compliqué : le corps change, la place qu'on occupe dans le monde aussi, on ressent beaucoup de nouvelles choses et très fort ; on appréhende les autres avec une volonté d'être “soi” (sans vraiment savoir ce que ça veut dire). Avoir un bébé est, d'une certaine manière, une autre adolescence, où tous ces aspects sont touchés. Sauf qu'au lieu de se détacher de l'enfance, on devient parent.


Comment votre dessin a-t-il évolué depuis le premier tome du Rêve de Pierre ? Quelles techniques utilisez-vous ?

Au début je travaillais à la peinture et j'encrais mes planches. Aujourd'hui, de plus en plus, je passe par le numérique – voire, je dessine directement à la palette graphique. J'ai évolué au fil des ans avec les différentes options technologiques qui s'offraient à moi et l'envie d'aller plus vite dans la narration.

J'aime beaucoup mixer différents supports, croquis, dessins, peinture, ordinateur, photos... C'est venu en lisant Cages de Dave McKean, notamment, et des Bds américaines. J'aime aussi beaucoup certains carnets de voyages (Peter Beard), pas forcément connus, mais très sensibles, et plein de créativité. Le travail d'Annette Messager me touche beaucoup. J'adore la narration de Lynch, de Terrence Malick ou de Jacques Audiard. Ce sont des sources d'inspiration narratives et graphiques qui me donnent envie de tester des choses ou me font voir le monde différemment. Le voyage aussi, bien sûr ; le Maroc a été un vrai choc visuel et sensuel. Aujourd'hui j'ai envie d'aller plus dans des aplats de couleur, peut-être carrément dans des choses un peu flashy, mais ça... je n'ai pas encore réussi...


Quelle est la place de la femme aujourd’hui au Maroc ?


Je ne suis pas la plus à même de répondre à cette question, je ne suis pas sociologue !! Et ce n'est pas vraiment le sujet de ma BD. Magda est une femme qui s'est implantée au Maroc et qui y vit mais elle n'est pas marocaine, ce qui lui permet certains choix et beaucoup de liberté. Je ne pourrai pas donner un avis sur la place de la femme au Maroc, parce que je n'y vis plus depuis deux ans, et que mon propos n'est pas là...

Mais je pourrais vous répondre quand même que le code réformé de la famille a beaucoup fait évoluer la condition de la femme, même si les inégalités sociales hommes/femmes restent très importantes, surtout au regard d'une société occidentale. A côté de ça, j'ai rencontré beaucoup de femmes marocaines, jeunes et moins jeunes, heureuses et ne fantasmant pas l'occident (voire nous plaignant!). J'aurais du mal à en parler avec justesse.


Que retenez-vous de l’expérience vécue avec Anne Nivat dans Correspondante de Guerre ?


Une expérience de travail très forte, que ce soit avec Anne, qui a donné beaucoup d'elle-même dans ce livre, ou avec la directrice de collection qui s'est occupée de ce projet. Je n'ai en revanche pas de nouvelles de la maison d'édition ni de la collection qui avait été monté avec "Reporters Sans Frontières" ; nous devions être le premier opus d'une série de collaborations dessinateur/reporter mais il semble que notre album sera le seul.


Anne est quelqu'un de très généreux, et j'ai été très enrichie de cette rencontre. Je suis fière de ce livre ! Et puis je vivais mes premières années au Maroc en parallèle, c'est une période qui a beaucoup compté dans ma vie. 


Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet, les grands reportages en zone de guerre ou la femme journaliste ?

Sa démarche en tant que reporter de guerre, comme nous l'avons souligné dans le livre. C'est d'ailleurs, je pense, plus ou moins le fil rouge de la narration.

Je lis plutôt de la fiction ou des ouvrages de sciences humaines, je regarde très peu de reportages. En revanche, j'ai été vraiment conquise par l'expérience de vie et la démarche d'Anne. Plus que la femme journaliste, c'est la femme tout court qui m'a fascinée et séduite. Je suis en plein accord avec sa démarche et sa capacité à “surfer entre les mondes”, comme elle dit, me trouble. C'est une expérience qu'énormément de gens traversent sans pouvoir forcément, comme elle, retrouver un “chez-eux” ou s'en sortir indemnes. Elle le sait et c'est de cela qu'elle parle, en permanence. Elle parle des gens et de la vie de ces gens dans la guerre. Alors j'ai eu envie de parler d'elle et d'elle dans la guerre.

Peintre, illustratrice, auteure, professeure… Comment partagez-vous vos différentes activités ?


Je ne fais plus de peinture depuis un moment. En fait les choses vont, viennent, en fonction de ce que je vis, des opportunités et de l'inspiration ! Parfois je n'ai qu'une seule activité, en ce moment je cumule plusieurs casquettes. Dans six mois je ne sais pas ! (des vacances, avec un peu de chance)

Vous dites sur votre blog : « Je fais de la bande dessinée en attendant... De nouveaux horizons... ». Où en êtes-vous de vos explorations ? (sourire)


Pour le moment j'explore surtout le monde des bébés, voyez-vous !! Avec une petite fille d'un an et demi on est très pris. Ça monopolise beaucoup d'énergie et c'est de l'aventure en permanence !! C'est de la vie ! Ça remet aussi pas mal de choses à leur place, ça permet de faire un petit point et de mieux savoir ce qu'on a envie de faire. J'attends qu'elle grandisse un peu et on refait nos valises.

Je suis par ailleurs en train de me former pour devenir art-thérapeute, c'est très nouveau aussi. C'est une approche de la création très différente de celle que je pratique ou ai pratiqué (de toutes façons ce n'est pas moi qui suis censée pratiquer ! ), et ça remet beaucoup de choses en questions. En tous cas, ça permet de toucher les gens d'une façon encore différente et de, peut-être, les aider un peu.

Quels sont vos projets de bande dessinée ?

J'ai pour le moment 2 projets en cours.

Un très beau projet chez Glénat avec Virginie Greiner au scénario. Nous adaptons une partie de l'autobiographie de Clara Malraux - c'est à dire que Virginie adapte et que je dessine (sourire) - en noir et blanc, pour changer, et avec beaucoup de pages !

Un album avec Chantal Van Den Heuvel au scénario chez le Lombard qui promet également d'être très excitant à réaliser ; c'est une histoire actuelle sur des femmes d'aujourd'hui, de mon âge, leur vie, leurs soucis, leurs joies... Le ton est drôle et léger et ça me plait beaucoup de m'essayer à ce registre.

J'ai aussi une collaboration, à laquelle je tiens beaucoup, qui j'espère se concrétisera bientôt... Bref, je ne m'ennuie pas.


Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Sirène

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