Les livres d’Art qui traitent de la bande dessinée, présentant à la fois des reproductions et un contenu éditorial de qualité, sont rares. À vrai dire, ces dernières années il n’y avait guère que la série de livres de Philippe Goddin Hergé : Chronologies d’une œuvre (Éditions Moulinsart) et la somme consacrée aux 75 ans de DC comics (Taschen) qui pouvaient rivaliser avec les beaux livres traitant de l’Art institutionnel avec un grand A, tels que ceux consacrés à Léonard de Vinci, Klimt, Hooper ou à l’impressionnisme. Ces livres-là bénéficie d''un papier épais, dotés d'une pagination copieuse et d'un format ample. Ce cercle très fermé se voit rejoint en 2012 par L’art de la bande dessinée publié aux prestigieuses éditions Citadelles & Mazenod. Dès les premières pages, le ton est donné. Le trait unique et énergique d’une vignette de Jack Kirby s’étale sur une double page, laissant le lecteur presque chancelant. En tournant la page, c’est au tour d’une case d’Asterix et le bouclier Arverne, tout en courbe, tout en rondeur, d’être mise en valeur. La précision de reproduction est telle que l’on voit le grain du papier boire l’encre.
C’est un des points forts de l’ouvrage, ces quelques originaux démesurément agrandis, laissant le loisir de découvrir sous l’encrage les crayonnés et les repentirs, et deviner l’emploi d’un pinceau, d’une plume ou d’un feutre. Quand au reste, plus de 500 illustrations, les dimensions du livre leur réservent un luxueux écrin, bien souvent plus grand que le format original.Le rédactionnel n’est pas en reste. Qu’est-ce que la Bande dessinée ? À tout seigneur tout honneur : il revenait à Thierry Groesteen de circonscrire les limites du débat. À travers un peu d’Histoire-Géographie, il recense les différentes appellations de la Bande dessinée tout autour du globe, se définissant ici en fonction de sa forme, là selon son contenu, quand, ailleurs, c’est tout simplement le support qui est désigné. L'exercice est efficace et montre bien qu’avant d’être un Art, c’est avant tout un objet culturel qui peine à se nommer lui-même. Thierry Groesteen consacre la suite de son article à l’épistémologie de la Bande dessinée. En bon vulgarisateur, il livre une histoire de la critique de la bande dessinée aussi passionnante qu’abordable.
Les bases étant posées, les auteurs vont retracer l’épopée de la BD américaine depuis ses prémices sous forme de caricatures jusqu'à sa reconnaissance à travers le prix Pulitzer attribué à Maus, en passant bien évidemment par les super-héros, l’underground et les romans graphiques. C’est avec plaisir que l’on retrouvera Benoit Peeters prendre la plume pour s’attarder sur « Le moment Belge », ce bouillonnement culturel si singulier qui donna les plus grands noms du genre. La création européenne et asiatique est bien sûr largement détaillée mais, loin de se cantonner à un simple tour du monde, les articles reviennent longuement sur le foisonnement des styles, des mises en pages, des techniques et des récits. Un fourmillement créatif qui a envahi notre quotidien et depuis longtemps relégué ces illustrés d’antan à la préhistoire d’un art à part entière : le 9ème.Des articles rigoureux, des reproductions d’une rare qualité, L’Art de la bande dessinée de Citadelles & Mazenod n’est pas seulement un beau livre de plus, c’est un acte militant.
L'art de la Bande dessinée
Collection «L’Art et les grandes civilisations»
592 pages, relié en toile sous jaquette et coffrets illustrés
Format : 25,5 x 32 cm, env. 550 ill. couleur
Avec un ex-libris original de Frank Pé encarté
Parution : 25 septembre 2012
Prix : 205 €
