« Je pense qu’il est temps pour moi… de prendre des vraies et longues vacances ». Voilà la dernière phrase prononcée par Alexia dans le tome 7 de la série. Profite-t-elle de ce repos bien mérité ? (sourire)
Dugomier : Pleinement, je vous rassure. Mais je pense qu’elle n’aime pas ça et qu’elle serait prête à reprendre du service au quart de tour.
Benoît Ers : Bonne question. je lui demanderai dès son retour. (sourire)
À quel moment avez-vous été mis au courant de l’arrêt des Démons d’Alexia ? Quelles ont été les raisons invoquées ?
B.E. : Les raisons invoquées étaient la stagnation des ventes. La série était franchement viable, mais les chiffres de ventes à la nouveauté stagnaient. Et ce sont ces chiffres qui sont pris en comptes pour les calculs de rentabilité. Malheureusement, on ne tient pas compte du fond qui lui, se vend (toujours) très bien.
D. : Cette décision nous a été signifiée à la fin du tome 6. Nous pouvions encore réaliser un tome si nous le désirions. Et comme c’était notre but de continuer la série sous forme de « one shot », nous avons abordé le tome 7 avec beaucoup de plaisir et sans nous poser de questions. Personne n’est dupe du fait que la mise en congé d’Alexia, la petite phrase que vous citiez, signifie un arrêt de la série. Nous avons choisi cette formule élégante afin de ne pas briser les rêves des lecteurs et de nous laisser la possibilité de redémarrer un jour. La série a été arrêtée car l’éditeur était déçu des ventes. Celles-ci étaient correctes, mais pas suffisantes pour être considérées comme celle d’une série à succès. Tous les tomes ont pourtant étés réédités de façon régulière. On était à un cheveu de pouvoir continuer la série.
La série est-elle définitivement mise au placard ?
B.E. : Pour le moment, oui, mais l'avenir est tellement surprenant…
D. : Dans la vie, rien n’est jamais définitif, mais il n’y a pour le moment aucun projet pour relancer Alexia. On verra. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a aura dans les années qui viennent une intégrale. Mais là encore, tout est flou. On ne connaît pas encore la forme de cette intégrale. En réalité, ni l’éditeur, ni nous, ne sommes pressés, car le fond de la série continue à tourner. On peut même espérer un petit redémarrage avec la sortie de Hell School.
Est-ce l’une des raisons qui vous ont poussés à signer Hell School chez un autre éditeur ?
D. : Non. En fait, notre éditeur voulait absolument une autre série de Benoît et moi, mais il n’arrivait pas à se décider sur Hell School. Peut-être aussi parce qu’au même moment, Benoît Ers développait chez eux une autre série avec Zidrou (Tueurs de Mamans, NDLR). Cette situation particulière bloquait peut-être les décisions et nous avons proposé Hell School ailleurs.
B.E. : Bien entendu, il faut bien manger. En fait, il y a eu deux projets menés en parallèle avec moi au dessin. Un avec Dugomier, un avec Zidrou. Celui de Zidrou était prêt avant, il a donc été signé chez Dupuis. Le Lombard a directement pris le second.
Comment ce projet a-t-il été accueilli au Lombard ?
D. : Ils ont été super emballés par notre projet et ça s’est fait très vite. Nous étions très contents, Benoît et moi, de retrouver le Lombard après 10 ans d’absence, puisque nous avions fait 6 albums de Muriel et Boulon chez eux. L’équipe est toute différente qu’à l’époque. Très motivée. On est super bien suivi par notre éditeur et son équipe et on prend plaisir à bosser avec eux.
B.E. : En fait, nous avons été très surpris de l'intérêt du Lombard. D'abord, ce n'est pas leur genre de publication, ensuite ils avaient officiellement annoncé qu'ils ne prendraient plus aucune nouveauté jusqu'à nouvel ordre. Comme quoi, il y a des miracles. (sourire)
Pourquoi avoir changé le titre de la série qui devait s’appeler au départ Prison School ?
D. : Tout simplement parce qu’un manga est sorti sous ce titre au mois d’août. Ça a été une douche froide, car nous avons dû changer le titre assez vite afin de pouvoir présenter la série aux commerciaux avec un titre définitif. Au final, l’ancien titre est oublié et nous sommes très contents de l’actuel. Mais que de sueurs froides et de listes de titres foireux pour arriver à ce titre simple et évident.
B.E. : À quelques jours de clôturer la maquette, un manga de cul est sorti avec le même nom. Il était donc impossible de le conserver. J'étais en pleines vacances, et je dois dire que ça les a plombées. Trouver un nouveau titre à une série dans l'urgence n'a pas été une mince affaire. Encore aujourd'hui, nous devons faire attention à utiliser le bon nom.
Cela fait plus de 20 ans que vous travaillez ensemble. Comment votre « couple » a-t-il évolué ? Comment se déroule votre collaboration ?
D. : Benoît et moi filons toujours le parfait amour.(rires) Nos séries débouchent de séances de brain storming à rallonge. Tout vient de là. On y parle sans limites de nos envies. Chacun de nos univers a été constitué ainsi. C’est clair que notre amitié est un plus pour nos BD. Nous sommes très liés. Des fois, je me dis qu’entre Benoît et moi, c’est l’amour sans le sexe. (rires)
B.E. : Rien n'a changé, hormis que le métier à évolué, et là où un album par an suffisait à faire vivre un auteur il y a quelques années, il faut aujourd'hui en réaliser deux, voire plus. Du coup, tout se fait plus dans l'urgence. Au début de notre collaboration, nous passions de longues heures à discuter au téléphone, maintenant, un mail laconique suffit à régler l'essentiel. C'est beaucoup moins agréable, mais plus efficient. (sourire)
Comment est née l’histoire de Hell School ? Avez-vous été traumatisé, dans votre jeunesse, par des séances de bizutage qui auraient mal tourné ? (sourire)
D. : Hell School est né de souvenirs de différents reportages et de faits divers ayant défrayé l’actualité. Tout ça en rapport avec l’actualité, bien entendu. C’est moi qui avais envie de faire une « robinsonnade » et je pense que ce goût me vient de la lecture d’un roman à l’époque de mon adolescence qui s’appelait « Le Robinson du métro ». Benoît et moi, nous avons eu tous les deux un rapport particulier à l’école et on savait qu’on avait des trucs intéressants à dire sur le sujet. L’école est bien souvent un monolithe alors que les enfants sont pluriels. Malheur à ceux qui n’ont pas la capacité de s’adapter à son système. On a voulu faire ressentir ça dans Hell School. Je n’ai pas connu de bizutage et c’est un système que je déteste pour l’avoir vu souvent en action dans le quartier où j’habitais à Bruxelles. J’ai par contre connu la totemisation chez les scouts, qui est un peu comparable. Mais je n’en garde pas un traumatisme, je vous rassure, c’était plutôt sympathique. Pour moi, ces rites d’initiation sont des survivances d’une autre époque et servent parfois des instincts sadiques plutôt qu’une culture véritable.
B.E. : Aucun de nous n'a aimé l'école. En fait, le jour même où nous avons appris la fin d'Alexia, nous sommes sortis de chez Dupuis dans la même voiture, nous nous sommes parqués cent mètres plus loin pour décider de l'endroit où nous allions prendre un verre. La conversation a commencé. Cinq minutes plus tard, nous avions le pitch.
Les nombreux pays, imaginaires ou réels, visités par Alexia ont fait place à un huis-clos angoissant…
D. : J’ai toujours adoré les huis-clos, surtout s’ils se déroulent sur une île. Ça doit être une obsession chez moi, si on pense que 2 des 7 tomes d’Alexia se passent en huis-clos sur une île. Avec Hell School, c’est carrément toute la série qui se passe sur l’île. C’est aussi la possibilité de créer un petit univers cohérent et fermé que le lecteur peut appréhender facilement. Nous poussons le cynisme jusqu’au bout car le lieu est cauchemardesque et paradisiaque à la fois.
B.E. : Il n'y a aucune volonté à cela. C'est l'histoire qui a décidé. La BD, c'est d'abord raconter une histoire. Si dans l'histoire, il faut une île, et bien on dessine une île, voilà tout. Par contre, je me retrouve avec deux séries scolaires, et je DÉTESTE dessiner les salles de classe !
L’une des premières scènes décrit le passage par-dessus bord d’un adolescent, laissé pour mort. À quel public s’adresse Hell School ?
D. : C’est une série jeunesse. Le fait qu’il y ait un mort dès le début n’y change rien.
B.E. : Jeunes ados à adultes. Ma fille l'a lu sans le moindre problème à 11 ans. Face à n'importe quelle série télé américaine, Hell School fait office de "thriller familial". Tueurs de Mamans est un cran plus dur, mais s'adresse au même public.
Benoît, comment avez-vous fait évoluer votre dessin pour les besoins de cette nouvelle série ?
B.E. : Pas d'évolution. La vie ne m'a pas laissé le temps de chercher. C'est d'ailleurs un énorme regret. À l'époque, avant Alexia, j'avais vraiment pu faire ce travail. Ici, je n'avais même pas encore écrit le mot "fin" sur Alexia que j'étais déjà presque à mi album de Tueurs de mamans. Je m'en étais d'ailleurs ouvert à mes éditeurs qui n'y ont vu aucun problème, mais moi, je reste un peu frustré. Pour finir, j'ai réalisé Hell School sur ordi, et Tueurs de Mamans de manière classique en collaboration avec Ludo Borecki (Les Amazones - Glénat, NDLR)… Mais mon dessin reste mon dessin. Si un jour je commence une nouvelle série, il FAUT que je prenne plus de temps pour chercher un peu. Même si au final, je crois que mon graphisme ne changera plus fondamentalement.
Les couleurs d’Angélique Césano sont beaucoup plus flashy que celles de Scarlett Smulkowski pour Les Démons d’Alexia…
D. : L’ambiance méditerranéenne omniprésente influence d’emblée le travail du coloriste. Alexia, c’était plus sombre, plus souterrain, et situé quelque part dans les environs de Paris. L’idée était aussi de différencier les deux nouvelles séries de Benoît en prenant une autre coloriste pour chacune d’elle.
B.E. : Scarlett reste la coloriste de Tueurs de mamans. Nous avons donc, en collaboration avec le Lombard décidé de prendre Angélique (avec laquelle j'avais déjà travaillé) pour bien séparer les univers des deux séries. De plus, Hell School nécessitait une gamme plus "solaire".
L’histoire est prévue en trois tomes. Quel sera le rythme de parution ?
D. : Le tome 2 est prévu pour août/septembre 2013. Le tome 3 pour 2014. On ne sait pas encore quel mois, mais l’idée est de ne pas traîner.
B.E. : Oui, le plus vite possible. Là, je suis à la moitié du tome 2.
Benoît, pouvez-vous nous dire quelques mots sur Tueurs de Mamans, dont la sortie du premier tome est prévue pour le mois de mars ?
B.E. : Du point de vue dessin, c'est donc très proche, mais le ton est fondamentalement différent. Même si l'on reste dans des histoires d'ados et d'école, les univers sont diamétralement opposés. Hell School montre des héros coupés de leurs proches, face à un ennemi sournois et non déclaré, à savoir leur école. Dans Tueurs de Mamans, tout est basé sur les relations mères-filles, avec un ennemi franchement déclaré. Il s'agit d'un thriller pur et parfois très dur, avec un rythme narratif beaucoup plus rapide que Hell School. Hell School est une lutte de fond doublée d'une enquête, Tueurs, une lutte pour la vie, une course contre la montre.
Avez-vous d’autres projets ? Ensemble ? Avec un autre auteur ?
D. : Oui, nous avons déjà quelques idées pour plus tard, mais priorité à Hell School. Sinon, je signe avec Bruno Bazile chez Glénat pour la collection « Plein gaz ». Je suis très heureux de bosser avec lui après 20 ans d’interruption. Passionné de véhicule ancien depuis toujours, je vais pouvoir réaliser quelques fantasmes scénaristiques.
B.E. : Euh, vous voulez m'achever, là ? (sourire) J'ai déjà du mal à tenir mes délais ! En fait, oui, il y a des idées dans les cartons. En BD, il faut toujours en avoir quelques unes d'avance.
Les propos des deux auteurs ont été recueillis à quelques jours d'intervalle.