En septembre 2005, on apprenait non sans surprise que Thierry Tinlot allait succéder à Albert Algoud en tant que rédacteur en chef de Fluide Glacial. Quelles implications cela allait-il avoir sur le mensuel d'Umour et Bandessinées fondé, voilà trente ans, par Marcel Gotlib ?Interrogé par BDGest' sur ses intentions, peu après son entrée en fonction, l'ex "boss" de Spirou se voulait prudent et rassurant : pas question de chambouler la maquette, ni l'esprit du magazine. Reste que tout le monde l'attendait au tournant...
Fluide Glacial 356, daté février 2006 est le premier numéro à porter l'empreinte du nouveau rédac-chef : un thème fédérateur "spécial Angoulême", est annoncé sur la couverture et décliné dans le magazine. Le Psikopat de Carali, l'autre grand mensuel de BD d'humour, pratique depuis fort longtemps cette formule des "dossiers spéciaux"... mais pour Fluide Glacial, c'est effectivement nouveau. Et c'est réussi.
Visiblement inspirée par le thème, l'équipe s'est surpassée. Gaudelette révèle les vraies motivations des dessinateurs dans un chapitre de la Vie des festivals, Fioretto nous révèle avant l'heure les favoris de la compétition (Houellebecq a toutes ses chances), Sattouf donne des conseils pratiques aux femmes rêvant d'une "nuit brûlante de sexe avec un auteur de bande dessinée". Puis Léandri fait intervenir Jean-Marc Thevenet (directeur du FIBD) dans un photo-BD qui a tout du bizutage ; Lindingre se moque des chasseurs de dédicace ; Deup fait mouche avec une chronique on ne peut plus académique de la planche lauréate du Concours de la BD Scolaire du festival d'Angoulême catégorie humour (remporté par le jeune Sébastien Héron, de Dieppe). Enfin, l'immense Goossens se fend d'une inoubliable "leçon de BD" à l'usage des dessinateurs débutants.
Hors dossier, Léandri est toujours aussi captivant avec ses chroniques de l'absurde (consacrées ce mois-ci aux illusions sensorielles), Thiriet revisite le Petit Poucet d'une façon inédite, Cosmik Roger (de Julien & Mo CDM) quitte temporairement son spatio-bar habituel pour le divan d'un psy ; Edika, égal à lui-même, édike sur quatre planches.
Puisque Thierry Tinlot en a fini avec la phase d'observation et qu'il a visiblement gagné la confiance de ses nouveaux collaborateurs... c'était le bon moment pour l'interroger à nouveau !
BDGest : Fluide Glacial n°356 est le premier numéro dont vous revendiquez la pleine paternité, comme rédacteur en chef. C'est à vous qu'on doit les 0,10 euros d'augmentation du magazine ?
Thierry Tinlot : Haha, pas mal. Simple remise à niveau économique par rapport à un prix qui était inchangé depuis quelque temps. Pour être très précis, depuis la nouvelle formule d'Albert Algoud il y a plus de deux ans.
BDG : En septembre, vous nous disiez que vous ne changeriez pas la maquette. Effectivement ! N'empêche, un numéro mensuel thématique, à l'exception notable du "spécial 30 ans", ça n'était jamais arrivé...! C'est une sorte de révolution culturelle pour le magazine, non ?
TT : N'exagérons rien : juste une chouette récré, à laquelle les auteurs ont visiblement pris beaucoup de plaisir. Il y en aura d'autres, 4 ou 5 sur l'année. Disons simplement que je propose aux auteurs d'exercer leurs talents dans des registres variés. Pour le thème suivant, il y a aura normalement une compilation audio, par exemple...
BDG : Cela ne fait-il pas concurrence aux numéros trimestriels, qui eux sont thématiques depuis toujours ?
TT : Bruno Léandri (responsable des hors-série) et moi trouvons que c'est plutôt chouette de proposer de la variété le plus souvent possible. Aux lecteurs comme aux auteurs.
BDG : Les planches que les auteurs réalisent pour un thème, comme ce mois-ci "Angoulême", ne trouveront pas forcément leur place dans un album... Cela signifie t-il que Fluide Glacial va cesser d'être un magazine de prépublication ?
TT : Il y a toujours eu, dans Fluide, une part importante de BD qui ne trouvaient pas forcément leur place en album. Je ne dérogerai pas à cette règle. Le grande chance, c'est que le magazine est bénéficiaire SANS l'apport des albums. Pour info, les deux pôles (presse et albums) fournissent un produit relativement équivalent en terme de résultat.
BDG : Justement, quelles sont les évolutions prévues de votre politique d'albums ?
TT : Ma première préoccupation est de ranger quelque peu le catalogue. Etre plus clair sur le type de BD d'humour que le lecteur est en droit d'attendre quand il s'approche de telle ou telle collection. Regardez les effets induits par des collections, même jeunes, comme Ecritures chez Casterman ou Poisson Pilote chez Dargaud. Ou encore Aire Libre chez Dupuis. A partir d'un moment, l'identité d'une collection est tellement forte qu'on sait, instinctivement, le genre de bouquins qu'on va y trouver. Très précisément, deux collections verront le jour en 2006 : une collection "glamour" (titre de travail) qui accueillera notamment Paris Strass de Yoann et Omond prépublié pour l'instant. Et une collection plus "prestige" (titre de travail aussi), avec une fab' différente, qui reprendra des ouvrages d'humour plus pointus, destinés à un public plus exigeant. Ce "classement" du catalogue s'accentuera au fil des nouveautés et des rééditions. D'autres lignes suivront, comme, déjà en 2006, une tentative de proposer quelques ouvrages à un public de lecteurs de PRESSE. Je parle par exemple des merveilleux travaux réalisés dans Fluide par nos illustrateurs de presse : Lefred-Thouron, Luz, Charb...
BDG : Dans le passé, l'évolution du magazine était débattue avec les auteurs. C'est toujours le cas aujourd'hui ?
TT : Nous communiquons très régulièrement, soit individuellement soit collectivement. Les auteurs sont associés à toutes les étapes. Même si je ne m'attends pas à ce qu'ils soient tous forcément tout le temps d'accord avec moi. Je crois que l'objectif commun est partagé : faire le meilleur journal et les meilleurs albums.
BDG : L'une de vos missions est d'attirer de nouvelles signatures vers Fluide Glacial. Quels sont les auteurs que vous rêveriez d'avoir dans l'équipe ?
TT : Soyons clairs : j'ai la chance de travailler avec de formidables types (et même quelques demoiselles) bourrés de talent. Je ne compte donc pas débarquer avec 20 dessinateurs belges dans les six mois. Par contre, des contacts sont pris pour intensifier des relations existantes. Un exemple totalement non surprenant : François Boucq débarque le mois prochain avec sa Mort et Lao Tseu. Je dis peu surprenant puisqu'il était déjà présent dans les hors-série. Autre exemple : l'arrivée prochaine d'une nouvelle série de Tronchet. Vous voyez, on travaille, mais je n'ai pas beaucoup d'effets de manche à faire. On bosse depuis longtemps avec des partenaires, avec qui j'intensifie les relations.
BDG : Vous avez annoncé le grand retour de Superdupont, ce super-héros 100% Français au sourire si doux et au béret si basque... Pouvez-vous nous en parler ?
TT : C'est Lefred-Thouron qui est à l'origine de ce redémarrage. Il avait, de sa propre initiative, rédigé un synopsis, qu'il a soumis à Marcel Gotlib. Lequel, emballé, s'est empressé de le découper, en y ajoutant plein de gags. Jean Solé a embrayé, et j'ai déjà vu 6 pages à ce stade. A suivre dans Fluide dans le courant de l'année... Je n'ai rien eu à faire, c'est tombé tout chaud quelques jours après mon arrivée. Il y a pire comme cadeau de bienvenue et je suis ravi.
(c) Fluide Glacial / Gotlib, Lefred-Thouron et Solé 2006
