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En passant par Taipei 2/5

De l'intérêt d'une BD documentaire

Propos recueillis par D. Baran Interview 23/04/2013 à 10:30 4850 visiteurs

Suite de l'entretien de Clément Baloup dans laquelle l'auteur évoque notamment ses influences et ses motivations relatives à la bande dessinée documentaire. 

Il y a en ce moment une sorte de vague de bédés documentaires, le terme devient à la mode...

Oui mais j'ai envie de dire que je me sens un petit peu étranger à cette mode. J'ai commencé ma première bédé, dans ce style qui n'avait pas encore d'étiquette, avec Un automne à Hanoï en 2004.

Oui, tu étais là avant que ça ne devienne un courant. 

Oui, mais le précurseur reste Joe Sacco.

C'est une grande influence pour toi ?

Alors, c'est amusant. Ma plus grosse influence, c'est plutôt La guerre d'Alan, d'Emmanuel Guibert, à L'Association.

En terme graphique ou pour un autre aspect ?

Au niveau du sentiment qui s'en dégage. Parce que c'est aussi un témoignage. Il y a un sentiment de sincérité et de proximité. C'est très proche de  l'homme, enfin, du protagoniste ; très sensible et très  précis aussi, même si ça n'a pas non plus une valeur documentaire (les lieux, les dates, etc).

A la fin des années 90, j'ai découvert et appris à aimer le travail de Joe  Sacco, au fur et à mesure.  Ses créations, celles de Guibert et de quelques autres m'ont aidé à aller dans la  direction que je souhaitais. En 2004, j'ai donc commencé  cette espèce de démarche sur l'histoire "France-Vietnam", la guerre, etc. C'est un thème assez large.

Qu'apporte la bédé par rapport à un simple documentaire, qu'il soit écrit ou filmé ?

Justement, c'est exactement ce que j'ai découvert en lisant les bédés de Guibert, donc La guerre d'Alan et ensuite Le photographe. Dans la bande dessinée, il y a déjà une distance, qui est évidente parce que c'est du dessin. On ne cherche pas à se demander si c'est la  réalité ou pas, c'est du dessin. Avec tout ce que ça permet de poésie avec, en bédé, le recours à l'ellipse aussi. On n'est  pas obligé de tout montrer, de tout raconter. Pourtant, les sentiments, les  informations passent quand même. Il y a tout de suite une distance qui fait qu'on n'est pas dans la réalité. On ne cherche pas à nous faire croire que c'est la réalité toute crue. Par contre, au fur et à mesure de la lecture, on a aussi cette sorte de proximité. On s'approprie la vie de ces personnages, on s'identifie, et du coup, le côté réaliste revient, comme par un moyen détourné. Par ce biais, on peut voir des choses horribles en dessin. On feuillette rapidement, le dessin n'est pas choquant en soi, pas comme une photo ou une vidéo. C'est souvent des parcours durs, avec des épreuves. Et quand on le lit, ce qui se passe, c'est que j'ai l'impression que ça reste plus profondément inscrit dans l'esprit du lecteur une fois le bouquin refermé, comme une présence. J'ai l'impression qu'il y a une âme qui reste. Je ne dis pas qu'il n'y a pas ça avec les documentaires photos ou vidéos. Mais dès que l'image s'arrête dans la photo ou la vidéo, on coupe. Alors que la bédé a, à mon sens, une prégnance un peu plus grande. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais c'est ce qui est pour moi le point essentiel.

Penses-tu qu'il est réellement possible de faire ce travail de bédé documentaire sur un sujet d'actualité ? En réaction quasiment directe, temps réel ?

Ça c'est une grande question qui se pose en ce moment. Comme la bédé documentaire, ou le Comics Journalism, se développe très fort, il y a des tentatives. On m'a contacté justement pour un projet pour lequel il faut réagir sur l'actualité. Je ne vais pas y participer, mais on peut en parler. Ça va se passer chez La boîte à bulles avec Amnesty International pour aborder des sujets d'actualité brûlants, des gens dont on bafoue les droits fondamentaux. Il va y avoir des bandes dessinées qui vont parler de certains cas sur lesquels Amnesty travaille. Mais là, moi, j'ai décliné. En fait, ça me prend beaucoup de temps de réaliser le bouquin. D'abord, je fais les recherches, ensuite je rentre chez moi, j'essaie d'avoir une véritable structure de bande dessinée, une structure qu'on peut retrouver dans les fictions, de construire une narration propre à une histoire en bédé. Et ensuite, je fais les planches. Ce qui me prend un temps fou. Trois ans pour Little Saigon, au total. Donc j'ai du mal à réagir comme ça, à vif, sur l'actualité.

Mais je sais qu'il y en a qui sont dans cette optique-là, qui vont chercher ce genre de rapport qui demande un vrai travail de réflexion : comment vont être faits les scénarios ? quel style de dessin adopter ?

D'ailleurs, il y a la Revue dessinée qui commence la prescription des abonnements. Une de mes histoires y sera publiée. Je sais qu'eux vont explorer toutes ces pistes. Je suis attentif, mais je n'ai pas encore toutes les réponses. Moi, j'ai besoin de pas mal de temps pour faire mes bouquins.

Après, il y a des choses qui reviennent car l'actualité est cyclique. Un journaliste serait plus en mesure d'en parler. En ce moment, je travaille sur un scénario de fiction au Lombard, avec Christophe Alliel, un camarade du Zarmatelier : Le ventre de la hyène. C'est une fiction, mais la base est une histoire à propos du "printemps arabe", aux guerres en Afrique. J'ai essayé de trouver des choses qui revenaient de décennie en décennie puis j'ai commencé à écrire cette histoire qu'Alliel commence à peine à dessiner. Et à ce moment, il y a la guerre qui a été déclenchée au Mali, où pourrait se dérouler notre histoire.  Je ne sais pas où en sera la guerre au Mali quand le bouquin sortira mais, pour ce scénario de fiction, l'actualité nous a rattrapés..  Il y a peut-être aussi des choses comme ça, dans l'actualité, qui reviennent  régulièrement, malheureusement. Et mon travail, je l'inscris plus dans cette permanence des rapports humains et politiques que sur le vif, sur un événement précis.





Propos recueillis par D. Baran

Information sur l'album

Mémoires de Viet Kieu
2. Little Saïgon

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