Geminis panico est présenté comme étant votre premier album. Pourtant, vous avez travaillé sur El Niño et L’ancêtre programmé...
Stéphane Martinez :En fait, j'ai été directeur artistique pour Les Humanoïdes associés et à l'époque, en plus des conceptions graphique et rough de couvertures, il m'est arrivé de réaliser ou de co-signer certaines illustrations de couvertures.
Vous avez aussi travaillé tous les deux sur Arthur et les minimoys et La mécanique du cœur.
Robert Cepo : Le « papa » d'Arthur est Patrick Garcia. C'est lui qui a lancé la machine et une fois le projet entré dans la phase de production, une équipe s'est constituée, à laquelle appartenait notamment Nicolas Fructus (dessinateur de Torinth, par ailleurs coloriste et crédité pour la création de couvertures de BD). Sur les productions de ce type-là, il s'agit de s'approprier l'univers du film et surtout de le rendre « foisonnant ». Il y avait donc énormément de choses à créer, des plus petits accessoires, à des machines extraordinaires, des décors, etc. Nous étions au four et au moulin, à la direction artistique dans tout ce qu'elle englobe. Pour La mécanique du cœur, adapté du livre écrit par Mathias Malzieux dont Luc Besson a acheté les droits, nous avons travaillé sur la base d'une quinzaine de dessins faits par Nicoletta Ceccoli (http://www.nicolettaceccoli.com/). Ses créations nous ont servis de maître-étalon, nous nous les sommes appropriées pour extrapoler, transposer cet univers en 3D. Ses personnages fonctionnent très très bien en tant qu'illustrations, mais ils nécessitent une relecture pour les rendre crédibles « en volume ». Nous avons aussi créé des personnages secondaires, des décors. Le film devrait théoriquement sortir en octobre 2012.
Vous n'étiez pas associés à la réalisation des quatre tomes de la BD Arthur ?
S.M : Non, nous avons dessiner pour les licences, des illustrations, des livres pour enfants, livres de coloriage, mais nous n'avons pas dessiné les BD Arthur.""
R.C : Nous avons seulement réalisé la synthèse de certains éléments à la demande de Luc Besson qui intervenait en disant « j'adore la tête de tel personnage mais je préfère les bras de celui-ci et les vêtements de celui-là ». L'objectif était de fournir des références, des modèles aux personnes dessinant la BD. À ce moment-là, nous étions déjà engagés sur La mécanique du cœur et sur Geminis panico.
Il s'agit d'une création plus sombre, plus adulte...
S.M : ...et clairement plus fantastique. On aimerait bien que les enfants puissent lire cette série, nous avons conscience que l'univers que nous avons developpé ne s'adresse pas de prime abord 'aux plus jeunes. C'est une chose que l'on nous a d'ailleurs reproché : le design, la violence, l'ambiance ne vont pas dans ce sens, mais nous n'avons pas ce sentiment et pensons que les messages de cette histoire peuvent aussi être partagés avec les enfants.
R.C : Avec ce premier tome, ce que nous voulions, un peu naïvement peut-être, c'était d'installer une atmosphère, ce qui correspond dans un film au dix ou douze premières minutes. Pour le sujet en lui-même, nous voulions aborder des thèmes assez graves à travers le prisme de l'enfance, même si cela peut paraître contradictoire avec l'atmosphère ambiante. Ce premier tome n'est que le premier pas. La série va se densifier aussi bien au niveau du dessin que du rythme de la narration.
Soyons directs : aurons-nous des explications sur tout ce que vous donnez à voir dans le cadre de cette ouverture ? Ou êtes-vous partisans de ne pas tout montrer, ne pas tout dire ?
S.M : Des choses sont forcément restées en suspens à l'issue de ce premier tome.
Geminis panico appartient-il à cette catégorie d'albums qui exigent du lecteur qu'il se laisse porter par l'ambiance, installée notamment par les dessins en pleine page ou les grandes cases, qu'il doive faire une partie du chemin pour pénétrer le cœur de l'histoire ?
S.M : Cette présentation correspond tout à fait à ce que l'on recherchait. De nombreuses choses passent par l'image, tout n'a pas besoin d'être précisé dans le texte. Si on regarde attentivement, certains détails sont assez parlants.
R.C : On ne se pose pas en techniciens de la BD qui cherchent à tout imposer au lecteur ; celui-ci doit garder une part d'initiative. Il faut qu'il soit invité à cogiter sur certaines choses. Pour certains, cette manière de procéder est source de confusion mais l'idée qu'il y a une grille de lecture pour chacun est intéressante, comme le fait que chacun puisse chercher à s'approprier une histoire où tout n'est pas expliqué dans une bulle.
L'origine des enfants va-t-elle être révélée ?
S.M : Sans vouloir trop en révéler aujourd'hui, on peut seulement dire qu'ils sont en mission, sans préciser quel type de mission...
R.C : Ce n'est pas messianique non plus. (sourire)
Vous faites des enfants des spectateurs de ce que subissent leurs petits camarades...
S.M : Pour l'Ordre, il s'agit de cobayes comme tant d'autres, qui sont là pour des tests, des expériences. Ils sont considérés comme des animaux de laboratoire.
La jeune et jolie Docteur Wellan assure qu'elle ne savait pas ; pourtant, ses actes peuvent être perçus comme des tentatives de sabotage...
S.M : S.M : Elle sait que tous les enfants qui ne seront pas retenus à l'issue des tests qu'elle dirige, repartiront dans les trains pour leurs ultime voyage et c'est pour cela qu'elle tente quotidiennement d'en sauver. En revanche, elle ne connait pas la nature des experiences de Zmurder sur ces enfants et elle va découvrir le pire...
Le Grand Zimus est lui-même une chimère, plus siamois que jumeaux contrairement aux petits "cobayes"; il peut être perçu comme une forme de perfection pervertie...
R.C : C'est à la fois ça, et aussi la traduction de notre envie de symboliser en un personnage le monstre qu'est l'Ordre...
S.M :...en même temps que la contradiction qu'il représente : ils sont à la recherche d'un être pur mais leur chef est un véritable monstre.
Il y a aussi ce personnage masqué qui appelle Docteur Zmurder, « Père »...
S.M : C'est sa première création ; il est conscient qu'elle est ratée, qu'en dehors de sa force, elle n'a aucun atout...
R.C :... mais pour lui, c'est l'équivalent d'un brave chien. C'est son premier brouillon. Mais nous reviendrons sur son identité par la suite.
En termes de compositions, la planche 42-43 retient l'attention car elle désoriente, elle donne le sentiment que tout tourne en rond et ne tourne pas rond à la fois. Le découpage et la structuration traditionnels des séquences vous ennuient-ils à ce point ? (sourire)
R.C : Le début est assez conventionnel...
S.M : Nous aimons le découpage classique, nous sommes fans de BD franco-belge traditionnelle. Mais lorsque nous sommes arrivés chez Glénat, les planches que nous avons présentées pour ce projet étaient encore moins classiques, avec une narration encore plus graphique...
R.C : ...à la limite de l'expressionnisme allemand...
S.M : … sans aller jusque là, on était plus proches de Dave Mc Kean ou de Ashley Wood. Notre directeur de collection a aimé l'univers, l'originalité, mais il nous a demandé de revenir vers quelque chose de plus classique. Le résultat, c'est ce tome 1, un mélange entre nos envies et l'orientation donnée par Glénat. Mais finalement, nous nous y retrouvons. Il est important, pour la narration, d'avoir un découpage assez clair, d'éviter de tomber dans un travers trop « arty » au détriment de la lisibilité.
L'album est disponible en version numérique pour une lecture sur tablette. Le style particulier sur lequel il est basé doit être un casse-tête pour les développeurs qui cherchent à dompter le découpage, à intégrer la dynamique des séquences pour mieux les automatiser.
.M : La version eBook de Geminis Panico est disponible, et j'ai été très agréablement surpris de la relire sur ce support. que je ne connaissais pas vraiment. J'ai trouvé que le fait de "tourner" les pages avec la main rappele un peu le livre, même si le plaisir du livre reste à part, mais pouvoir "zoomer" ainsi dans les images apporte une vrai immersion dans la lecture, permettant de découvrir des détails supplémentaires. Et sur un album comme celui-ci, où nous avons assez "poussées" les images, c'était sympa de redecouvrir ce travail que l'on ne perçoit presque pas sur la version papier. En terme de chromie aussi, cette version est plus proche de ce que nous avons créé, ce qui n'enlève rien au bon travail réalisé par l'imprimeur de la version papier.
Pour en revenir à la question initiale, la double page dont nous parlions tout à l'heure ne "fonctionne" pas vraiment sur la version eBook mais, pour le reste c'est une belle surprise, au point que j'ai racheté certaines de mes BD préférées dans ce format afin de les redécouvrir différemment.
Le tome 1 n'a pas de sous-titre comme c'est souvent l'usage...
S.M : La question s'est posée, on a fait plusieurs essais, et, finalement, avec l'éditeur, nous avons choisi de faire simple : tome 1.
La série en comprendra quatre, ce qui est un contrat assez long pour une première création. La contrepartie, c'était une parution rapprochée de chacun des tomes ?
S.M : Le tome 2 est effectivement prévu assez rapidement, Nous sommes en ce moment avec Robert à "donf" dessus :) On espère pour la rentrée.
Un peu de provocation pour conclure : que répondez-vous à ceux qui qualifient ce tome 1 d'Artbook ? d'album bourré d'illustrations soignées mais trop vite lu ?
S.M : Je comprends la remarque, mais ce n'est que le premier volet. Nous souhaitions vraiment un tome 1 très graphique et nous avons voulu laisser une grande place à l'image, tout en nous faisant plaisir, j'avoue (sourire) . Cette critique nous l'acceptons mais c'est ainsi que nous voulions planter le décor.