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Danse avec les morts

Entretien avec Zidrou et Francis Porcel

Propos recueillis par L. Gianati, S.Salin et O. Boussin Interview 31/10/2012 à 11:45 5543 visiteurs
2012, l'année de Zidrou ? C'est en tout cas une année faste pour le créateur de L'Élève Ducobu avec pas moins d'une dizaine d'albums parus depuis le mois de janvier. Et pas des moindres ! Des suites de séries appartenant au patrimoine de la bande dessinée comme La Ribambelle, d'autres plus récentes comme Tamara, des one-shots (La Peau de l'Ours, Djizus...), il y en a à peu près pour tous les goûts. Néanmoins, on retiendra sans doute davantage un album poignant et féroce dont le thème paraissait pourtant ultra-exploité : la première Guerre Mondiale. Associé à Francis Porcel (Reality Show), Zidrou porte pourtant un nouveau regard sur ce conflit et signe un ouvrage qui devrait faire date : Les Folies Bergère.

En 2012, votre actualité est plutôt chargée ! Outre Les Folies Bergère, on a trouvé dans les bacs le tome 8 de La Ribambelle, un nouveau Ducobu, le deuxième tome de Schumi, le dixième album de Tamara (co-scénarisé) sans oublier La peau de l’Ours ou Boule à Zéro. Simple hasard du calendrier ou avez-vous été victime d’une subite avalanche d’idées ? (sourire)

Zidrou : Parlons plutôt d'une volonté de monopoliser le marché. Plus que 4697 titres et j'y serai! Plus sérieusement, il y a là le fruit du hasard propre à la genèse de chaque album... et le fruit de beaucoup de travail ! Les idées, elles me viennent par tsunami entier ! C'en est même inquiétant.

Ce large éventail de thèmes traités dans vos albums démontre un incroyable éclectisme. Mais concrètement, comment passe-t-on de Ducobu aux Folies Bergère ?

Z. : On travaille sur Ducobu. Puis on va se boire une tasse de cappuccino sur sa terrasse puis on attaque Les Folies. Un cuisinier passe bien d'un potage à une mousse au chocolat. J'adore changer de registres. J'ai même envie de me frotter dans l'avenir à d'autres genres encore!

Nombreux sont les auteurs qui se sont penchés sur la Première Guerre Mondiale. Comment avez-vous abordé ce thème ? En souhaitant coller au maximum à la réalité comme Tardi dans Putain de guerre !, tout en distillant une touche de fantastique à la manière de Comès dans L’Ombre du Corbeau ?

Z. : Pas du tout. Je me suis concentré sur l'humain. Ou, plutôt, l'inhumain. Bien sûr, quand Porcel m'a lancé sur ce sujet qui le passionne, l'ombre de Tardi s'est portée sur moi mais, très vite, je me suis dit: "Ce n'est pas parce que Federer joue si bien au tennis que je dois me mettre au rugby!". J'ai relu C'était la guerre des tranchées après avoir scénarisé Les Folies Bergère et je trouve que ce sont des approches différentes. Pas vous ? Côté documentation, j'avais Porcel pour assurer: c'est un passionné.

Pourquoi avoir choisi un héros juif pour jouer le miraculé ? Afin de désamorcer une possible dimension religieuse du miracle, s'il avait été catho bon teint ?

Z. : C'est venu tout seul. Je ne réfléchis pas quand je scénarise. Je fonctionne à l'instinct. De toutes façons, juif ou catho, la dimension miraculeuse reste. Hélas, le discours anti-juif n'a pas attendu la Seconde Guerre Mondiale ! Voyez l'affaire Dreyfus !

Pourquoi cet épisode curieux du soldat français tirant sur l'allemand parti récupérer la gamine dans le no man's land ? Les "boches" semblent accepter cette erreur plutôt facilement, non ?

Z. : C'est comme ça que je l'ai ressenti en écrivant. En outre, n'oublions pas que je dispose de 90 pages, pas de deux heures de films ou de 400 pages de roman ! Je suis obligé de faire l'impasse sur certaines choses. Il m'aurait plu de traiter la Première Guerre Mondiale du point de vue des allemands ou les réalités de l'occupation allemande en Belgique qui n'a que très très rarement été abordée (mon arrière grand-père aurait pu vous en raconter sur le sujet, lui qui a dirigé un réseau de résistants!)... Dans un prochain volume qui sait ?

Lors de la scène où Jehova et Lucifer discutent tranquillement boutique, Dieu, enfilant le costume de l'Allemand, se retrouve le bras dressé. Est-ce une préfiguration volontaire du salut nazi ?

Z. : Aucune idée. Moi, je laisse l'histoire et les personnages me porter, c'est vous, après, qui essayez de tout décortiquer. C'est votre boulot. Mais sans doute cette idée a-t-elle traversé l'esprit de Porcel, ça oui.

Hormis Clemenceau et Monet, y a-t-il d'autres événements ou personnages réels dans cette histoire ? Quelle est la part de vérité historique, notamment, sur l'entourage de Monet à Giverny ?

Z. : Disons que c'est plutôt historique. Mais tourné à ma sauce. Il est en tout cas passionnant de lire les écrits de Clemenceau. Je ne pense pas qu'il y ait aujourd'hui un seul homme politique en France qui ait son bagage culturel ! Ce qui n'empêche que l'ami Georges a commis lui aussi pas mal de conneries !

Comment avez-vous rencontré Francis Porcel ? Recherchiez-vous un style graphique particulier ?

Z. : Dargaud Bénélux me l'a présenté. Le style, c'est lui qui l'a travaillé. Tout le mérite lui en revient.

Comment avez-vous abordé graphiquement cet album ?

Francis Porcel : J’ai cherché un style qui cadrerait bien avec l’histoire. La formule semble avoir bien fonctionné, mais je n’étais sûr de rien jusqu’à la fin. C’était un peu risqué parce que le style réaliste, du moins dans mon cercle de professionnels du comics et de l’illustration espagnols, ne jouit pas d’un grand succès, mais est plutôt qualifié d’ancien, de fade ou simplement de démodé. C’est ce « démodé » qui m’a attiré, car je voulais surmonter les préjugés plus susceptibles de l’adolescence et devenir un « homme » en tant qu’artiste. Je cherchais un graphisme qui fonctionne avec le caractère éphémère des modes.

Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Z. : J'ai écrit le scénario en quelque chose comme un mois. Puis lui l'a dessiné en plusieurs années. Comme d'hab', quoi ! Je ne suis pas le genre de scénariste à contrôler sans cesse le boulot de "mes" dessinateurs.

N’avez-vous pas craint, parfois, de trop en montrer et de tomber dans la violence gratuite ? Vous êtes-vous fixés certaines limites ?

Z. : Je ne me fixe jamais de limite si ce n'est celle de respecter mes personnages, d'être fidèle à ce qu'ils sont. De nature, il est vrai que je ne suis pas du genre bégueule. La tripe et la fesse ne me font pas peur.

F.P. : Quand je dessine quelque chose de cru, sans apprêts, j’espère que le lecteur complétera l’effet intellectuel par ses propres filtres ou interprétations. Je montre seulement les éléments sans autre intention que de les exposer tels qu’ils sont.

La couverture choque et attire immédiatement l’œil. Quelle était l’idée ? L’opposition entre une image morbide et la légèreté du titre ?

Z. : Tout le mérite en revient... à Jordi Lafèbre qui, si je me souviens bien, a donné un coup de main à Porcel.

F.P. : La couverture entend attirer l’attention du lecteur et lui dire : « Eh ! Ça c’est dur, ça c’est du passé, ça c’est fort, ouvre-moi et découvre-moi ! »

Francis Porcel, Jordi Lafebre (Lydie), Oriol (La Peau de l’Ours)... Simple concours de circonstances ou êtes-vous devenu un véritable dénicheur de talents espagnols ? (sourire)

Z. : Je vis en Andalousie. Je parle correctement l'espagnol. Ceci explique cela. Quand je présentais mes scénarios disons "plus adultes", personne n'en voulait. Et quand un éditeur l'aimait, le pauvre scénario traînait des mois durant dans ses tiroirs sans qu'il n'en fasse rien. Exception faite de Pro Tecto chez Dupuis en son temps. Alors, j'ai changé de tactique et plutôt que de relancer 50 fois par jour tel éditeur ou tel dessinateur, j'ai prospecté de mon côté en terres hispaniques. Et voilà le travail !

Quels sont vos projets futurs ? Avez-vous encore un peu de place dans votre emploi du temps pour de nouvelles séries ?

Z. : Dix millions de projets mais un seul à la fois. Les prochains mois répondront à votre question. Mais pas d'inquiétude j'aime trop la vie pour passer mes journées à scénariser. Quatre ou cinq heures par jour suffisent à mon bonheur ! Si vraiment cela vous plaît d'entrer dans mon intimité, sachez qu'après avoir apporté quelques corrections à un scénario fini, je continuerai L'Indivision pour... qui en voudra, je clôturerai le tome 12 de Tamara et enchaînerai avec un Chlorophylle pour Godi et un Spirou pour Frank Pé. Ajoutez à cela deux livres pour enfants et un synopsis pour le cinéma et nous serons déjà à Noël ! Là-dessus, je m'y remets !

NDLR : Les propos de Francis Porcel ont été traduits de l'espagnol par M. Natali
Propos recueillis par L. Gianati, S.Salin et O. Boussin

Information sur l'album

Les folies Bergère

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