Travailler dans un atelier est-il l'une des solutions pour faire face à la crise ? L'avis de Clément Baloup.
En ce moment en France, il y a beaucoup de débats sur la crise dans la bédé, notamment en ce qui concerne la situation des auteurs. Est-ce qu'on peut te demander comment, toi, tu vis de la bédé ? En dehors des albums, est-ce que tu fais d'autres choses, des illustrations, des ateliers...
Alors, on pourrait dire comment je vis mal de la bédé (rires)...
Est-ce que tu pourrais nous faire une sorte de témoignage sur le statut de l'auteur bédé, même si tu es sur un créneau particulier.
Je pense qu'il y a des choses à dire. Déjà, je suis très content de faire de la bande dessinée et d'avoir des éditeurs qui me suivent. Je sais que j'ai de la chance de pouvoir m'exprimer par mes moyens artistiques de prédilection. Au sujet du statut d'auteur, il y a un gros problème qui concerne la vie au quotidien. C'est très dur de s'en sortir en faisant de la bédé, peut-être parce qu'il y a un désintérêt pour le statut de l'auteur de bédé. Et je pense que c'est l'intérêt de pas mal de gens de ne pas s'en préoccuper. On est un peu dans un système de capitalisme sauvage. Tu vends, tu vis et si tu ne vends pas, tu fais autre chose. Voilà, c'est assez cruel. Personnellement, je suis au Zarmatelier, un regroupement d'auteurs et on est solidaires entre nous. On s'aide.
Vous avez créé une agence, la Drawing Agency...
Non, en fait, la Drawing Agency, c'est un ami du Zarmatelier qui a créé sa structure, vraiment commerciale, à côté. C'est une agence. Le Zarmatelier est partenaire de cette agence, mais il reste une entité à part. Il reste une association à but d'entraide et de promotion de la bande dessinée. Le fait d'être inscrit dans cet atelier apporte pas mal de choses. Déjà, on se soutient. Ensuite, à côté, on doit aussi citer le SNAC (Groupement des Auteurs de Bande dessinée) qui permet de faire face, grâce à ses conseils et ses actions, à certaines situations délicates. Tout ça, c'est les bons points, les ateliers et le syndicat.
Mais c'est vrai qu'il n'y a aucun système logique, qui pourrait ressembler à ce qu'ont les intermittents du spectacle. Il n'y aucune logique à ce qu'il y ait quelque chose pour eux ou pour les gens de la télé, et qu'il n'y ait rien, pas de filet, pour les auteurs de bédé. Si on parle en termes de production, d'argent qui rentre, c'est incohérent. D'ailleurs, en Belgique, ils ont je crois une espèce de système comme les intermittents du spectacle, pour les auteurs de bande dessinée. C'est bien la preuve que c'est totalement possible.
C'est très dur. Je n'ai pas trop envie de taper sur les éditeurs, car on est bien content, nous auteurs, qu'il y en ait, mais c'est vrai qu'ils profitent aussi de ce flou dans lequel on est, pour faire jouer la concurrence, baisser les tarifs. Il y a une logique assez triste et assez dure.
Personnellement, je suis obligé de jongler entre plusieurs activités pour joindre les deux bouts. Je suis aussi illustrateur, pas du tout pour des livres d'illustrations, mais plutôt pour des commandes, pour des agences, des grands groupes, pour de la communication interne, pour de la publicité. Là, c'est vraiment des boulots de commande. C'est très bien parce que ça permet de rester dans le dessin, même si je ne vois pas ça vraiment comme quelque chose d'artistique. Généralement, ça peut être relativement bien payé.
Et enfin, ma troisième activité, c'est une activité plus d'éducation autour de la bédé ou du dessin. Je donne des cours dans une école privée, Axe Sud à Marseille, du type Arts Appliqués. J'interviens aussi régulièrement à travers des ateliers ou des conférences. J'ai eu l'occasion d'en faire à New-York, à Cincinnati, à Singapour et en Indonésie. En ce moment, je suis à Taïwan. C'est ponctuel, mais en le faisant régulièrement, ça devient une vraie activité. Je rencontre des étudiants, soit sur la partie purement dessin, soit sur la partie plus écriture, sur les techniques autour de la bédé, de manière un peu plus ouverte.
Voilà, je jongle entre ces trois activités. Cela me fait des plannings assez chargés.
Qu'est-ce que t'apporte la vie en atelier ?
Il y a une logique dans l'atelier - que tout le monde ne respecte pas toujours - mais on essaie de faire en sorte qu'on ait vraiment un côté entraide. L'idée : si l'un d'entre nous a trop de travail à l'atelier, il délègue, il fait passer le boulot. Ça peut être une commande d'agence, ça peut être une commande d'un studio de dessin animé, ou d'un magazine, aux camarades qui ont moins de boulot. On fonctionne un peu comme une agence en fait, mais celui qui reçoit la commande et la refile aux autres ne prend pas de commission. On a vraiment un système d'entraide comme ça. Ça c'est pour les commandes d'illustrations.
Ensuite, sur la bande dessinée, au niveau pratique, comme on travaille tous avec des éditeurs différents, on se donne les contacts, on se présente grâce à untel de l'atelier à tel éditeur. Les gens savent que si on est au Zarmatelier, on est plutôt sérieux. Ils peuvent tracer l'historique des différents auteurs. On commence à avoir une petite réputation.
En ce moment, il y a qui, d'ailleurs, au Zarmatelier ?
Il y a Richard Di Martino, Domas, Bruno Bessadi, Eddy Vaccaro, Christophe Alliel et Mathilde Domecq, qui était sélectionnée cette année pour le meilleur album jeunesse d'Angoulême. Je tenais à la préciser, car on est un peu fier d'elle. Après, on a encore deux personnes qui ne sont pas dans la bédé en ce moment, mais qui en ont fait. On a Julien Hyppolite (Julien Cordier), qui avait fait un album avec Lisa Mandel, L'île du professeur mémé, et qui en ce moment est plutôt dans l'illustration. Renaud Garcia avait fait des bédés plutôt commerciales sur le Tour de France, et travaille maintenant sur commande ou sur du dessin animé. Ça nous permet d'avoir des fenêtres sur autre chose que de la bédé.
Il y a également une émulation entre les auteurs, en plus de ne pas rester seuls. On se montre nos boulots, on se corrige nos boulots les uns les autres. On s'aide quand on est bloqué, on se donne des envies les uns les autres. Il y a vraiment une communication au niveau du travail, du dessin, des planches, des histoires. Parfois, il y en a un qui vient et qui dit "mais non, ça va pas du tout ce que tu as fait, tu ne vas pas laisser ça comme ça", "ben si", et là il appelle les autres et les autres font "non, vraiment, ça ressemble à rien", et sous la pression, on améliore les planches. Ça va aussi dans l'autre sens, des fois, on est un peu maniaque aussi. On est en train de faire un dessin depuis trois jours. Les autres viennent et "tu sais les lecteurs, ils vont y passer style une seconde à la regarder, donc tu peux peut-être t'arrêter là", donc voilà, ça va dans les deux sens. Mais généralement, c'est quand même au service de la qualité de l'album.
Ce qui est très intéressant, c'est qu'on a des styles très différents. Moi, par exemple, je me sens plus proche d'Eddy Vaccaro, qui fait Championzé chez Futuropolis. On a fait aussi Le club du suicide ensemble chez Noctambule. Et par exemple, Bruno Bessadi, qui fait Zorn et Dina, et plus récemment Bad Ass, il est dans un univers très éloigné. A priori, il déteste ce qu'on fait, mais ce n'est qu'une façade. (Rires). Non, il fait semblant de nous détester, mais il nous aime bien, et quand on ne le regarde pas, il regarde ce qu'on fait. (Rires). Personnellement, je lis ce que fais Bruno avec intérêt, car il y a un côté comix que j'aime bien.
Du coup, on a souvent des regards de gens très différents, qui ne sont pas du tout complaisants. Comme on est presque dans des opposés de la bande dessinée, c'est d'autant plus intéressant d'avoir ce regard. Parce que quand ça marche pour quelqu'un dont ce n'est pas a priori le style qu'il aime, c'est que ça marche vraiment. Et c'est bien, il y a beaucoup d'échanges. Avant, j'ai été dans des ateliers où l'on était tous sur la même longueur d'onde, mais trop. Et au bout d'un moment, on s'enferme un peu trop dans une certaine conception. J'étais dans des ateliers alternatifs et au bout d'un moment, on perd pied. Je pense que c'est pareil pour des gars qui ne feraient que de l'Heroic Fantasy : au bout d'un moment, ils ne se rendent plus compte de ce qu'ils font. Enfin, je ne veux pas être méchant, mais ça se voit. Donc là, c'est bien, on se mélange, on se critique, on se vanne.