Si les personnages exorcisent leur passé, c'est en un réel roman policier que nous les découvrons, et si l'histoire de leur vie explique la noirceur de la BD, elle laisse intacte la lumineuse limpidité du talent du scénariste et du dessinateur.
Cette BD a un style, une construction du récit et une vision proche du "picaresque noir", qui la rendent attachante et difficilement racontable. La mort, le destin, le drame, le ridicule ; tout y est mêlé sans perdre un instant la perspective vue à hauteur d'hommes. Et de femme. Une comédie humaine débouchant sur le tragique. Une sorte de purgatoire urbain. Recommandé. Toujours Gihef au dessin et Callède au scénario. Le dernier opus de "Enchaînés" vient de sortir chez Vents d'Ouest.
BDG : Penses-tu que tout le monde soit corruptible ?
Gihef : Bien entendu. Tout a un prix, je pense. On a tous une certaine éthique qui est graduelle, le plus dur étant le combat intérieur entre ce que l'on juge bien et ce qui nous semble mal...
C'est ce que l'on tente de mettre le plus en avant dans "Enchaînés".
BDG : Les albums sont de plus en plus noirs, comme une sorte de descente aux enfers, comment parviens-tu à créer cette impression de malaise et de violence?
Gihef : J'essaie de créer plus une atmosphère, qu'une succession de cases qui relate une action bien précise. Cela peut venir d'un cadrage, de l'équilibre du noir et blanc ou de la perspective. Je suis également très inspiré par le cinéma, plus que par la Bd même ! Ce qui est à la fois un avantage et un handicap. L'avantage étant de puiser, dans un autre média, mon inspiration visuelle et de tenter de l'appliquer sur papier. L'inconvénient, c'est qu'il faut prendre en compte pas mal de contraintes, et la plus flagrante est l'immobilité. On ne peut pas beaucoup tricher sur papier, le résultat est là, brut de décoffrage...
Si une case est ratée, toute la mise en scène d'une page peut être compromise.
BDG : Je trouve que cet opus est "rapide", un road movie haletant, comment retranscrit-on la vitesse en Bd?
Gihef : Cela se joue surtout au scénario. Callède est très fort pour insuffler du rythme à ses histoires. Ce tome 3 se veut forcément plus violent car il relate l'aboutissement des pulsions et du combat intérieur de chaque protagoniste. Ils ont suffisamment réfléchit. A présent, ils décident d'avancer leur pion. C'est l'album le plus "fun" de la série à mon sens!
Un jeu de massacre jubilatoire, pour peu que l'on s'intéresse aux personnages.
BDG : Au début de l'histoire, le billet vert est le "nerf de la guerre", à la fin de celle-ci, il devient quasi un prétexte à la violence que nous portons en nous finalement?
Gihef : L'argent est assurément la devise la plus puissante dans ce monde. Nous n'avons pas tous les mêmes besoins, mais, cette envie d'améliorer, chaque jour, notre quotidien, reflète bien le mal qui règne dans notre société.
Concernant le deal d' "Enchaînés" , c'est plus complexe que cela. Hormis l'argent, il y a la tentation de la puissance. Une arme à feu est assurément le meilleur moyen de se faire entendre. Tobey l'a très bien compris! Sans trop en dévoiler sur ce 3ème album, je puis affirmer que ce qui éclate le plus Tobey, ce n'est pas l'argent mais la puissance que lui profère l'arme qu'il a en sa possession. Je pense qu'il aurait, de toute façon, participé au jeu, juste pour le "fun"...
BDG : Comment se passe ta collaboration avec J. Callède?
Gihef : Plutôt bien: lui, à un bout de la France, et moi à l'extrême Nord. On communique essentiellement par téléphone et mail. On se voit une fois par an en moyenne.
Il me soumet ses pages découpées au début de chaque mois, puis j'attaque les planches.