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En passant par Taipei 1/5

De la conception d'une BD Documentaire

Propos recueillis par D. Baran Interview 08/04/2013 à 10:44 5905 visiteurs
Alors que la bande dessinée documentaire explose sur le devant de la scène, BDGest est allé à la rencontre de l'un de ses précurseurs en France. C'est à Taïwan, sur ses nouvelles terres de recherches, que Clément Baloup, l'auteur des Mémoires de Viet Kieu, a répondu à quelques questions. Première partie d'un entretien qui évoque ses méthodes de conception et de recueil de témoignages.







Bonjour Clément. Tout d'abord, quelle est la raison de ta présence à Taïwan ?


Clément Baloup : Bonjour.

Je suis ici afin de faire des recherches pour un prochain projet de bande dessinée. C'est la raison principale de ma présence. À l'image de ce que j'ai fait dans Little Saigon, je suis venu pour effectuer des rencontres, des entretiens, concernant les conditions de vie de la diaspora vietnamienne à Taïwan.

Il n'y a pas que ça. Je dois dire que si je suis ici, à cette période précise, fin janvier début février, c'est aussi en raison du très gros festival du livre de Taïwan, le TIBE (Taipei International Book Exhibition). Je suis, avec d'autres auteurs littéraires français, invité par le Bureau Français de Taipei pour être présent au pavillon France du festival.

Commençons par une question très ouverte. Dans la pratique, dans ton travail de recherche, comment fonctionnes-tu pour tout ce qui est recherche de financements, contacts, recoupement, vérification ?

C.B. : C'est une vaste question ! On va commencer par le sujet qui est l'histoire. Il y a deux éléments qui sont très importants. D'abord, la parole des gens que je rencontre. Ce sont des entretiens. Je rencontre des gens qui ont vécu certains épisodes de l'histoire avec un grand H et qui me racontent leur histoire à eux, leur histoire personnelle. Je me base sur leur récit. Ensuite, comme leur parcours est en rapport avec l'histoire avec un grand H, ou en est une conséquence directe, je fais aussi beaucoup de recherches. Dans des livres ou dans des archives. Par exemple les archives d'Aix-en-Provence où se trouve tout ce qui est consigné sur les anciennes colonies de la France. Il y aussi un travail plus proche de la documentation universitaire. Grâce à des contacts, des liens, que j'ai pu créer avec des gens qui peuvent être aussi bien des historiens ou des journalistes spécialisés. Ou encore, plus récemment et plus précisément, avec une personne de l'INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales ou Langues O'), qui est spécialiste de la question vietnamienne. C'est la personne qui a fait la préface de Little Saigon et qui s'appelle Dominique Roland.

Toutes ces recherches, livresques ou universitaires, viennent en plus des témoignages que j'enregistre, que je récupère. Il y a un côté très vivant, la parole des gens, et il y a un côté universitaire, pour être sûr de ne pas avoir un propos naïf et être bien au courant des questions que j'aborde. Ça, c'est pour le fond.

Parlons du financement. La partie "éditeur" te suffit-elle pour mener ces recherches ?


C.B. : Ce sont des projets qui effectivement coûtent beaucoup d'argent. Enfin, par rapport à toute production audiovisuelle, c'est peanuts, mais par rapport à un projet bédé, ça demande plus de financement. Sur le projet de recherche à Taïwan, il y a plusieurs organismes qui sont impliqués et il y a un éditeur français, la Boîte à Bulles. C'est mon éditeur traditionnel avec qui j'ai déjà fait tous mes bouquins "personnels".

Et qui est une très bonne maison d'édition...


C.B. : Oui, on peut le dire. C'est une très bonne maison d'édition, très engagée, qui prend chaque année un peu plus de poids, et qui a une ligne de plus en plus affirmée, très sincère. Je me sens très bien chez eux.

Ensuite, dans le cadre précis de Taïwan, j'ai reçu le soutien des Missions Stendhal. C'est l'Institut Français, une émanation du Ministère des Affaires étrangères, qui va choisir chaque année parmi des projets qu'on lui présente, des lauréats pour un projet d'écriture. En l'occurrence, là, l'écriture d'une bande dessinée. J'ai donc le soutien des Missions Stendhal. Et comme c'est le Ministère des Affaires étrangères, ils font le lien avec le Bureau Français de Taipei. Et du coup, je suis aussi soutenu logistiquement par le bureau culturel français.

Tu parlais de témoignages. Est-il facile, par rapport à la diaspora vietnamienne, de trouver des gens de par le monde ? Ou est-ce que la plus grosse difficulté, quand tu arrives dans un endroit, est de nouer des contacts, de rencontrer des gens, de trouver untel qui va te dire qu'il en connaît un autre ?


C.B. : Alors là, je viens à peine d'arriver à Taïwan, donc je ne peux pas moi-même prévoir comment ça va se passer. Par contre, je peux parler des États-Unis où je suis resté un petit moment pour Little Saigon. Aux États-Unis, j'avais un programme très bien établi. Je l'avais préparé depuis la France. J'avais trouvé des contacts et puis quand je suis arrivé, la première semaine, tout s'est un peu écroulé. Il y a beaucoup d'interviews qui ont été annulées. J'ai dû rebondir. Cela n'a pas été forcément facile ! Les recherches en elle-même ont été une véritable aventure !

Ici à Taïwan, je ne sais pas encore comment ça va se passer. Il y a aussi le caractère du pays qui va jouer. On va voir ce que ça donne. Il faut que je garde en tête qu'il y a des choses qui ne vont pas pouvoir se faire, et que je dois être capable de rebondir.

Pour raconter une anecdote, aux États-Unis, il y a des enfants, enfin de jeunes adultes, les enfants des gens que je devais rencontrer, qui ont interdit à leurs parents de me rencontrer parce qu'ils ne voulaient pas remuer un passé qui pourrait être douloureux ou polémique. Alors que les parents voulaient réellement parler, raconter leur histoire, sur la guerre du Vietnam, sur ce qu'ils avaient vécu. Mais ils ont cédé uniquement pour faire plaisir à leurs enfants, qui eux n'ont pas vécu ce qu'ont vécu leurs parents, mais qui ont jugé que c'était politiquement incorrect.

Justement, compte tenu de la gravité du sujet, est-ce qu'il est facile de faire témoigner les gens ?


C.B. : Ça dépend. Oui et non. Oui parce qu'il y a beaucoup de gens qui ont vécu des épisodes très difficiles et qui n'ont pas l'occasion d'en parler. C'est vrai qu'il y a un petit côté catharsis, où les gens que je rencontre ont enfin l'occasion de parler à quelqu'un. En plus, moi, je suis relativement neutre, je ne cherche pas à faire du sensationnalisme. Les gens voient mon travail, ils sont en confiance, et ça leur permet de raconter une histoire alors qu'il n'y a pas beaucoup d'ouverture, dans leur vie de tous les jours, pour en parler. Là, on va dire que le contact se fait facilement, l'échange se fait bien. Alors, ça peut être très émouvant parce que ça remue des choses dures, mais ça se fait facilement.

Et au contraire, il y a des gens pour qui c'est trop dur, ils ne peuvent pas du tout l'évoquer parce que c'est trop dur. Là, je n'essaie pas d'aller plus loin, je ne suis pas là non plus pour terroriser psychologiquement les gens. Et il y a encore un autre cas de figure. C'est la situation où je suis le moins à l'aise, et qui arrive régulièrement. Il y a des personnes qui ont une lecture orientée de ce qu'ils ont vécu. S'ils ont vécu ça, ça justifie à leurs yeux qu'un camp va être le camp des gentils et l'autre le camp des méchants. Et donc, ils sont dans une revendication partisane. Ils veulent bien me parler de certains éléments, mais rapidement, cela devient très orienté, ils ne sont plus vraiment objectifs. Du coup, quand je vais poser quelques questions pour resituer les choses, la conversation se bloque. Les gens qui ont une vision très orientée ont une mémoire sélective. Ils ne se souviennent que des éléments qui vont dans la droite ligne de leur opinion. Or, moi, comme j'essaie d'avoir une vision un peu globale, je ne peux pas ne pas poser certaines questions pour savoir s'ils étaient au courant à l'époque de telle chose, de telle autre, de ce qui s'est passé ici, de ce qui s'est passé là-bas. Et ça coince très vite en général. J'essaie de ne pas mettre les gens en porte-à-faux, je ne veux pas les convaincre qu'ils ont tort ou les encourager en leur disant qu'ils ont raison dans leur opinion politique. Donc souvent, on arrête là et je n'insiste pas.

Est-ce que les gens sont plus dans une démarche de témoignage, pour parler, ou est-ce qu'ils attendent aussi de savoir ce que tu vas en faire ? Est-ce que tu as beaucoup de retours après coup, ou est-ce qu'ils oublient ?

C.B. : Cela dépend un peu de la personnalité de chacun. Il y a des gens qui veulent juste raconter leur histoire, et ça leur fait du bien de lire, de voir que, par mon biais, leur histoire va devenir un message, que ça va être quelque chose de plus large. Mais c'est vrai qu'une fois qu'ils m'ont parlé, ils ne s'intéressent plus du tout à ce que je vais en faire après. De toute façon, quand j'ai fini mon travail, je leur envoie toujours. Même si ça prend du temps, j'envoie les planches des gens qui sont concernés pour savoir s'ils valident ou pas la mise en histoire que j'ai faite de leur histoire. En leur expliquant aussi qu'il y a toujours une déformation par le filtre de la bande dessinée. Il y a des passages qui sont réécrits, même si j'essaie d'être le plus honnête possible. Ce n'est pas la réalité, c'est une bédé. Donc je leur envoie toujours. Mais c'est vrai qu'il y en a qui sont complètement désintéressés. Alors, c'est important pour eux qu'on raconte leur histoire, qu'on transmette leur message, mais voilà, étrangement, après, ils s'en détachent.

Après, il y a d'autres personnes. Je me souviens d'un monsieur dont je raconte, dans Quitter Saigon, le périple en mer sur une espèce de barge, quand il est enfant. Ce monsieur, lui, c'était fou, parce qu'il voulait le maximum d'exemplaires possible. Je lui en avais donné plein d'exemplaires. Mais il en a racheté par derrière. Ce qu'il faisait, c'est qu'il les distribuait à tous les membres de sa famille. Pour que tout le monde voit son histoire. Ça, ça fait très plaisir. C'était très chouette. Du coup, il m'a fait faire des tonnes de dédicaces dans les bouquins pour un peu tout le monde autour de lui.

Voilà, les réactions peuvent être très différentes.

Après, il y a un autre cas particulier aussi. C'est l'histoire d'Anh, qu'on voit dans Little Saigon, la première des trois grandes histoires. Anh, elle a été très très belle quand elle était jeune. Ce qui lui a valu de terribles ennuis, comme je le raconte dans Little Saigon. En période de guerre, quand il n'y a plus de lois, qu'il n'y a plus de police, quand les gens sont livrés à eux-mêmes dans des camps, être très belle, ce n'est pas du tout un avantage. Ça devient, ce sont ses mots à elle, ça devient une malédiction. Maintenant, c'est une femme un peu âgée, mais on devine que jeune, elle a été très belle. Alors, elle, quand je lui ai montré les premières images, quand l'histoire était finie, elle m'a dit : "Ah mais non, je ne suis pas assez belle". Il fallait qu'elle soit plus belle. C'est un peu paradoxal, du coup. J'ai fait le maximum d'efforts, avec ce que mon dessin me permet, pour la rendre aussi jolie que possible. Elle, être plus belle, c'était vraiment la préoccupation qu'elle avait, alors qu'être belle à l'époque ne l'avait pas forcément aidé...





Propos recueillis par D. Baran

Information sur l'album

Mémoires de Viet Kieu
2. Little Saïgon

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