L'information est déjà connue : l'édition 2006 du FIBD d'Angoulême sera marquée (entre autres choses) par la présence de Dupuis dans la cour des "gros" éditeurs. Cet évènement ne pouvait passer inaperçu, Dimitri Kennes, Directeur Général des éditions Dupuis, nous l'explique.
BDGest' : Pouvez-vous nous réexpliquer les raisons du départ de Dupuis au sein d'Angoulême ?
Dimitri Kennes : Les raisons pour lesquelles Dupuis a décidé, à l'époque, de ne plus participer au festival sont aujourd'hui obsolètes. Je pense que la plupart des personnes, chez Dupuis et au sein de l'organisation du FIBD, ne savent même plus quelles étaient ces raisons. Je pense que c'était lié au sentiment que le festival entretenait une ségrégation entre les éditeurs dit "élitistes" et les éditeurs dit "populaires". Or, chez Dupuis, depuis toujours, popularité et qualité sont les piliers d'une politique éditoriale qui s'appuie sur la création des auteurs.
Avec le temps, il est devenu usuel de ne pas être présent au FIBD. Cela faisait partie de la politique maison : ne pas participer aux salons et festivals, qui s'adressent à un public trop spécialisé, donc déjà acquis. Les moyens tant financiers qu'humains ont été consacrés, durant cette période au développement du marketing grand public et de l'audiovisuel.
BDG : Quelles sont les raisons de votre retour ?
DK : Si Dupuis revient à Angoulême en 2006, c'est dans le cadre d'une stratégie de positionnement et de communication entamée fin 2004. En effet, sous l'impulsion de Claude Gendrot, directeur éditorial, et de moi-même, Dupuis souhaite concentrer toute son énergie autour de ses auteurs. Nous considérons qu'en tant qu'éditeur nous devons aller à la rencontre du public. Le retour à Angoulême, festival le plus important du secteur, s'inscrit dans cette politique.
BDG : Quels sont vos enjeux pour ce FIBD 2006 ? Quelle place Dupuis va t'il avoir dans ce "grand marché" d'Angoulême ?
DK : Nous souhaitons être présent à la mesure de ce que Dupuis représente : 17 % (source Ipsos) du marché de la bande dessinée de création européenne en 2005.
Dupuis a fait le choix, assumé, de ne pas se positionner comme éditeur, licencié, de Mangas, se définissant ainsi, à travers l'accompagnement et le soutien des auteurs.
Dupuis est aujourd'hui le premier éditeur de bandes dessinées devant Dargaud. Il est donc normal que sa présence soit proportionnelle à sa place sur le marché. Ce sera le cas, avec la présence de quelques 70 auteurs, dont Tome et Janry, Laudec, Lambil, Francq, Midam, Gibrat, Guibert ... Aucune condition n'a été posée par Dupuis pour son retour, aucun privilège n'a été demandé, ni octroyé. Sauf imprévus, Dupuis sera présent les années suivantes.
BDG : L'image du FIBD est assez contrastée : c'est à la fois le festival le plus populaire de l'Europe francophone, mais régulièrement la distribution de ses Prix est jugée trop élitiste. La Bande Dessinée Belge y fait d'ailleurs souvent figure de parent pauvre... pensez-vous que le retour des éditions Dupuis fera évoluer les choses ?
DK : Je ne tiens pas à me prononcer sur les polémiques concernant les prix. L'attribution de tels prix est un exercice périlleux.
Il convient de définir clairement les objectifs poursuivis et le cadre des prix ainsi décernés. S'agit-il de proposer à un public d'initiés des oeuvres novatrices ? S'agit-il de médiatiser des oeuvres dans le but de promouvoir la BD auprès d'un public plus large (comme c'est le cas en littérature, le plus souvent) ? S'agit-il de proposer aux lecteurs français des oeuvres venues d'ailleurs ? S'agit-il de promouvoir l'image d'un événement ? Il y a matière à nourrir une polémique car tous les points de vue sont défendables.
Je ne vois pas comment la présence de Dupuis à Angoulême influencera la politique de distribution des prix. Nous n'avons, à cet égard, aucune attente particulière. Tout ce qui peut nous aider à soutenir l'oeuvre d'un auteur que nous publions est le bienvenu, surtout dans un marché saturé de nouveautés et de mangas. Nous nous ravirons donc de chaque nomination ou de chaque prix, mais nous n'attendons pas, à priori, un prix pour soutenir et défendre les oeuvres que nous publions.
BDG : Comment définiriez-vous Dupuis dans la BD contemporaine ?
DK :Comme je le précisais plus haut, Dupuis réalise 17% du volume des ventes de bandes dessinées (hors mangas) en France. Avec 80 nouveautés par an, Dupuis ne publie cependant que 4% des 2400 nouveautés (hors mangas !) de 2005 !
Ce n'est bien sûr pas faute de projets mais lié à une politique très sélective en terme de qualité. Nous considérons qu'un éditeur ne peut défendre qu'un nombre limité de titres. Nous ne faisons pas de l'édition pour publier tous azimuts, nous prenons le temps d'accompagner les auteurs dans leur création et ne retirons pas de séries de notre catalogue avant d'avoir tout tenté.
Les chiffres nous donnent raison : une oeuvre éditée chez Dupuis se vend en moyenne 4 fois mieux que les autres ! La plupart des succès de Dupuis se sont construits avec des auteurs que nous avons suivi depuis le début ; nous ne pratiquons pas la chasse aux séries et aux auteurs à succès chez les concurrents, à coups de surenchères.
BDG :Quelles actions préparez-vous pour Angoulême 2006 ?
DK : Nous profitons du FIBD pour lancer un de nos grands projets de l'année 2006 : la relance en kiosque du mythique hebdomadaire "Spirou" !
Le journal, qui fête ses 68 ans, s'offre une nouvelle formule de ... 68 pages et réintègre les kiosques, soutenu par une grande campagne promotionnelle. Le numéro 3537 sera tiré à 300 000 exemplaires et, fort de 80 000 abonnés, ce sont 200 000 exemplaires qui seront mis en place en kiosque.
C'est le coup d'envoi d'une année qui mettra le personnage Spirou, étendard des Éditions Dupuis à l'honneur. Entre autres, un album de Spirou et Fantasio, par Yoann et Velhmann, sort également au moment d'Angoulême.
(NDLR : les premières planches de l'album "les Géants pétrifiés" sont d'ailleurs consultables sur le site BDGest')
BDG : Il y a un retour au "Patrimoine" avec la réédition de classiques, plus ou moins connus par différents éditeurs. Allez-vous participer à cette "redécouverte" des classiques du fond Dupuis ?
DK : Comme nous l'avons démontré avec le tirage limité d'une édition luxueuse "dos ronds" de la série des Gaston Lagaffe, nous mettons un terme aux opérations à bas prix pour favoriser des rééditions de qualité, créant ainsi de la visibilité pour des oeuvres intemporelles, sans nuire à leur valeur perçue.
Nous envisageons la publication en intégrale des Spirou et Fantasio par Franquin, de Yoko Tsuno, Tif et Tondu... Nous avons d'ailleurs commencé fin 2005 l'édition en intégrale et grand format de la série Jeremiah.
Par ailleurs, certains des grands classiques, comme Gaston, Boule et Bill, Les Schtroumpfs, Natacha, Gil Jourdan ou Johan et Pirlouit retrouveront une place de choix dans le journal de Spirou, qui les a vus naître.