Considérez-vous Prométhée comme un tournant dans votre carrière ? Y en a-t-il eu d'autres ?
Christophe Bec : Il y en avait déjà eu auparavant, Sanctuaire en a été un. C’est vrai que Prométhée est la série la plus longue que j’ai réalisée, puisqu’il y aura en tout douze albums. C’est encore un peu tôt pour savoir s’il s’agit d’un véritable tournant dans ma carrière.
Comment construit-on un récit comme celui-ci : on a le point A et le point B, de la documentation, une architecture agencée en époques et on crée un jeu de piste ?
C.B. : Il y a d’abord un concept. Au départ, il m’a été impossible de débarquer chez mon éditeur avec le projet d’une série très longue. Je lui avais donc présenté plusieurs scénarios possibles en trois, six tomes… Quand j’ai vu que j’avais la possibilité d’aller au bout du projet, au moment du tome cinq ou six, j’ai écrit la fin de l’histoire. Aujourd’hui, tout est découpé scène par scène jusqu’à la fin du tome douze. Au début, l’idée principale était un phénomène qui se répète tous les jours à une heure régulière. Ensuite, j’ai cherché à voir ce que je pouvais tirer de ce concept. Très vite, j’ai vu la possibilité de brouiller les pistes. Dans le premier tome, les origines du phénomène pouvaient être attribuées aux Dieux, aux extraterrestres…
Combien de temps a duré la phase de préparation à l’écriture ?
C.B. : L’écriture des douze tomes a duré à peu près trois ans, avec toute la phase de documentation. Je vis avec Prométhée depuis 2005.
Avez-vous déjà livré toute cette trame à votre dessinateur ?
C.B. : Il y a eu aussi plusieurs dessinateurs. Ça a été un peu chaotique. (sourire) C’est Stefano Raffaele qui doit terminer la série et il a aujourd’hui entre les mains toute la trame jusqu’au dernier tome.
Est-il encore facile de trouver des "dossiers secrets", des "affaires non classées" ou autres complots très peu connus du grand public pour s'en inspirer ?
C.B. : L’idée était de parler de quelque chose d’assez confidentiel, d’inconnu du grand public. La zone 51 est quelque chose d’assez connue mais je l’utilise finalement assez peu dans la série. Elle me permet de donner quelques repères au lecteur avant de parler du Blue Beam Project. Dans le prochain album, je vais évoquer le projet Haarp, assez méconnu également.
Quelle fonction donnez-vous à toutes les théories plus ou moins fantaisistes qui ont été relayées au fil des siècles ?
C.B. : C’est très difficile de répondre à ça. Pour quelles raisons apparaît-il, à moment donné, une théorie du complot ? Pourquoi l’homme a-t-il besoin de renier des faits comme, par exemple, ceux du 11 septembre ? Ça doit être dans la nature humaine de remettre en cause même ce que l'on voit. Quand j’ai un peu creusé les différentes théories extraterrestres, je me suis rendu compte que la plupart du temps, elles ne reposaient sur rien et pourtant des centaines de pages ont été écrites. Les personnes censées avoir travaillé là-dessus n’existent pas.
Pour maintenir le suspense sur la base d'évènements ou de mythes universels et amener des révélations au compte-gouttes sans décourager le lecteur sur la durée, il faut donner dans la mécanique de précision...
C.B. : Je ne sais pas si le suspense tient là-dessus. Si suspense il y a, il concerne aussi les cinq ou six personnages de la série. Ce n’est pas vraiment un thriller. Il y a surtout une attente sur qui se cache derrière tout ça. Et finalement, je le révèle assez tôt. Dès le tome sept, on n’a plus trop de doutes. La question est ensuite « Pourquoi ? ».
Le personnage de Kelly Lambert prend au fil des tomes une tout autre dimension…
C.B. : Quand j’ai commencé à écrire Prométhée, j’avais le scénario de trois ou quatre tomes et pas de douze. Ainsi, les personnages manquaient au départ d’un peu de corps, puisqu’ils allaient peut-être disparaître au bout de quelques tomes. C’était alors difficile de les imaginer avec un gros background. Ainsi, ils ont finalement beaucoup évolué. J’ai essayé de les faire gagner en épaisseur, par petites touches. Je n’ai pas fait ça sur tous, mais, par exemple, avec Kelly Lambert. D’autres se sont imposés d’eux-mêmes…
"Ne jamais faire confiance à quelqu’un qui porte une chemise hawaïenne", c’est du vécu ? (sourire)
C.B. : (sourire) Je ne révèlerai pas qui ça concerne mais de toutes façons, je ne pense pas que cette personne lise mes albums.
À partir du cinquième tome, les dessinateurs ne sont plus crédités pour les planches qu'ils réalisent... Vous ne rappelez plus non plus vos sources...
C.B. : Oui, parce que ce sont toujours un peu les mêmes. Il n’y aura pas vraiment d’autres sources utilisées. Si demain je pioche dans un nouvel ouvrage, je le citerai.
Toujours dans ce cinquième tome, on relève le travail de six dessinateurs, chose qui n'a pas été renouvelée : pour quelles raisons ?
C.B. : Au départ c’était vraiment une envie pour ce tome-là. Quand je l’ai écrit, il y avait beaucoup de scènes à différentes époques, dans différents lieux. Qu’un dessinateur traite tel lieu à tel époque a été pour moi une évidence.
Vous ne faites pas de cadeaux aux dessinateurs « survivants ». Les scènes statiques d’explications doivent être un vrai casse-tête pour eux ! (sourire)
C.B. : Oui, ça fait aussi partie du concept de Prométhée. Il y a parfois des explications un peu longues, sans être trop pointues. J’ai parfois quelques réactions de personnes qui trouvent ça chiant et qui me disent qu’ils ne les lisent pas. Les lire n’est pas une obligation. Mais la plupart des gens qui aiment la série prennent au contraire plaisir à lire ces passages. Il y a matière à aller chercher pas mal de choses. On peut aller vérifier la véracité des faits sur internet. Tout a une origine, avérée ou pas. J’essaie de réunir toutes les pièces et de former un tout assez cohérent. Dans la Théorie du 100e Singe, on a une explication presque globale du phénomène. Ensuite, pour les dessinateurs, c’est un véritable challenge d’essayer de ne pas dessiner tout le temps la même chose. J’essaie d’animer ce genre de scènes : un poste de télé allumé, un chien…
Vous aviez prévu une conclusion en quatre tomes à l'origine et récemment, je crois avoir vu que vous envisagiez un 2ème cycle après un 13ème album "spécial"...
C.B. : Ce qui est sûr, c’est que Prométhée se finit en douze tomes. Il y aura peut-être un après sans que ce soit une suite.
L'inspection des fonds marins est une constante dans votre œuvre que Deepwater prison illustre encore : est-ce seulement parce que c'est l’un des espaces les plus mal connus sur Terre ?
C.B. : C’est vrai. C’est l’un des derniers endroits où l’on peut imaginer tout un tas de choses. J’essaie chaque fois de prendre un angle différent. Sanctuaire n’a pas grand-chose à voir avec Carthago. De même, les explorations sous-marines présentes dans Prométhée sont aussi très différentes. Dans cette nouvelle série, Deepwater Prison, on aura encore d’autres ambiances. Enfin, je l’espère. J’adore les extrêmes. (sourire) Pour moi, le macro et le micro sont intimement liés. Le gigantesque peut rejoindre le minuscule.
Le troisième tome de Carthago sort enfin : un soulagement ?
C.B. : (rires) Oui, c’est surtout un soulagement que les choses se passent enfin bien, que les Humanos aient les moyens de mettre en production un projet comme Carthago et que nous ayons trouvé un dessinateur pour continuer.
Quel a été l'accueil réservé à Carthago adventures ? Y aura-t-il d'autres tomes ? N'avez-vous pas envie de faire plancher d'autres auteurs sur ce concept ?
C.B. : Il y a d’abord eu, pour les lecteurs, la déception que ce ne soit pas le troisième tome de Carthago. Il a été diversement reçu, comme tous les albums. L’éditeur m’avait demandé de faire travailler d’autres auteurs sur ce concept, mais j’ai refusé. Carthago, c’est mon truc. Je ne voulais pas non plus inonder le marché de la BD avec cette série. (sourire)
Royal Aubrac est apparue comme une parenthèse originale dans votre œuvre : aucun "thrill", aucune bizarrerie de la nature...
C.B. : C’est vrai que l’approche a été différente. Ceci-dit, j’avais déjà abordé le sanatorium dans Pandemonium, la maladie dans Carême… Des thématiques que j’aime bien. C’est le genre de sujet qui me tombe dessus. On m’a offert un livre sur ce lieu que je connaissais étant plus jeune. Et quand j’ai vu en photo le sanatorium, j’ai eu l’idée d’écrire cette histoire.
Parlez-nous de votre nouvelle série Les Montefiore…
C.B. : C’est une saga familiale, un peu dans la lignée de Largo Winch ou des Maîtres de l’Orge, mais dans l’univers de la mode. L’idée est venue d’un repérage que j’ai fait pour Bunker, avec Stéphane Betbeder. On est allés pour ça dans le Nord de la France. On s’est dit : « On est cons. Il fait beau ailleurs, et on se retrouve ici. La prochaine série que l’on fait ensemble, ce sera en Italie, au soleil, avec des mannequins. »De là est née l’idée de cette saga. Pour l’instant, deux tomes sont prévus. On espère qu’il y en aura un peu plus.
Death mountains ?
C.B. : C’est un projet un peu à part. C’est basé sur un fait réel, l’histoire de Donner Party. Pendant la conquête de l’Ouest, un groupe de colons s’est retrouvé coincé dans les Rocheuses en plein hiver. Ils ont eu recours au cannibalisme pour survivre. J’y parle de Mary Graves qui a survécu à tout ça. C’était une femme très courageuse pour son époque. Elle est ensuite devenue la première maîtresse d’école de Californie.
Un autre parcours extraordinaire est celui du héros de L’Aéropostale à paraître chez Soleil…
C.B. : Oui, d’autant que l’histoire est centrée sur son crash dans la cordillère des Andes. Au départ, ce devait être un one shot. C’est Jean-Luc Istin qui m’avait proposé cette idée. Ne connaissant pas du tout le sujet, je lui avais dit que je voulais d’abord lire deux ou trois bouquins sur Mermoz. Finalement, j’ai écrit deux histoires et je suis en train de finaliser la troisième.
Les Tourbières Noires ?
C.B. : C’est mon retour au dessin.
Vous avez aussi affirmé que certains projets trouvaient plus difficilement preneurs qu'auparavant, exemples à l'appui (Frontier, Le guerrier celte,...)
C.B. : J’avais un projet de western depuis tout petit. Et quand je l’ai présenté aux éditeurs, tous m’ont dit : « C’est bien écrit, c’est bien dessiné mais on ne l’édite pas. » La BD en est donc arrivée là ? Une BD bien écrite et bien dessinée ne peut pas être éditée ?
Quelques mots sur votre travail sur les courts et longs métrages ?
C.B. : C’est le moyen d’explorer une autre voie. J’y vais vraiment étape par étape sans savoir où ça me mènera. On vit autant d’émotions en trois jours de tournage qu’en un an en tant qu’auteur de BD.