Selon sa génération, le lecteur de L’histoire complète aura tendance à se précipiter sur la partie dédiée à Pif pour les quadragénaires ou sur celle consacrée à Vaillant pour les plus anciens. Ce serait une erreur. La petite histoire des journaux pour enfants de la mouvance communiste, depuis les premières feuilles de choux nées avec le siècle dernier jusqu’aux périodiques vendus à plus de 160.000 exemplaires dans les années 50, est indissociable de la grande Histoire, de ses guerres et ses luttes sociales. Adossée à l’épopée du parti communiste français, cette littérature va inculquer aux têtes blondes les idées "généreuses et progressistes" du mouvement avant de se trouver liée aux errances de Moscou. Gérant au mieux les couleuvres du pacte germano-soviétique, c’est avec soulagement qu’elle entre en résistance dès la trahison de l’Allemagne. Une évolution que l’on retrouve dans les titres, Le Patriote faisant suite à Mon camarade avant de céder lui aussi la place à Vaillant à la fin de la guerre. Sur cette période, on peut également se reporter à l'étude de Pascal Ory, Le petit nazi illustré, qui relate a contrario la sinistre parenthèse de Le téméraire, illustré de propagande de l’occupant, lui aussi destiné à la jeunesse.
Le tableau historique et social étant brossé, la majeure partie de l’ouvrage est consacrée bien évidemment aux deux titres phares que sont Vaillant et Pif Gadget. Survoler rapidement le livre en le feuilletant distraitement est presque impossible tant sont nombreux les héros et les auteurs mythiques qui ont peuplé l’imaginaire de milliers d’enfants sur plusieurs décennies. En vrac : Pif, Arnal, Placid et Muzzo, Gotlib, Arthur le fantôme, Goscinny, Hugo Pratt, Doc Justice, Rahan, Dicentim, Forest, Gillon, Corine et Jeannot, Gai Luron, Corto Maltese, Mandrika… la litanie semble sans fin. Ce n’est plus une madeleine de Proust, c’est une boulangerie. Presque à chaque page, un nom attire l’attention du lecteur qui s’empresse de dévorer le chapitre et ses anecdotes. Pour chaque titre ou personnage clé, Richard Medioni utilise la même méthode : contexte éditorial menant à la création du héros, biographie de l’auteur et récit de la saga jusqu'à son terme, le tout généralement illustré, au minimum, par la première planche publiée. Toujours sous-jacente, l’aventure des différentes rédactions est abordée spécifiquement à de nombreuses reprises, relatant aussi bien les heures glorieuses que les périodes de vaches maigres, les évolutions à marche forcée ou les mutations naturelles. Et, bien sûr, les tâtonnements marketing jusqu'à l’invention du fameux gadget et tout le bouillonnement éditorial qui s'en suivit.
L’irruption de la première personne, les confidences et les exclamations de Richard Medioni donnent à son récit un petit côté « vétéran au coin du feu » qui, une fois la surprise passée, est sans doute bien plus digeste que s'il avait été asséné comme un cours magistral tout au long des plus de 500 pages qui constituent l'ouvrage. Le tout assaisonné d’une copieuse documentation iconographique.
Pour en savoir plus : www.vaillant-collector.com
